L’artiste Mahe Mouri, connu comme slameuse ou auteur (« Naniho », éditions Cœlacanthe) a appris au public récemment avoir subi des violences de la part de son mari, qui refuse toujours de divorcer et lui donner sa liberté.
Propos recueillis par MiB
Masiwa – Vous êtes sur le point de lancer le projet « Nkeme », pouvez-vous nous en parler ?
Mahe Mouri – Nkeme, qui signifie « Cris » en shiKomori est un ensemble d’activités artistiques que j’ai conçu pour accompagner des Hommes, femmes et enfants ayant vécu des violences de toutes sortes. Ces activités concernent le témoignage à travers l’écriture, le slam, et des causeries autour de livres abordant les thèmes de la violence. Ce projet a pris racine aux Comores, mon pays natal, et sera réalisé, inshallah, dans d’autres pays de l’Afrique de 2025 à 2026. J’ai commencé par mes propres témoignages que je présente lors d’événements spéciaux et créé une chronique «Nkeme» sur ma page Facebook où je publie régulièrement les violences que j’ai vécues et pour lesquelles je n’ai pas obtenu justice.
Masiwa – En quoi ont consisté ces violences sexistes ?
Mahe Mouri – J’ai lancé cette initiative parce que je suis moi-même une rescapée des violences, si l’on peut dire ça comme ça. J’ai vécu des violences physiques et psychologiques dans mon enfance qui. Elles ont laissé de graves séquelles sur mon état mental. Mon père me frappait souvent à la maison, et mes tantes m’avaient donné un surnom très péjoratif que je n’oserais pas révéler ici. Sans parler des disputes incessantes de mes parents. Je suis restée traumatisée. Depuis l’âge de 10 ans, je tentais de me suicider, car je ne supportais pas ces sévices. Par la suite, j’ai perdu la mémoire un bon nombre de fois, et fait plusieurs phases de dépression et de crises d’angoisses. J’ai aussi subi des viols lors de mes crises d’absence. Des escroqueries aussi et des manipulations. Par exemple, un psychologue qui était censé me suivre dans le cadre de mes traumatismes a détourné mon argent et m’a longtemps manipulé à sa guise. Plus récemment mon mari m’a frappée sauvagement avec un fil électrique et cela m’a causé plusieurs blessures sur mon corps. Il refuse de m’accorder le divorce et le kadi aussi refuse mes plaintes. Je n’ai pas obtenu justice pour tout ça. Alors, à défaut, je me replie dans l’art et je témoigne. Ça m’aide beaucoup à surmonter mes souffrances.
Masiwa – Quels genres de violences contre les femmes rencontre-t-on le plus aux Comores, selon vous ?
Mahe Mouri – Je ne suis pas une spécialiste des théories sur les violences basées sur le genre. Il est vrai qu’aux Comores nous vivons dans une fausse société matriarcale, où de nombreuses femmes sont lésées et soumises au silence, mais il n’y a pas que les femmes qui sont victimes de violences. J’ai eu à côtoyer plus de cinq hommes qui ont subi des viols dans leur enfance. Je vois tous les jours des petits garçons violentés dans la rue, parce qu’ils ont séché l’école ou refusent d’obéir. Mon propre fils de 6 ans a récemment été traumatisé par son maître coranique. Ce dernier lui a rasé la tête de façon très humiliante, car il considérait que ses cheveux étaient sales. De nombreux élèves, filles ou garçons subissent encore la chicotte à l’école. J’ai récemment vu une vidéo sur Facebook, où un monsieur exigeait de frapper un mendiant visiblement porteur de troubles mentaux, avant de lui donner de l’argent. De même, j’ai vu une vidéo de jeunes danseurs qui étaient sur scène, quand subitement un homme est arrivé avec une ceinture à la main pour frapper sa fille. Je crois que la violence existe partout et pour tout le monde. C’est pourquoi les solutions doivent être générales. Dans mon projet, je prône un féminisme égalitaire. Il ne s’agit surtout pas de placer la femme dans un statut de victime éternelle où l’Homme serait vu comme un bourreau. Il faudrait que nous reconstruisions ensemble nos pensées et croyances traditionnelles qui sont très restrictives. Et ça, c’est un travail d’équipe qui nécessite l’intervention de plusieurs spécialistes : psychologues, leaders, artistes…
Masiwa – Comment expliquer que dans une société très croyante et dont on dit que les femmes sont adulées, on a tant de violences ?
Mahe Mouri – À mon avis la plupart des personnes qui commettent des actes de violence aux Comores n’ont pas compris leur religion. Et malheureusement, l’islam qui est pratiqué chez nous est relié à d’autres croyances traditionnelles qui contrarient souvent les versets coraniques. Là où le coran dit d’honorer et de respecter la femme par exemple, la coutume comorienne dit à l’Homme d’exercer un pouvoir de domination absolu sur la femme. De même, si la tradition musulmane exige qu’un Homme bâtisse un foyer pour accueillir sa femme, chez nous c’est plutôt à la femme d’héberger son conjoint. Ce genre de paradoxes fortement ancrés dans notre société sont à l’origine de nombreux conflits. C’est pourquoi je dis que notre société est faussement matriarcale.
Masiwa – Que peut-on faire chacun dans son coin ou en groupe pour que cette violence diminue ?
Mahe Mouri – Je crois que pour résoudre un problème, il faut toujours prendre en compte ses origines. Nous voyons et vivons tous les jours des actes de violence que nous finissons par négliger, car nous n’avons pas conscience que cela peut avoir des conséquences sur nous ou sur les autres. Beaucoup de personnes vivent dans le déni.
Pour mon cas par exemple, j’ai réussi à identifier l’origine de mon légendaire mal-être (rires) grâce au slam. Je me souviens encore de la première fois que je suis montée sur scène à Madagascar avec mon texte intitulé « Ma cicatrice » en 2015. C’est à partir de là que j’ai entamé les démarches pour voir un spécialiste. Ce que je veux dire c’est qu’il faut une prise de conscience collective des dangers liés aux violences. Il ne s’agit plus de brandir des slogans « Stop violence » dont tout le monde se moque, mais de créer des espaces d’échanges avec des spécialistes de la santé mentale.
Les campagnes de sensibilisations contre les violences menées localement s’avèrent insuffisantes, car il n’y a pas de dispositifs efficaces de suivi ni de prise en charge. Pour mon cas par exemple, de nombreuses associations m’ont promis de l’aide à laquelle je n’ai jamais pu bénéficier.
Pour répondre à la question du « comment on pourrait réduire les violences ? », je crois qu’il faudrait réunir tous les spécialistes pour agir. Nous avons pris l’habitude de travailler seuls chacun dans son coin. Je suis convaincue que si les autorités publiques, les psychologues et psychiatres, les leaders engagés dans les associations et ONG, les cadres juridiques, les chefs religieux, les artistes se mettent ensemble pour combattre ce fléau, la violence ne sera plus qu’un lointain souvenir aux Comores. Nkeme c’est avant tout un cri d’appel à l’aide. J’espère qu’il sera entendu par toutes ces personnes et qu’on pourra travailler ensemble.