Les Comores sont un pays à tradition orale. La littérature orale comorienne florissante pendant des siècles était écoutée, récitée et déclamée, en étant le seul témoin des évènements qui ont parcouru notre histoire.
Par Houdheïf Mdziani
De nos jours, pour ne pas anticiper sa disparition, cet art oratoire d’une beauté artistique raffinée sommeille encore dans les souvenirs de ceux et celles, aussi rares soient-ils, qui sont encore effleurés par la nostalgie de ces nuits enflammées de poésie et de narration. Ces nuits qui, illuminées d’un poudroiement d’étoiles et par la magie grisante de la parole, transportaient vers un univers imaginaire de magie et de rêverie pour suspendre le temps qui s’écoulait.
Un univers de l’imaginaire
Infiniment riche et variée, composée de berceuses, de chants épiques, de chants de résistance contre l’occupation, de poèmes, de proverbes, de dictons, de contes, de mythes et de légendes, l’expression de la littérature orale comorienne était cette joie connue qui distrayait et enseignait, qui berçait et élançait de plaisir, qui sans cesse joyeuse, étoffée par la parole et le lyrisme de nos grand-mères, promenait notre imagination.
Aujourd’hui, cette passion de la narration n’est ni transmise ni enseignée à l’école d’où sa possible disparition. Et les générations futures risquent, à cause du manque d’une politique de transmission, de conservation et de promotion de ne jamais accéder à cet univers peuplé de djinns, de héros à l’exemple de Ibunasuya, de princes, de princesses, de rois, de reines et d’animaux dotés d’une intelligence extraordinaire.
Pour le cas des contes, cette faculté qu’avait ce genre littéraire de peindre la psychologie des personnages, ce monument de vie et d’idées, offrait cette capacité de faire travailler l’intelligence en essayant dès l’enfance de faire émerger un jugement critique. Cette belle manière d’éduquer par la structure narrative des récits fictifs à travers la morale de chaque conte, et qui, inconsciemment, flottait dans les esprits, était astucieusement pédagogique.
On peut faire l’analogie avec la littérature traditionnelle et classique en France, à l’instar de l’œuvre immense des fables de La Fontaine. Maintes fois apprise à l’école, lue, reprise, jouée, récitée par les écoliers, montrée en spectacle comme dans les spectacles littéraires d’un génie des planches comme Fabrice Luchini. Cette politique culturelle assure le succès de son œuvre à se prolonger vers l’éternité, l’infini temporel.
Expliquer l’origine du monde
Pareillement à nos contes comoriens, incarnés par des animaux, parfois d’une puissance écrasante. Cas du lion, d’une intelligence débordante. Cas des stratèges du lapin, d’une absurdité indescriptible. Cas du hérisson… Cet univers imaginaire fabuleux de nos grand-mères a réussi à travers des animaux doués d’une intelligence inouïe à instruire les hommes.
Quant aux mythes, nos aïeux ont eux aussi essayé d’expliquer l’origine du monde, de la vie et des phénomènes cosmiques sans les connaissances scientifiques accumulées aujourd’hui. C’est ainsi qu’est née la mythologie comorienne, une interprétation littéraire et philosophique du monde à la place de la religion et de la science. Par nécessité de remplir ce vide intellectuel par l’imagination. D’après la mythologie comorienne, l’origine du Karthala, ce cratère en feu bouillant enveloppé par un nuage de cendres serait dû au fait que le roi d’Israël aurait emprisonné sur l’île de la Grande-Comore des esprits maléfiques et pour se venger, ces djinns lui auraient dérobé l’anneau nuptial qu’il avait offert à la reine de Saba et l’auraient jeté sur le sommet de la montagne. Et dès lors, un immense cratère résulta et un volcan en fournaise surgit.
Ainsi, pour essayer de conserver la littérature orale des Comores, l’État doit investir un programme culturel et littéraire qui sera intégré dans l’enseignement scolaire pour qu’il devienne un élément essentiel pédagogique de transmission pour les générations futures, écrire ce qui est encore connu à l’identique les versions orales anciennes tout en gardant la structure narrative, syntaxique, sémantique et linguistique de la langue de l’époque correspondante, initier des festivals et des spectacles vivants dans lesquels ces contes seront joués, ces mythes et légendes racontés, ces poèmes épiques récités, ces chansons populaires célébrées parce qu’une tradition est atemporelle et parce qu’elle retrace l’identité d’un peuple. Notre littérature orale fait partie des racines qui ont constitué, qui constituent et qui constitueront notre histoire. C’est notre mémoire collective. Milan Kundera à ce propos a dit : « La culture, c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre ».
En perdant sa tradition orale, un peuple perd une partie essentielle de son histoire, de sa mémoire.