Le dernier dossier dont s’est occupé le Procureur de la République Ali Mohamed Djounaïd était donc celui de l’exécution d’Ahmed Abdou Fanou. Il avait fermé le dossier après quelques jours en prétendant que le jeune gendarme était mort d’une mort naturelle dans sa cellule quelques heures après son arrestation. Un des rouages de la machine de répression de la dictature Azali a été muté ce 13 novembre à la Cour d’appel comme Procureur général.
Par MiB
Dans le train des décrets de nomination du 13 novembre dernier, il y a le n°24-170 qui nomme Ali Mohamed Djounaïd Procureur général près du Tribunal d’Appel de Moroni.
La dernière forfaiture d’Ali Mohamed Djounaid en tant que Procureur de la République aura donc été de mettre un terme à l’enquête sur l’exécution d’Ahmed Abdou dit Fanou, en proclamant dans un premier temps que ses enquêteurs l’ont trouvé mort dans sa cellule le matin, puis en produisant un communiqué du Parquet prétendant que le médecin militaire Naoufal Boina a constaté sa mort très tôt dans la nuit et que le corps ne présentait aucune blessure ou aucun coup porté. Comme pour les fraudes aux élections présidentielles, la justice, par l’intermédiaire du Procureur de la République, continuait de mentir devant les évidences. Un homme a été arrêté par les forces de l’ordre pour avoir agressé le chef de l’État en fin d’après-midi, quelques heures après il aurait été retrouvé mort dans sa cellule et selon la logique du procureur Ali Mohamed Djounaid, il est mort dans son sommeil, circulez, il n’y a rien à voir.
Les mensonges sur l’affaire Fanou
Ali Mohamed Djounaid a été nommé pour la première fois Procureur de la République auprès du Tribunal d’Instance de Moroni le 8 juillet 2021. C’est dans ce tribunal qu’il a fait l’essentiel de sa carrière puisqu’il y exerçait déjà en tant que vice-président puis président à partir de 2017. En 2021, il a remplacé le charismatique Ahmed Abdou qui avait exercé comme Procureur pendant six ans. Ali Mohamed Djounaid a été confirmé au poste de Procureur de la République par le chef de l’État le 25 février, puis le 19 juillet dernier lors de grandes mobilités au sein de la Justice comorienne. On peut dont s’interroger sur son remplacement soudain au bout de trois ans. Certains prétendent qu’il s’agit d’une promotion, mais dans la Justice, comme dans l’armée, les promotions peuvent cacher des sanctions.
L’affaire « Fanou » a été gérée d’une manière calamiteuse, le Procureur de la République a diffusé deux versions qui ne concordaient pas sur la mort du jeune gendarme qui a agressé le chef de l’État et a surtout donné l’impression de ne rien maîtriser et de laisser les militaires fournir des explications alambiquées. Il se peut aussi que le magistrat ait tout simplement demandé à ne plus exercer cette fonction dont le titulaire est soumis à la pression aussi bien du pouvoir que de la rue, et pour son cas probablement aussi de l’armée, en la personne du commandant de la gendarmerie, Loukman Azali qui a continué à soumettre la famille du jeune Fanou à des interrogatoires et arrestations alors que le Procureur avait déclaré close l’affaire.
On peut noter que ce déplacement du Procureur intervient deux semaines après l’arrivée de la mère de Fanou et de ses enfants dans l’île de Mayotte où elle a porté plainte pour l’exécution de son fils. Celle-ci a également confirmé avoir constaté sur le corps de son fils des traces de tortures. Tout cela met en cause les affirmations d’Ali Mohamed Djounaïd qui a fermé le dossier Fanou en affirmant que le jeune homme était mort d’une mort naturelle.
Une carrière marquée par les procès politiques
Ali Mohamed Djounaïd n’en est pas à son premier mensonge. Sa carrière est marquée surtout par le souci de servir le régime en place plutôt que la Vérité ou la Justice.
C’est lui qui, le 11 janvier 2024, avait assumé l’arrestation deux jours auparavant dans des conditions troubles par l’armée et les Services de Renseignement d’Achmet Saïd Mohamed l’accusant de terrorisme. L’opposant a été mis au secret pendant 20 jours, sans pouvoir recevoir de visite. Et le 30 janvier, le Procureur avait affirmé dans une déclaration que l’accusé avait avoué tous les crimes qu’on lui reprochait. Il reste toujours à savoir dans quelles conditions ces aveux ont été obtenus.
Le juge Ali Mohamed Djounaïd a également exercé en tant que Commissaire du Gouvernement auprès de la Cour de sûreté, une cour dont tous les spécialistes ont montré qu’elle n’existait plus dans l’ordre juridictionnel depuis longtemps. Les avocats de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ont même exhumé, lors du procès de ce dernier, un texte qui montrait clairement que la fonction de Commissaire du gouvernement avait été abolie.
Cela n’a pas empêché Ali Mohamed Djounaïd, au mépris des textes et des procédures, de réclamer, en tant que Commissaire du gouvernement des peines très lourdes lors des procès contre les opposants politiques dans le cadre de la Cour de sûreté, entre autres contre l’ancien Gouverneur Abdou Salami, mais aussi contre le président Sambi. Pour ce dernier, c’est avec une certaine dérision et un mépris manifeste qu’Ali Mohamed Djounaïd a affirmé pendant le procès qu’il n’allait « pas demander une peine très lourde » avant d’ajouter quelques secondes après : « juste la perpétuité » et pour un crime qui n’existe plus dans l’ordre juridique : haute trahison.
C’est dire que l’ancien Procureur de la République est un des piliers du système de répression du régime en place depuis 2016.
Plainte de la famille de Fanou
Y a-t-il une possibilité qu’un jour le juge Ali Mohamed Djounaïd soit mis en cause devant une juridiction nationale ou étrangère ? Alors que ce dernier était en mission en France, Me Saïd Larifou, qui représente la famille d’Ahmed Abdou dit Fanou, exécuté pendant sa détention, a annoncé par un communiqué au média que celle-ci a porté plainte à Paris contre Ali Mohamed Djounaïd « pour torture, persécutions et obstruction à la vérité sur les causes et les circonstances sur la mort de leur fils ». Dans ce communiqué de presse, Me Larifou affirme que l’ancien Procureur de la République a participé lui-même aux tortures sur le gendarme de 24 ans. Et l’avocat franco-comorien ajoute que les parents déclarent : « avoir constaté des traces de violences et tortures sur le corps de Ahmed Abdou alias Fanou ».
Cette plainte n’a sans doute pas eu le temps d’être traitée avant le départ d’Ali Mohamed Djounaïd de Paris.