La couture est depuis longtemps un métier pour beaucoup de Comoriens, hommes et femmes. Il n’y a pas longtemps, à l’occasion des fêtes, les gens achetaient les tissus et les envoyer chez les couturiers qui confectionnaient les plus beaux vêtements. Et puis l’importation de prêt-à-porter a pris de l’ampleur dans l’archipel et les couturiers ont perdu leur poids sur le marché de la mode.
Par Noussaïbaty Ousséni M.Ouloubé
Depuis quelques années, la situation commence à changer. Les couturiers ne se contentent plus de confectionner des habits traditionnels. Ils s’adaptent à leur époque qui est fortement influencée par la mode occidentale. Les plus beaux styles sont cousus avec des tissus qui ont une valeur identitaire comme le shiromani, le sahari, etc. La plupart des stylistes comoriens sont influencés par les grandes marques mondiales qui sont porteuses de cultures différentes de celle des Comores.
Une activité lucrative
À 27 ans, Saenfati Salim, étudiante en médecine à l’Université d’Antananarivo s’est aussi lancée dans le métier et vit désormais entre deux mondes parallèles, car elle s’est rendu compte que peu de personnes cousaient des hijab aux Comores. Alors que beaucoup donnent de la valeur à la matière en tant qu’objet porteur d’identité, elle s’est beaucoup plus accrochée à ses croyances, mais dans un cas comme dans un autre, la mode est un univers qui rapporte beaucoup et il est très positif de voir de plus en plus de jeunes s’y intéresser.
Saenfati Salim n’est qu’à ses débuts, mais habille déjà beaucoup d’étudiantes comoriennes dans presque toutes les grandes villes de Madagascar. Et depuis peu, elle a commencé à faire des vêtements pour hommes. Jilbab, abaya, caftan, nikab, khamis, khimar, autant de modèles qui font que ses clients se sentent à la mode sans dépenser une fortune. Pour elle, il s’agit d’apporter sa pierre dans la préservation de sa culture, de sa foi, mais surtout, il s’agit de se sentir bien dans sa peau et d’être utile.
Ayant remarqué que les vêtements tels que les abayas ou les caftans coutaient très cher aux Comores et que peu de couturiers s’y intéressaient, elle a eu l’idée pendant son stage d’internat en médecine de se lancer dans la couture de hijabs avant de rentrer dans son pays. Ce qui a débuté comme un jeu s’est transformé en une grande passion, puis en un vrai travail quand les demandes ont commencé à se multiplier. L’une des raisons qui l’ont motivée et le fait que beaucoup de femmes comoriennes disent qu’elles portent les vêtements qu’elles trouvent facilement sur le marché et que malheureusement les habits de la femme musulmane ne sont pas les moins chers.
Entre la médecine et la couture
Son travail est presque fait de manière instinctive, car elle n’a jamais eu le temps de suivre une formation. La perfection est venue après plusieurs tissus gaspillés, quelques vidéos tutoriels sur YouTube et aujourd’hui ses créations n’ont rien à envier à celles du marché.
Médecine et couture sont toutes les deux des domaines de fils et d’aiguilles, mais encore plus un moyen de résilience face à la crise économique ou l’influence occidentale sur le mode vestimentaire comorien. Il est question de vivre avec ses deux plus grandes passions et de la même façon qu’elle se sent soulagée après avoir soigné un malade, comme elle le dit si bien. « Cela me procure une immense joie de voir une sœur musulmane heureuse de porter un hijab tout en sachant que c’est moi qui l’ai fait. Cela me donne la force de continuer, donc je passe mes soirées et mes weekends à coudre pour pouvoir revivre encore et encore ce genre d’émotions. Il n’est donc pas question de choisir entre l’une ou l’autre, car je me sens utile dans ces deux mondes et je souhaite que cela continue ».
La mode a permis à beaucoup de pays d’influencer les autres tout en rehaussant leur puissance économique et en créant des emplois. L’entreprise Chanel emploie plus de 25000 personnes dans le monde. Il s’agit de l’une des plus grandes entreprises du monde. Les Comoriens sont influencés par la mode occidentale, pourtant les métiers de la couture ainsi que tous ceux que l’on appelle petits métiers ne rapportent pas grand-chose. Saenfati Salim est consciente du fait que les activités à domicile ne rapportent rien et, pour elle, c’est la raison principale qui pousse beaucoup de gens à abandonner. Elle sait donc que si elle veut avoir une vie aisée dans la mesure du possible, il lui faudra toujours avoir un deuxième métier, car personne n’est sans savoir que les médecins aux Comores ne sont pas épargnés par les problèmes financiers.
Travailler pour soi et pour le pays
Sans chercher à dire que la couture est un métier pour les femmes, du haut de sa huitième année en médecine, cette jeune couturière par accident conseille aux femmes de toujours chercher à travailler, et ce, même si ça ne leur apporte pas grand-chose, car il n y a pas de petites économies et que peu vaudra toujours mieux que rien. Pour elle la meilleure façon de se faire respecter est de chercher à être indépendante et à arrêter de croire que l’homme est le seul qui doit travailler pour s’occuper de sa famille. Mais surtout il ne faut sous-estimer aucun métier ou encore moins croire qu’avec un diplôme, personne ne doit se salir les mains, car si tout le monde devait s’asseoir et tourner sur un fauteuil dans un bureau climatisé, tout le monde allait mourir de faim.
Il est assez décevant de se rendre compte que les jeunes comoriens sacrifient des millions pour étudier à l’étranger tout en sachant que leur pays ne leur garantit aucun travail et que sans argent, ils mourront tout simplement de faim, car le pays ne dispose d’aucune structure d’aide sociale. L’entrepreneuriat prend dans ce pays un sens très négatif étant donné que beaucoup de ceux qui sont dans ce domaine sont aussi employés par d’autres personnes et les autres sont souvent criblés de dettes. Dans la lutte contre le chômage s’il existe une entité qui s’en soucie au sein de l’Union des Comores, les métiers de l’art devraient être enseignés et valorisés. Tous ces jeunes comoriens qui s’intéressent aujourd’hui à la mode pourraient porter un coup à l’importation de prêt-à-porter et cela pourrait aider le pays à sortir du chômage. Mais si les jeunes qui ont du talent à vendre comme Saenfati Salim se retrouvent seuls face aux difficultés de la vie, ils finiront par abandonner, comme elle n’a pas oublié de le souligner et cela n’apportera rien au pays, si ce n’est l’enfoncer encore plus.