Technicien supérieur en tourisme et diplômé de l’Institut supérieur de la Communication des affaires et du Management (Madagascar), Eladine Chahide est concepteur de projets et de produits touristiques. De 1996 à nos jours, il exerce en tant que professeur d’espagnol. En parallèle, il a représenté la société Européenne de Développement et d’Investissement (EDI) basé à Toulouse de 1997 à 2007. Et depuis 2008, il est conseiller technique du Consul honoraire de l’Ambassade d’Espagne aux Comores.
Il nous raconte le sort d’un des premiers projets touristiques qui a été coulé par les autorités gouvernementales au début des années 2000.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Vous avez, récemment, fait état du « fiasco entretenu » pendant 10 ans (de 1997 à 2007) par les autorités comoriennes sur un projet de construction d’un hôtel aux normes internationales à Salimani Ya Hambu…
Eladine Chahide – Tout ce je vous dis c’est du vécu. Le projet de construction de l’hôtel « Palm Beach » a commencé en 1997. J’étais réceptionniste à l’hôtel les « Arcades » (Moroni). J’ai reçu un couple français originaire de Toulouse, qui était à la recherche d’un projet d’exploitation dans le pays. Puisque je suis un militant dans le domaine du tourisme, je leur ai dit que c’est dans le tourisme qu’il faut investir. Le couple a accepté. Quand on a fait le tour de Ngazidja pour voir quel est le site idéal pour l’investissement, ces Français ont choisi Salimani Ya Hambu, mon village. La raison est qu’il y a des vestiges touristiques légués par Léon Humblot, l’histoire de la région, la plage, la mer, l’environnement, le climat, la végétation… Bref, il y a tout. Le couple a choisi ce site comme un lieu idéal pour un investissement. Nous avons travaillé ensemble. Ces Français ont travaillé avec la communauté villageoise dont j’étais le président du Comité de pilotage. Le village a donné son accord de principe. Le document de l’investissement a été enregistré à la préfecture de Moroni.
Suite à cela, nous leur avons donné le plan cadastral d’un site mesurant 21 hectares allant de Salimani Hambu vers le nord jusqu’à la plage du lieu-dit « Ntsudjini ». C’est une plage qui se trouve à 20 minutes de Salimani. On a commencé les démarches auprès des autorités. On a vu le ministre du Tourisme qui était le plus concerné, le ministre de l’Économie, la présidence de la République, les services des impôts, bref nous avons rencontré toutes les instances nécessaires pour la réalisation du projet. Tous ces gens nous ont donné leur accord de principe.
Masiwa – Tout roulait bien en somme ?
Eladine Chahide – Une fois avoir accompli toutes les démarches, le gouvernement leur avait demandé le RIB et le plan du projet. En 2000, ces responsables français ont envoyé un document de 98 pages contenant la réalisation du projet, son coût et le plan croquis. Et en 2003, le gouvernement a demandé d’autres explications concernant leur siège. La Société d’exploitation du projet, EDI (Européenne de développement et d’investissement) avait envoyé un autre document. Plus léger que le premier. C’était au temps de Monsieur El-Back (NDLR : président de l’Ile autonome de Ngazidja) avec comme ministre du tourisme de l’île Monsieur Cheikh Ali Bacar Kassim. Ce dernier était allé en France pour avoir le cœur net sur le projet. À son retour, le ministre avait fait son rapport pour dire que le projet était viable et qu’il n’y avait pas de lézard.
Les dirigeants de la société EDI sont allés faire un prêt à la Banque européenne de Développement. Mais, les scènes ont continué pendant six ans. Ils avaient demandé en contrepartie qu’on leur donne l’agrément de l’exploitation du projet « Palm Beach », malheureusement ce document, ne leur avait jamais été donné. Ils ont fait, entre 1997 et 2007 quatre voyages entre la France et les Comores, en vain.
Masiwa – Vous avez dit que le gouvernement de l’Union des Comores s’était emparé du sujet ?
Eladine Chahide – C’est vrai que le gouvernement de l’Union a envoyé une délégation composée de quatre personnes. Il y avait un chargé des affaires juridiques de l’Etat comorien, un conseiller privé du président Assoumani Azali, le secrétaire général au ministère du tourisme et une femme conseillère à la présidence. Cette délégation a été envoyée en France pour s’enquérir de l’effectivité du projet. Quand ils sont arrivés là-bas, il y a un eu un désastre et ils sont revenus bredouilles. Le PDG Claude Girard et le responsable de l’hôtel Bernard Ducas m’ont raconté que les gens qui étaient allés en France, les ont pris par surprise, mais par décence, ils ont a accepté de les recevoir. Avec eux, ils ont fait deux tables rondes sans parvenir à un résultat concret, de garantie quant à l’éventuelle obtention de l’agrément. Et la délégation composée de quatre personnes est rentrée, sans rien dire au président de la République. Le projet s’est arrêté comme ça. J’ai constaté qu’il y avait un manque de volonté politique des autorités comoriennes de l’époque. Le gouvernement de « Mdjidjengo » était d’accord pour la réalisation du projet, sauf qu’il s’est trouvé sur son chemin le gouvernement de l’Union qui a toujours mis de bâtons dans les roues. Donc, par manque de volonté politique ça n’a pas été réalisé. Les autorités ont rejeté le projet en coulant sciemment le bateau.
Masiwa – Quelle sorte d’hôtel était envisagé ?
Eladine Chahide – L’hôtel « Palm Beach », devait être une bâtisse de 400 chambres, un hôtel cinq étoiles avec 50 bungalows, 4 restaurants aux normes internationales, un embarcadère…. C’est le premier projet qui a été sciemment coulé par les autorités comoriennes. Vous savez que nos compatriotes sont « experts » quand il s’agit de saborder un projet qui n’a pas de dessous de table.
Masiwa – Vous n’avez pas essayé de relancer le projet en 2006 lors du changement de régime ?
Eladine Chahide – En 2007, quand Ahmed Abdallah Mohmed Sambi était aux affaires, j’avais demandé qu’on reconsidère le projet. Le président m’avait donné son accord de principe. J’ai appelé les investisseurs français qui étaient au cœur du projet en présence du directeur de l’ANACEM. Ils m’ont dit que c’était mort, car ils ont déjà restitué l’argent à la Banque européenne de Développement. Ils m’ont dit, en conclusion, que nous, les Comoriens, ne savons pas ce que nous voulons.
Masiwa – Vous aviez même évoqué le projet avec le Vice-Président Djaffar ?
Eladine Chahide – En 2016, à l’arrivée du président Azali Assoumani, on m’a encore sollicité pour relancer le projet. J’ai remis le document aux autorités de l’époque. Encore une fois, on a rangé le projet dans les cartons. Si jusqu’à présent, l’hôtel « Palm Beach » comme tant d’autres n’est pas sorti de terre, c’est lié au fait que Vice-Président Djaffar, qui avait reconsidéré le projet et aurait validé tous les documents, n’était plus en odeur de sainteté avec le nouveau régime. Par conséquent, les autorités ont décidé de tout annuler.
Masiwa- Il y a eu d’autres cas semblables au dossier « Palm Beach » ?
Eladine Chahide – Des Libanais étaient venus à Ngazidja. Le gouvernement « Mdjidjengo » nous les avaient recommandés à Salimani Ya Hambu. On a travaillé ensemble, on a fini les textes. Comme c’est le cas souvent, on a « coulé » le projet tout simplement sous le prétexte fallacieux que le gouvernement « mdjidjengo » n’était pas habilité à porter un tel produit touristique. En 2021, un autre italien était chez nous avec autre projet de 14 milliards. Deux mois après le départ de l’italien, le projet a été dérouté. Toujours dans cette logique, il y a eu, la même année, un autre projet porté par la délégation saoudienne missionnée par la Banque islamique. Les autorités comoriennes ont réquisitionné plusieurs véhicules pour transporter ces Arabes à cette rencontre organisée dans mon village. C’était comme une fête avec beaucoup de discours, de chants et de danses, etc. Finalement le traducteur de notre village qui était en contact régulièrement avec ces investisseurs saoudiens, a dit que le projet a été encore une fois sabordé. Encore un projet qui n’est jamais sorti de terre pour cause de malveillance des autorités.
Pour terminer, si le gouvernement veut mettre en valeur le tourisme aux Comores, nous avons de nombreuses potentialités touristiques, des sites, des experts, bref toutes les ressources humaines permettant le développement du tourisme. En l’espace de 2 ans, on peut faire quelque chose dans ce pays.
Mais, l’office national du tourisme qui est là ne sait pas ce qui se passe dans nos petits villages, ignorant les sites incroyables que nous possédons. Raison pour laquelle la prise de conscience doit commencer par les initiatives locales, nos petits villages qui sont capables de porter ce projet. Je pense que si une politique intercommunale, interrégionale gérée entre les connaisseurs, les techniciens se met en place, le tourisme peut se développer sans la participation du gouvernement.