Pour de nombreux pays dans le monde, l’eau est une ressource stratégique, source de tensions. Les Comores n’en font pas exception. La question hydrique est une problématique de premier ordre pour la population, vivant pour une partie d’elle des crises de l’eau.
Par Nezif-Hadj Ibrahim
Dans le cadre de l’aboutissement de ses études de Master en Géophysique et Géomagnétique à l’Institut et Observatoire en Géophysique de l’Université d’Antananarivo, Luckman-Suleimane Takiddine Salim, originaire de Tsembehou, à Anjouan, a porté son regard sur l’étude des dispositions hydrique de son île. Son mémoire, intitulé « Schéma directeur d’utilisation des ressources en eau de l’île de Ndzuani, en Union des Comores », a permis de mesurer la capacité des sources hydriques par rapport aux besoins de la population, aux besoins dans le domaine économique, à l’horizon 2065 en prenant en compte la croissance démographique, le changement climatique ainsi que les besoins économiques de la population. Le constat est inquiétant.
Des potentiels hydriques en décroissance
Il est loin le temps où Anjouan était débordée de partout par l’eau. L’abondance en eau, notamment pluviale, faisait que l’île possédait une richesse en eau douce considérable. Luckman-Suleimane Takiddine Salim rappelle d’ailleurs dans l’introduction de son mémoire que l’île « rencontre un grave problème de disparition de ses ressources en eau superficielles. Alors que 49 cours d’eau pérennes étaient recensés en 1950, en 1970, il n’y en avait déjà plus qu’une trentaine et, d’après les statistiques, il ne resterait plus aujourd’hui que « cinq cours d’eau permanents ». Même si certaines localités semblent subir des pénuries en eaux douces, le niveau pluviométrique est cependant suffisant par rapport aux besoins actuels de la population. Cependant, au cours de ces dernières années, l’île se trouve dans une situation de manque d’eau. « Cette situation est liée au problème de déboisement et d’érosion des sols entraînés par l’utilisation irrationnelle de la forêt », constate le jeune chercheur. Ces manques résultent aussi de l’absence d’adaptation face au dérèglement climatique en termes d’infrastructures. Ce qui fait qu’il faut aussi ajouter l’intensité des pluies qui « endommagent des barrages et des captages ». La Banque mondiale relève aussi ce facteur. En effet, selon l’Institution financière internationale « sous l’effet des dérèglements du climat, un grand nombre de ses infrastructures vont devenir de plus en plus obsolètes, quand ce n’est pas déjà le cas » ; ce qui rend la problématique de l’infrastructure centrale dans la gestion durable de l’eau. De toute façon, la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme : « Selon des estimations basées sur les pratiques actuelles de consommation, la Planète sera confrontée à un déséquilibre de 40% entre l’offre et la demande mondiales en eau d’ici 2030 ».
Des ressources fortement dépendantes
Le changement climatique influe sur les périodes météorologiques, en accentuant les saisons. Ainsi, les pluies sont-elles abondantes et les saisons chaudes, davantage plus sèches dans cette zone tropicale. Cette configuration se répercute sur les potentialités en eaux des Comores, donc de l’île d’Anjouan aussi. Selon les experts « le changement climatique aggravera cette situation en modifiant les cycles hydrologiques, en rendant la pluviométrie plus incertaine et en exacerbant la fréquence et l’intensité des inondations et des sécheresses ». Étant donné l’attention portée sur l’environnement et ses ressources dans le monde, et au regard des alertes sur la multiplication des effets du changement climatique, il est tout à fait approprié de soutenir que le contexte climatique actuel met en danger nos ressources en eau. En plus, pour le GIEC, les Petits États Insulaires sont dans une fragilité environnementale de par leur situation géographique, qui les met à la portée des montées de la mer et des cyclones. Il est évident que « cette atteinte à la sécurité hydrique a pour cause la croissance de la population, l’urbanisation vertigineuse, la sècheresse, la dégradation des sols, les changements climatiques ». Le facteur anthropocène est non négligeable certes, mais la dépendance à la météorologie est telle que les résultats obtenus à l’issue de la recherche de Luckman-Suleimane Takiddine Salim au cours de ses études sont d’une pertinence élevée.
Des besoins en augmentation en raison de la croissance démographique
Alors que la démographie de l’île de Ndzuani est constamment en la hausse, « une très faible partie de la population comorienne dispose d’un accès à l’eau potable », prévient l’Agence française du Développement (AFD). Sur son site officiel, l’organisme français rattaché au ministère des Affaires étrangères en matière de développement parle de trois axes d’intervention dont l’objectif est de « mieux gérer et de protéger les ressources ». Le premier axe se rapporte à la « modernisation et la construction des infrastructures hydrauliques sur les trois îles des Comores », ensuite à « l’appui à la professionnalisation des opérateurs locaux et à la gouvernance du secteur pour améliorer le service public ». Le troisième axe veut « préserver et augmenter la disponibilité des ressources afin de subvenir aux besoins grandissants des populations ». On apprend également : « que toutes les activités agricoles ne dépendent pas de ces cours d’eau, car il n’existe pas actuellement d’infrastructures hydrauliques, mais plutôt les ressources hydriques provenant de la précipitation qui sont disponibles en quantité relativement importante et peuvent être utilisées directement ».
La question des infrastructures hydrauliques
Pour une population estimée à l’horizon 2065 à quelque 800.000 habitants, l’île représentera une forte demande en eau, à des fins diverses, mais fortement relatives à son existence. D’ailleurs, l’eau revêt un caractère particulier pour les aspirations de développement des pays. De fait, dans une situation de crise de l’eau, ce sont les dimensions concomitantes au développement qui seront ébranlées. Pour la Banque mondiale « les risques qui pèsent sur la sécurité hydrique mettent gravement en péril la réalisation des objectifs mondiaux de développement durable ». Cette prévision, qui paraîtrait lointaine pour beaucoup, doit interpeller les décideurs politiques dès aujourd’hui. Les Comores étant parties prenantes dans plusieurs conventions sur le développement durable ne peuvent être insensibles à la finalité que ce concept poursuit. En effet, il suppose la gestion des ressources dans un souci d’équité, plaçant la préservation de l’environnement à la base de la recherche des intérêts économiques pour satisfaire les besoins actuels de la population, ainsi que des générations à venir. Il n’y a pas de nécessité de forages en présence des eaux douces sur la surface, telle est l’idée mise en exergue dans le mémoire de Luckman-Suleimane Takiddine Salim. Comme en Grande-Comore, l’exploitation de la ressource d’eau à Ndzuani dépend donc d’une meilleure dotation infrastructurelle. Ce besoin doit tenir compte du fait que « pour l’ensemble de l’île, les réservoirs sont alimentés par des ouvrages de captage de source et de rivière avec des systèmes d’adductions de types gravitaires qui assurent les besoins quotidiens en eau de la population », note Luckman-Suleimane.
Compte tenu de la tendance à la hausse de la démographie et en raison de la situation climatique fragile dont les raisons sont à la fois endogènes (la déforestation) et exogènes (le dérèglement climatique), une gestion durable de l’eau suppose qu’au niveau de l’île des mesures et des actions concrètes puissent être prises. Le reboisement dans les bassins versants et les lacs répond à ces solutions, une activité menée par le Parc National du Mont Tringi et l’ONG Dahari.
Le natif de Tsembehou propose aussi ses solutions pour éviter une crise de l’eau à l’horizon 2065. Il rappelle ainsi la création d’un ouvrage hydraulique qui permettra entre autres la diminution des pertes de l’eau et des eaux d’adduction.