Une note conjoncturelle très politique
Le 6 mai, la Banque Centrale des Comores a partagé sur son compte Twitter une « note de conjoncture de l’année 2021 » qui dresse la situation économique du pays, à travers un bilan de la pandémie du COVID-19 et ses variants, tout en faisant des perspectives au regard des mesures prises par le gouvernement Azali et la situation politico-économique mondiale.
Par Nezif-Hadj Ibrahim
Dans le document publié par la Banque centrale des Comores et intitulé « Note de conjoncture de l’année 2021 », beaucoup de calculs ont été présentés. Pourtant, la réalité des Comoriennes et des Comoriens est ignorée. Au final, c’est une note dont l’objectif principal est d’appuyer le gouvernement actuel.
Un régime fiscal draconien au niveau de la douane passé sous silence
La Banque Centrale des Comores nous apprend dans cette note que la fiscalité comorienne est en bonne santé. « Les recettes totales se sont établies à 91,3 milliards FC en 2021 contre 101 milliards FC en 2020, soit une contraction de 9,6%, expliquée essentiellement par la baisse des dons extérieurs (-29,5%), les recettes intérieures étant en augmentation », peut-on lire dans sa « note ». Si les recettes intérieures ont augmenté, c’est essentiellement à cause du régime fiscal qui sévit aux Comores, notamment à la douane. La loi des finances de 2021 marque le coup puisqu’elle a effectué une augmentation des taxes et des amendes. D’ailleurs certains produits comme le fer qui était taxé à 15,5% a vu ce chiffre s’élever jusqu’à 20,5%, le tôle aussi fait partie des produits faisant l’objet de la hausse des taxes puisqu’auparavant taxés à 14,5% son taux est en effet aligné à celui du fer. En tout ce sont neuf produits en tout qui ont subi une augmentation des taxes douanières. Ce qui a naturellement eu des conséquences sur le circuit économique. Pourtant, la note de conjoncture de la Banque Centrale ne fait nullement référence à une relation de cause à effet entre l’augmentation des recettes douanières et le régime fiscal draconien occasionnant la cherté de la vie.
Dans une certaine mesure, le pouvoir comme la Banque Centrale justifient la politique fiscale entreprise par le paiement normal des salaires des agents de l’État. Seulement, avec une forte majorité des fonctionnaires qui reçoit des salaires incapables d’absorber le coût de la vie, une telle justification n’est pas pertinente. Le paiement normal des salaires ne permet pas d’améliorer la vie de la population ni de dynamiser le marché.
L’institut National de la Statistique et des Études économiques est plus proche de la vérité
En décembre dernier, l’INSEED publie un rapport sur la pauvreté aux Comores en 2020. L’institut a enquêté sur la dimension économique des ménages et le résultat est alarmant. Il affirme que « 44,8% de la population » des Comores vit en dessous du seuil de pauvreté. Et selon cette enquête, c’est le milieu rural, notamment de l’île de Ndzuani qui est le plus concerné. La pauvreté a gagné du terrain puisque de 2014 à 2020, l’indigence est passée de 42 % de la population à 44,8%, prouvant que la politique du pouvoir durant ces années a fortement contribué à cet état d’aggravation des conditions de vie. C’est une tendance qui se confirme alors que la note de la Banque Centrale montre le contraire en mettant tout sur dos de la COVID-19, puis de la crise en Ukraine.
Selon la Banque Mondiale, entre 2017-2018, la croissance économique comorienne tablait sur un taux de 3,7%, mais, pendant cette période, la pauvreté allait de mal en pis. Malgré cela, la Banque Centrale applaudit les mesures du gouvernement visant à revenir à la situation économique d’avant la crise sanitaire mondiale. « Par ailleurs, l’activité économique devrait se consolider en raison des effets attendus de différentes mesures de soutien à l’économie nationale par le gouvernement et les partenaires au développement. Dans ce contexte, le taux de croissance du PIB est projeté à 3,5% en 2022 contre une croissance de 2,2% en 2021, soit un gain de 1,3 point de pourcentage », rapporte-t-elle.
D’après les estimations de la Banque mondiale et celles de la Banque Centrale des Comores, la croissance peut revenir à la normale, c’est-à-dire au taux d’avant la pandémie, mais alors, c’est que la pauvreté n’aura pas reculé ou ne le sera que faiblement au regard des projets de constructions d’infrastructures que le gouvernement a envisagé et pour lesquels le financement dépend des recettes intérieures. Les dépenses d’investissement pourraient maintenir la cherté de la vie pour encore quelques années.
Aucune critique, aucune proposition pour le gouvernement
Malgré une balance commerciale déficitaire, la Banque Centrale n’ose remettre le pouvoir en cause. La note de conjoncture n’apporte aucune critique à l’égard du gouvernement ni ne propose d’hypothèses sur des axes de politique économique que le régime pourrait engager. Pourtant, la question de la balance commerciale est toujours problématique. On importe beaucoup plus que ce qu’on exporte. Même si cette situation d’importation massive arrange le gouvernement d’Azali, en ce sens que la fiscalité est sa poule aux œufs d’or, cette démarche favorise davantage la paupérisation des populations. Le chômage ne recule pas dans la mesure où on manque de pôles de production de biens et que nous avons des difficultés dans le secteur des services, qui constitue pour la Banque Mondiale un facteur de ralentissement pour la croissance économique.
Par ailleurs, les transferts de la diaspora demeurent un support majeur pour l’économie du pays. La manne financière qu’elle envoie constitue une importante source de devise permettant de combler le déséquilibre de notre balance commerciale. Même si la note de conjoncture affirme qu’à cause de ces transferts beaucoup de Comoriens ne travaillent pas, c’est-à-dire ne sont pas productifs économiquement, c’est quand même grâce à ces transferts que le milieu rural à Ngazidja est moins touché par la pauvreté que celui de Ndzuani, l’île de Ngazidja étant plus représentée dans la diaspora que Ndzuani.