Awadhi Hafidh est né dans la ville de Mitsamiouli, en 1977. Il est journaliste au Caire depuis plusieurs années, dans des médias locaux et internationaux. Il nous parle ici de son premier roman « Les quatre faces des îles ».
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – On dit que par nature un roman arabe est fondamentalement un roman poétique ou un poème romancé. Est-ce pour cela que vous avez écrit votre roman en arabe ?
Awadhi Hafidh – Les Comores sont un pays habité par une majorité de musulmans, la langue arabe est quasi exclusive dans les pratiques religieuses, tandis que la population tend à utiliser la langue comorienne avec ses nombreux dialectes sur les quatre îles. Quant aux écrivains, ils préfèrent généralement écrire en français. J’ai choisi l’arabe pour une nouvelle ouverture de ma génération et la génération future, confirmant notre appartenance au monde arabe pas seulement au niveau politique, mais aussi culturel. La langue arabe dans son identité m’a offert confortablement les possibilités d’écriture magique sur la société unique des Comores, avec tous ses mouvements, ses agitations, son amour, ses traditions et coutumes, sa beauté, son environnement, ses maladies et ses décès.
Masiwa – Pourquoi le choix d’une narratrice ?
Awadhi Hafidh – Ce roman s’appuie sur la littérature orale portée par les femmes aux Comores, la narratrice s’imposait dès le début. Il y a dans le roman un moment fort qui explique le choix de la narratrice, Moina Amina. Elle se présente ainsi : « Je suis la fille des coutumes et des traditions, que portent l’âme et les esprits des femmes comoriennes, qu’elles transmettent à leurs enfants et petits-enfants, génération après génération, lorsque la grande mère se cache derrière la moustiquaire. (…) Ce sont ces histoires qui colorent les chemins similaires devant eux, les aidant à choisir avec un cœur illuminé par les clairs de lune qui s’infiltrent les nuits autres que l’éclipse. Ils acquièrent une sorte de beauté réaliste qui leur permet d’utiliser l’art de l’ombre et de la lumière pour colorer la joie de vivre. Ainsi, l’œil gardien de la grande mère leur confère son parfum lunaire, clôturant le “décret de la biographie orale “, leur tapotant le dos un à un et les envoyant dans des rêves lointains, dans lesquels ils rêvent de cœlacanthes, de bateaux de pêche, de fracas, vagues et ils se réveillent tôt le matin avec une nouvelle énergie qui rend la pratique des coutumes obligatoires dans leur conscience ».
Masiwa – Avant de vous lancer dans ce premier roman, vous avez travaillé pendant longtemps en tant que journaliste, à quel moment de votre carrière l’idée d’écrire un roman en arabe vous a traversé l’esprit ?
Awadhi Hafidh – Depuis l’âge de 15-16 ans, j’avais ce rêve d’être écrivain. C’est quand je couvrais la guerre de Lybie, en 2011, que j’ai commencé à réfléchir, comment transformer ce rêve en réalité. J’ai senti en couvrant cette guerre qu’être journaliste limite ma liberté d’expression. Devenir écrivain, comme je le rêvais, pouvait me donner une liberté d’expression illimitée. Le son de la langue arabe s’est imposé contre le son des armes de destruction utilisées dans la guerre. Elle me permettrait d’ouvrir mon imagination à des œuvres de création spécifiques, d’acquérir une présence exceptionnelle et une influence sensible efficace à une échelle largement reconnue, et d’atteindre des des sphères stables, dans lesquelles le pari créatif est placé sur la seule esthétique littéraire et sur la valeur artistique abstraite, comme l’épine dorsale standard pour s’adresser aussi bien au lecteur ordinaire qu’au critique spécialisé.
Masiwa – Dans quel genre romanesque peut-on classer votre livre ?
Awadhi Hafidh – Je laisse ça à ceux qui s’intéressent au classement et aux genres. Pour moi, c’est un roman qui entre dans plusieurs genres par son écriture, sa construction, sa présentation, sa mise en scène, sa transmission et sa diffusion. Il s’agit d’un roman mature et créatif, portant une référence fiable, passionnante et dramatique pour les lecteurs arabes, qui montre les caractéristiques de la vie des Comoriens avec tous ses enchevêtrements et ses aspects primitifs, modernes dans ce petit espace isolé de la côte est de l’Afrique.
Masiwa – Comment votre premier roman a été accueilli en Égypte et dans les pays de la Ligue arabe ?
Awadhi Hafidh – J’ai écrit ce roman en disant que j’essaie d’ouvrir une nouvelle porte à la littérature comorienne. Le jour de la sortie, en haut de la couverture était écrite « le premier roman pour les Comores par un Comorien », j’étais soulagé, ravi et honoré et après j’ai senti au fur et à mesure comment le monde arabe était assoiffé d’avoir la littérature comorienne en langue arabe. Mais, malheureusement, il n’y avait pas une volonté comorienne pour accompagner cet engouement. Mais, j’espère qu’il n’est pas trop tard.
Masiwa – Quelle place occupe le patrimoine culturel (Grand-mariage) et naturel des Comores dans le roman ?
Awadhi Hafidh – Le grand mariage est la constitution non écrite de facto régissant la majorité des Comoriens qu’ils soient aux Comores ou dans la diaspora. C’est le pacte social reconnu par la majorité des Comoriens, tout en portant un esprit critique sur ce pacte montrant la passivité des notables face aux réformes nécessaires pour la future génération.
On voit dans un passage du roman le héros, suite à la mort de son père, marin pêcheur, dans un tragique accident, où il a été mortellement blessé par un cœlacanthe. Ce poisson rare remonte à avant les dinosaures, il y a des centaines de millions d’années, et on pensait qu’il avait disparu, jusqu’à ce qu’il réapparaisse dans cette région au cours du XXe siècle. Il est devenu un symbole de l’identité comorienne. Dans ce roman, on retrouve la botanique rare des îles, son monde maritime et les sites touristiques primitifs. Je trouvais normal que cela soit au centre du roman. Personnellement, je m’intéresse au désastre du changement climatique et je crois que quiconque espère un avenir meilleur pour les générations futures devrait se préoccuper du désastre qui menace tout le monde sans exception.
Masiwa – pourtant, un véritable tabou pèse sur les pratiques « dites modernes » du Anda ?
Awadhi Hafidh – Le roman pousse le débat à examiner plus à fond dans un processus critique, la passivité des notables et du système social face aux sujets tabou en vertu des convenances sociales et morales. On voit dans un passage du roman, Moina Arafa dit que « le plus jeune oncle a suivi les traditions comoriennes et s’est marié tardivement, environ un mois après son retour de l’île de Madagascar. Il semblait préserver les traditions du grand mariage comme s’il n’avait jamais quitté l’île, alors il accéda au titre de notable et obtient le statut… bonheur et satisfaction, il est devenu finalement – un homme important, après avoir compris le sens et le but des coutumes grâce à son travail dans des zones reculées, aux expériences qu’il a vécues et à sa connaissance diversifiée des montagnes, des mers et les arbres ombragés, verts et fleuris ».
Masiwa – C’est aussi une histoire d’amour ?
Awadhi hafidh- C’est une histoire d’amour qui a abouti au mariage et la récupération par Jaafar de son identité de citoyen comorien. “L’amour est une croyance et un lieu où tout le monde est accueilli”.
Masiwa – Est-ce qu’il y aura un autre livre prévu dans un avenir proche ?
Awadhi Hafidh – « Les quatre faces des îles » est le premier livre que je publie. J’ai un autre roman qui est dans le processus pour une publication au mois de janvier prochain, j’espère. Et je suis dans la finalisation d’un troisième roman, j’espère dans quelques mois. C’est un rêve infini comme je dis.