Le procès au pénal du crash de la Yemenia s’est ouvert
Propos recueillis par MiB
Masiwa – Qui représentez-vous dans le procès qui s’est ouvert le 9 mai dernier ?
Me Saïd Larifou – J’ai en charge, avec mon confrère Me Didier Jaubert, la défense des intérêts de plus d’une centaine de familles des victimes du crash de Yemenia Airways.
Certaines, parmi ces dernières, sont de nationalité comorienne, d’autres sont françaises et une victime de nationalité canadienne. À ce jour, nous représentons 150 personnes.
Masiwa – Quels sont vos autres confrères ?
Me Saïd Larifou – D’autres confrères, nombreux et regroupés en pôle d’avocats, sont constitués pour défendre d’autres familles et l’association des victimes de ce crash aérien.
Masiwa – Quel est ou quels sont les accusés dans ce procès ? Que leur reproche la justice française ?
Me Saïd Larifou – Seule la compagnie Yemenia Airways est prévenue dans ce procès pour homicides involontaires et blessures, ce qui en soi est injuste au regard des éléments déjà plausibles qui établissent indéniablement d’autres responsabilités. Des faits précis et circonstanciés indiquent que des négligences de l’ASECNA, organisme public international chargé des infrastructures aéroportuaires, l’aviation civile comorienne et française, qui malgré les plaintes, les signalements et les alertes des passagers et les rapports des services compétents qui avaient confirmé et mis en évidence des carences techniques et humaines de la compagnie Yemenia Airways, l’ont laissé tranquillement transporter des passagers avec des avions aux normes pour le trajet France-Sanaa et pour le trajet Sanaa-Moroni à bord de « cercueils volants », car certaines destinations sont moins considérées par certaines compagnies qu’y affectent du personnel moins formé et des avions interdits en Europe.
Masiwa – Quels sont les objectifs des familles ?
Me Saïd Larifou – Les familles attendent de pouvoir tourner la page, de faire leur deuil, elles demandent que justice soit rendue aux passagers sacrifiés et envoyés à la mort à bord de ce « cercueil volant ». Le procès doit aussi permettre aux autorités comoriennes d’apporter des améliorations au niveau de la sûreté et des infrastructures aéroportuaires.
Masiwa – L’État comorien est-il représenté par un avocat ? est-il partie civile ?
Me Saïd Larifou – Ni l’État comorien, ni l’aviation comorienne, ni l’ASECNA ne sont présents ou représentés. Ils font preuve de lâcheté, de mépris et d’indifférence aux souffrances des familles des victimes. Les inquiétudes au demeurant justifiées et légitimes des usagers et des passagers sur la sûreté de l’aéroport des Comores et l’état des infrastructures aéroportuaires ne semble pas les préoccuper, elles continuent à autoriser des cercueils volants à survoler l’espace aérien comorien.
Masiwa – Une petite polémique est née du fait qu’il y aurait peu de Comoriens dans la salle. Est-ce une vérité ? Est-ce que cela a une incidence sur le déroulement du procès ?
Me Saïd Larifou – Par expérience, je peux affirmer que dans ce genre de procès de masse, les premiers jours sont souvent marqués par une forte mobilisation des personnes concernées et du public et ensuite, en raison de la durée du procès, les gens reprennent leurs activités habituelles et reviennent. Cela ne peut être assimilé à une indifférence à ce drame, au procès ou ses enjeux qui, il faut le dire, marqueront les Comoriens. Il est vrai que l’on s’attendait à une forte mobilisation de la diaspora comorienne à l’image de la colère et l’émotion relevées juste après le crash.
En tout état de cause, en raison de la nature éminemment technique et la complexité juridique de ce procès, il n’y aura pas de place ni à l’émotion ni à d’autres considérations. Le tribunal statuera en fonction des éléments du dossier et au regard des explications livrées lors des débats.
Je peux vous dire que l’indifférence des autorités comoriennes qui ont déserté ce procès pose sérieusement de problème, en ce sens que l’absence de réponses certaines et circonstanciées aux questions liées au trafic aérien aux Comores nuit à la manifestation de la vérité. L’obscurité sur les accords signés entre l’État comorien et la compagnie Yemenia Airways contribue à faire des Africains et des Comoriens, en particulier, des victimes de seconde zone. Cette attitude irresponsable pousse certains à faire preuve de mépris à l’égard des victimes en qualifiant cet accident de « crash des pauvres » et permet à l’assurance de la compagnie Yemenia Airways à faire du chantage aux familles des victimes.
C’est pour ces raisons que notre ONG, Avocats Pour l’Afrique, s’engage à accompagner les États africains à se doter des instruments juridiques appropriés pour exiger des compagnies aériennes de faire preuve de respect et de considération pour les passagers voyageant sur l’espace aérien africain. Le droit international aérien doit s’adapter aux évolutions en cours et dans le sens du renforcement et de l’harmonisation des droits des usagers, des passagers et des victimes. Des initiatives seront engagées par notre organisation dans le sens de l’harmonisation des traités, des conventions et des autres textes qui régissent le droit aérien international afin de garantir à tous les usagers et les passagers le même traitement et mettre fin à l’intolérable discrimination entre victimes des crashs aériens et aux abus des compagnies aériennes et de leurs assureurs.
Masiwa – Qu’est-ce qui s’est passé d’important dans ce procès depuis son ouverture ?
Me Saïd Larifou – La première semaine du procès a été consacrée à l’examen des éléments techniques de l’enquête qui établit clairement la cause directe de l’accident et les circonstances périphériques et indirectes supposées y avoir contribué ou facilité. Les manœuvres inappropriées du commandant de bord et du co-pilote sont la cause directe de l’accident. Sa décision de se poser sur l’aéroport de Moroni alors que l’environnement ne s’y prêtait pas a également été relevée. Les experts légistes ont également confirmé que sur les corps retrouvés en Tanzanie trois et cinq aux Comores sont ceux de personnes décédées de noyade. Cela suppose que si l’aéroport des Comores disposait des moyens de secours, il aurait été possible de sauver des vies humaines. Si, comme l’exige la réglementation internationale, l’aéroport de Moroni était doté de moyens de secours et de sauvetage. L’impossibilité dans laquelle se trouve les autorités comoriennes d’apporter secours aux passagers non retrouvés du récent crash de la compagnie AB Aviation, faute des moyens de sauvetage est plus que de l’insouciance, c’est un crime qui, hélas, est banalisé et toléré par les autorités.
Masiwa – Donc, d’autres personnes que Bahia Bacar auraient pu être sauvées ?
Me Saïd Larifou – Le manque des moyens de sauvetage à l’aéroport des Comores relève de la responsabilité de l’ASECNA et de l’État comorien qui, malgré l’ accident du vol d’Éthiopie Airways, détourné par de pirates avant de crasher aux Comores et celui de Yemenia Airways n’ont tiré aucune leçon.
Masiwa – Vous étiez l’un des deux avocats du gouvernement comorien en 1999 lors du premier procès Bob Denard à Paris, en quoi le procès d’aujourd’hui est-il différent ?
Me Saïd Larifou – Effectivement, quelques mois après ma prestation comme avocat, j’ai eu la chance et l’honneur de défendre les intérêts de mon pays et ceux de mes compatriotes injustement poursuivis partout dans le monde.
Pour répondre à votre question, je constate avec tristesse que l’État comorien reste constant dans son incapacité à assumer ses fonctions régaliennes et défendre l’honneur de notre pays et des Comoriens. Nos dirigeants successifs ne sont pas dignes des Comoriens. Que ça soit les assassinats des présidents Ali Soilihi, Ahmed Abdallah, la destitution et la déportation du président Djohar et le coup d’État du colonel Azali Assoumani et d’autres assassinats politiques et divers crimes économiques, les autorités comoriennes, promptes à tuer, à emprisonner arbitrairement les opposants et les journalistes, ne se sont jamais illustrées pour défendre notre souveraineté et notre fierté au point où l’on s’interroge légitimement sur l’utilité de l’État Comorien.
Le dernier fiasco est l’impossibilité manifeste pour l’État comorien de tenir le procès de la citoyenneté économique sans entraver et violer les droits fondamentaux des personnes mises en cause. Les institutions internationales spécialisées et organisations régionales et nos partenaires institutionnels et bilatéraux feraient mieux d’aider les Comores à tenir des Assises sur la justice aux Comores afin de parvenir à un environnement favorable à l’émergence d’un État de Droit au lieu de jeter leur argent dans la nature.