La Journée de la presse a été célébrée aux Comores avec un jour de décalage. C’était l’occasion pour la nouvelle présidente du Syndicat national des Journalistes des Comores de prononcer son premier discours devant ses collègues. La cellule communication de la présidence comorienne a également, pour la première fois, commenté le rapport de Reporter sans Frontières et la situation de la presse dans le pays par un communiqué dans lequel dominaient langue de bois et « fake news ».
Par MiB
Cette année les Comores ont gagné une place dans le classement mondial de Reporter sans Frontières (RSF), passant de la 84e à la 83e place sur 180 pays. Cela a été l’occasion pour la première fois, à l’occasion de la Journée de la presse, pour Beit-Salam de marquer une certaine satisfaction du gouvernement. Pourtant, lors de l’élection d’Azali Assoumani, les Comores étaient classées à la 43e place (classement 2017). C’est en comparant avec 2017 qu’on se rend compte à quel point la situation de la presse aux Comores s’est dégradée pendant les six ans de pouvoir Azali : le pays est descendu au total aujourd’hui de 40 places. Et c’est de cela que se réjouit la présidence comorienne.
Une fausse distinction
Le service de communication de Beit-Salam, dont on rappelle qu’il est coordonné depuis 2019 par Ahmed Ali Amir, l’ancien journaliste et pourfendeur des abus du pouvoir envers la presse, est satisfait et le fait savoir par un communiqué en date du 4 mai, date à laquelle la Journée de la presse a été célébrée par le Syndicat national des Journalistes des Comores (SNJC).
Dans ce communiqué, le passage de la 84e à la 83e place dans le classement RSF est qualifié avec beaucoup d’humour de « distinction ». Autrement dit, RSF a « distingué » les Comores pour sa 83e place sur 180 pays. Sérieusement ?
Pourtant, l’organisation qui défend la liberté de la presse et dénonce les abus des pouvoirs contre les journalistes commence le rapport de cette année sur les Comores par « Dans l’Union des Comores, l’intimidation et les arrestations de journalistes sont encore monnaie courante. »
Plus loin encore, on peut lire sur ce rapport : « Habitués à contrôler les médias d’État, les gouvernements successifs ne se sont jamais résolus à la liberté de ton des médias privés : censure, arrestations de journalistes et bloggeurs sont courantes. » (sic)
Les journalistes de RSF citent même la phrase du ministre des Finances qui menaçait les journalistes de les faire « mettre en pièces » par ses « hommes de main ».
Enfin, le rapport note encore une fois cette année que l’autocensure reste l’une des caractéristiques importantes du journaliste comorien « en raison de lourdes peines punissant la diffamation. », selon RSF.
Le pire code de l’Information a été voté et promulgué sous Azali
Alors, où est-ce que la cellule communication a vu une « distinction » des Comores ? Il s’agit bien sûr de propagande, d’une « fake news ». Les méthodes que cette cellule n’hésite pas à critiquer dans les médias privés présents sur les réseaux sociaux.
En réalité, tout le communiqué est basé sur des mensonges comme le fait de faire croire que le nouveau code de l’Information « protège mieux la liberté de la presse » ou « sécurise davantage les professionnels ». En réalité, après son adoption, puis sa promulgation six mois après par le chef de l’État, Azali Assoumani, les journalistes ont commencé à déchanter. Le nouveau code l’Information permet aux juges d’envoyer en prison un journaliste pour un écrit, alors qu’il était plus compliqué de le faire dans le précédent Code.
Moudjahidi Abdoulbastoi, un avocat qui défend souvent des journalistes emprisonnés par le gouvernement est catégorique : « Ce nouveau Code de l’information et de la communication, promulgué hier par Azali, est le pire que notre pays ait connu. Non seulement il ne protège ni les journalistes, ni le journalisme, mais paradoxalement il enlève aux derniers les quelques acquis intéressants qui figuraient dans les anciens codes… ce nouveau texte n’offre aucune protection statutaire » (déclaration sur son mur Facebook le 19 janvier 2022).
Une CNPA quasi entièrement nommée par le gouvernement
Le communiqué de la cellule communication de Beit-Salam aguiche et fait même croire que le gouvernement a créé un fonds qui aide les journaux privés : « Ce nouveau code a, par ailleurs, mis en place un fonds d’appui médias qui va remédier à une injustice qui consistait à ne financer que les médias publics… » (sic) En réalité, cette loi a été adoptée le 8 juin 2021 et n’a été promulguée par le chef de l’État que le 18 janvier 2022. Depuis, aucun fonds n’a été créé et aucun journal privé n’a reçu un financement du gouvernement.
Le communiqué affirme même que la nouvelle loi « renforce le rôle et la place de la Commission nationale de la Presse et de l’Audiovisuel », mais oublie de préciser que sur les 10 ou 11 membres (la loi est ambiguë sur le nombre) qui vont composer ce nouveau CNPA, un seul est nommé par le syndicat des journalistes et tous les autres par le gouvernement ou des instances gouvernementales, comme les médias d’État ou la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL). Comment, dans ces conditions, le CNPA peut-il exercer ses fonctions d’une manière « autonome » comme l’ordonne cette loi ? Comment peut-on parler d’un renforcement de son rôle alors que chaque membre devra sa présence dans cette commission au gouvernement ?
La cellule de communication de Beit-Salam pousse le bouchon jusqu’à se satisfaire du fait qu’actuellement, il n’y a aucun journaliste en prison. Ce qui est une réalité. Or le chef de cette cellule de communication, Ahmed Ali Amir, est parmi ceux qui ont toujours dénoncé l’autocensure qui oblige les journalistes à éviter de commenter la politique gouvernementale dans leurs articles pour éviter les ennuis avec le pouvoir. Après de nombreuses arrestations, des violences et même des tortures subies notamment par l’actuel Directeur de l’Information de l’ORTC (la radio et télévision de l’État), Toufeyili Maecha en 2019, les journalistes sont prudents et pratiquent sans limites l’autocensure. Cela d’autant plus que la nouvelle loi prévoit des sanctions plus sévères que les précédentes. L’objectif du gouvernement est peut-être ainsi atteint : pas de critiques, pas d’emprisonnements.