La diffusion du choléra s’est accélérée ces derniers jours dans l’île d’Anjouan. Les signes sont nombreux : le manque d’eau minérale, mais aussi le ballet des ambulances à l’hôpital de Hombo (Mutsamudu). La population a enfin pris conscience que la maladie est bien là.
Par Naenmati Ibrahim
Ce n’est pas la première fois qu’Anjouan se retrouve en pleine épidémie du choléra. Entre l’année 1998 et l’année 2000, le choléra était aux Comores. C’est durant l’an 2000 qu’Anjouan a été le plus intensément touchée par cette maladie contagieuse et mortelle, qui a fait de nombreuses victimes. On a estimé à 4000 cas et 100 morts sur une population de 250 000 habitants durant cette période. Les souvenirs tragiques du passage du choléra sont toujours là parce que beaucoup ont vu mourir des connaissances et d’autres ont perdu des proches.
Néanmoins, malgré cette expérience vécue, il y a une défaillance dans les restrictions à faire pour lutter contre cette épidémie. Et cela est dû au fait que dès le début de l’annonce par le gouvernement de l’apparition de la maladie, à la sortie d’élections qui ont été tendues, l’affaire du choléra a été politisée et certains ont prétendu que le gouvernement voulait empocher de l’argent comme avec le coronavirus. Pour eux, il s’agissait simplement du changement de saison puisqu’à cette période où les ambrévadiers sont en floraison, des virus circulent et les hôpitaux sont remplis de malades. Pour d’autres, c’est le riz onicor pourri qui provoque les vomissements et les diarrhées. D’autres encore, prétendaient que c’étaient les coupures fréquentes d’électricité qui provoquaient des intoxications.
L’épidémie de choléra existe bel et bien à Anjouan, et c’est par la Grande-Comore qu’il est arrivé dans le pays, par un bateau en provenance de la Tanzanie fin janvier (Lire « Le choléra est toujours là », Masiwa n°473, 1er avril 2024). Les premiers anjouanais atteints par le choléra avaient séjourné à la Grande-Comore et c’est en rentrant dans leur île d’origine qu’ils ont contaminé leurs proches. Par la suite, la maladie s’est propagée dans toute l’île.
Nous avons déjà évoqué l’exemple de cette femme originaire de Koni Djodjo qui a quitté Ngazidja en étant malade pour venir s’installer chez elle sans suivi ni traitement parce qu’elle avait honte à se rendre à l’hôpital. Elle a fini par contaminer tous ses enfants et ce n’est qu’après la mort de l’un d’eux qu’elle a été envoyée avec tous ses enfants à l’hôpital de Bambao Mtsanga.
Les symptômes sont les mêmes qu’en l’an 2000 : diarrhées persistantes suivies de vomissements. Les mesures à prendre sont pourtant très simples. Il suffit de se laver les mains plusieurs fois par jour avec de l’eau contenant du savon et du javel, surtout avant de manger. Ces derniers jours on voit dans les établissements administratifs des seaux et des grosses bouteilles remplies d’eau javellisée pour que les gens se lavent les mains avant d’y entrer.
La panique dans l’île
Mais, on continue à faire croire que c’est juste une punition divine. Et à cause de ces réticences de la population, la maladie se propage à une vitesse telle que les hôpitaux sont dépassés par les effets de cette épidémie.
À Anjouan, la maladie a été détectée une semaine après la Grande-Comore début février. Le ministre de la Santé note pour l’ensemble de l’archipel 1484 cas, dont 31 décès communautaires, sept décès hospitaliers et onze cas importés depuis le début de l’épidémie. En outre, pour l’île d’Anjouan au 14 avril, on comptait 929 cas positifs, 676 guéris (72,8 % de taux de guérison). Et pour le 16 avril, le ministère de la santé avait notifié 69 nouveaux cas pour Anjouan.
Une panique semble s’être emparée de l’île. Un signe de cette panique : l’eau en bouteille se fait rare. Pour éviter de boire l’eau de robinet qui n’est pas du tout traité à Anjouan, les gens préfèrent acheter de l’eau en bouteille.
Pour les Anjouanais les plus avertis, conscients de la situation sanitaire, la fin du mois de ramadan représentait une inquiétude. Le ramadan avait ralenti la maladie parce que les gens ne mangeaient pas dans la journée. La pauvreté dans l’île fait que beaucoup de ménages ne cuisinent pas dans la journée, donc on mange tout ce qu’on trouve tant que c’est comestible : les adultes mangent dans les gargotes, les enfants achètent des beignets dans la rue et souvent ces repas cuisinés dehors ne sont pas couverts et les mouches porteuses de la maladie se posent sur la nourriture. Il arrive aussi que les enfants ramassent des fruits par terre pour manger sans les laver. Tant de raisons qui font que la situation peut devenir incontrôlable dans l’île.
L’hôpital de Hombo est débordé
Malgré la persistance de certains à ne pas croire au retour du choléra, dans certaines localités à Anjouan, la panique et la peur se sont installées. Dans la ville de Domoni, par exemple, les habitants sont effrayés parce que tous les jours on annonce des décès dans leur ville. En une semaine, on a compté dix-sept morts. Dans la ville, on a même fermé les écoles en attendant de trouver une solution pour se protéger de la maladie. Mais, des parents craignent de voir leurs enfants prendre du retard dans leur scolarité, ils mènent donc des réflexions pour entrevoir des mesures à prendre pour pouvoir reprendre l’école. À cause de cette situation, certains ont peur de se rendre à Domoni. Pourtant, pour les habitants de la ville, la maladie vient des villages à côté. Pour mettre fin à ce fléau, ils ont décidé de se prendre en main, ils commencent par une grande prière pour demander l’aide du Seigneur.
L’intensification de l’épidémie de choléra à Anjouan est visible à l’hôpital de Hombo, notamment par le concert des ambulances emmenant de nouveaux malades : une à chaque minute parfois. Les médecins sont débordés et les familles des patients sont inquiètes. Les familles accusent les responsables de l’hôpital de ne pas nourrir les malades tout en leur interdisant d’apporter de la nourriture. Malgré l’interdiction, ils viennent avec de la nourriture et finissent après de longues palabres par la remettre à un employé de l’hôpital pour le proche malade. Pour le responsable sanitaire, ces familles n’ont pas le droit de venir à l’endroit où l’on a hospitalisé les malades, surtout dans la partie réservée aux malades du choléra. Mais les familles se sont quand même entassées à proximité.
Mais comment l’île peut ne pas être débordée par la maladie quand on laisse Mutsamudu, le chef-lieu d’Anjouan, avec ces déchets qui s’accumulent dans les rues et au bord de la mer ? Le pire c’est que près des marchés de Mutsamudu, les gens qui viennent dans la ville pour leurs affaires se rendent dans les gargotes pour manger des plats rapidement. Ici aussi, pour les habitants du chef-lieu, ce sont les autres, les étrangers à la ville venus des différentes localités de l’île qui sont responsables des saletés et donc de la diffusion de la maladie.