La journaliste Faïza Soulé Youssouf était l’invitée de « Paroles aux femmes » à l’Alliance franco-comorienne de Moroni le 14 octobre. Par son témoignage sur son parcours, l’auteur de « Ghizza » a permis au public d’appréhender la question de l’émancipation des femmes dans la société comorienne.
Par Hachim Mohamed.
L’importance que prennent les questions sociales, notamment la responsabilité dans la diffusion de l’information, la parité institutionnelle en tant que l’un des éléments qui peuvent permettre l’accès d’un plus grand nombre de femmes aux responsabilités, le métier de journaliste ainsi que la formation des plus jeunes professionnels de l’information, la mauvaise perception de l’imaginaire collectif de la société comorienne ont été, entre autres, les sujets abordés dans « Parole aux femmes » à l’Alliance franco-comorienne, la journaliste Faïza Soulé Youssouf.
« Dans toutes les professions, il y a toujours les bons et les mauvais spécialistes. Par exemple, on peut parler d’un bon ou mauvais médecin, d’un bon ou mauvais mécanicien, etc. Mais, les gens sont prompts à tirer à boulets rouges sur les journalistes comme ils sont les seuls professionnels qui présentent de la « brebis galeuse » dans les différents secteurs de la société », a recentré d’emblée un brin agacée la journaliste d’Alwatwan répondant à une question. Pendant cette « tribune de paroles aux femmes », la modératrice Nasrat Mohamed Issa a brossé le portrait en forme de biographie de Faïza Soulé Youssouf qui est née en 1985 aux Comores.
Une dizaine d’années dans le journalisme
Pour un personnage du paysage médiatique d’un pays où la religion, la tradition, l’ordre établi revendiquent encore la subordination de la femme à l’homme et affirment ouvertement son infériorité et la supériorité ontologique et juridique des mâles et où des obstacles importants limitent une participation maximale des femmes à la vie publique, le parcours de cette femme journaliste a toujours été guidé par une volonté forcenée d’indépendance et de liberté.
C’est à Al-watwan que Faïza Soulé Youssouf a fait ses premiers pas dans la presse écrite, plus précisément au niveau de la rubrique « Culture », ensuite « Société » pour finir cheffe de la rubrique « Politique ».
C’est dans ce média d’État comorien également qu’elle a été élue rédactrice en chef en 2017 avant de démissionner 11 mois plus tard dans un contexte politique tendu aux Comores.
La modératrice a souligné le caractère exemplaire de la carrière d’une compatriote qui depuis dix ans montre la voie à toutes les femmes comoriennes modernes qui doivent prendre une place plus importante dans notre société.
Selon Nasrat Mohamed Issa, Faïza Soulé Youssouf se veut être une journaliste « sans frontière », dans la mesure où elle est correspondante de plusieurs radios et Télévision dont Mayotte la 1ère et Réunion la 1ère.
Sans compter les piges qu’elle fait dans plusieurs médias comme correspondante de l’agence Bloomberg, « Le Monde » ou « Afrique XXI ».
Deux fois licenciée à Alwatwan
Sous le feu roulant des questions du public, la journaliste répondait aux questions en racontant sa vie qui est parsemée de péripéties aussi incroyables les unes que les autres.
Dans un long flash-back qui dépeint le rapport de passion qui s’est noué entre la journaliste et son métier devenu trop « réseau social » avec les fake news au point qu’il est vilipendé sans discernement.
Par deux fois licenciée du journal Al-watwan, par deux fois, Faïza Soulé Youssouf renait subrepticement dans un autre organe de presse, la Gazette des Comores.
La romancière Faïza Soulé Youssouf a passé en revue ce qui s’est passé quand à l’époque du référendum du 30 juillet 2018, elle avait fait l’objet de nombreuses menaces de la part du ministre de l’Intérieur.
Des affres du métier qu’elle a eu à souffrir, subir et affronter, l’accent avait été mis sur un « live Facebook » réalisé par la journaliste suite à l’agression d’un gendarme qui a eu la main tranchée dans un bureau de vote de Moroni ; son licenciement en 2014 d’une agence de voyages, la « censure » de la part des autorités de son article intitulé « le référendum de tous les dangers ».
Lorsque la nouvelle directrice de l’Alliance franco-comorienne lui a demandé pourquoi après ses études à l’étranger elle a préféré rentrer au bercail pour travailler nonobstant les problèmes dans la vie active au pays, elle a répondu par une réponse lapidaire : « Ma vie, c’est ici. Je ne me vois vivre dans un pays autre que les Comores ».
Le refus des carcans de la société comorienne
La modératrice s’était arrêtée sur ces attributs vestimentaires qui sont des symboles de l’oppression des femmes. Une question lui est venue à l’esprit quand elle s’est rendu compte que Faïza Soulé Youssouf était en jean troué par endroits.
Concrètement, ce sont ces considérations morales, ces convenances sociales dans lesquelles d’une manière caricaturale la femme qui s’habille en homme, c’est un trouble à l’ordre public, mais un homme qui s’habille en femme, ce n’est pas plus supportable. À suivre la réponse de Faiza et cela sans être excessif, elle prend des allures du personnage de son roman intitulé « Ghizza ». Une allusion au récit d’une fille paumée, peu importe d’où elle est issue et dans l’imaginaire, similaire à des milliers d’autres histoires, ici comme ailleurs. Le refus du personnage devant n’importe quel dictat de symboles n’est pas orienté par le refus des valeurs de la société. La réponse à la tenue vestimentaire de la journaliste, qui lui vaut une salve de critiques à l’entrée des bâtiments publics, traduit plus le refus des carcans. Faïza Soulé Youssouf est une femme du monde.
Manque de journalistes chevronnés
C’est aussi en tant que présidente du syndicat national des journalistes comoriens depuis quelques mois que Faïza Soulé Youssouf est interpellé sur « les graves dérives déontologiques ».
« Avec mes dix ans d’expérience dans le journalisme, je ne vais pas me comparer avec ceux qui ont trente ans et plus derrière eux. Le problème, c’est que le métier est délaissé même dans les rédactions, je parle de l’encadrement. Au niveau d’Alwatwan, il y a encore une chance d’avoir deux journalistes chevronnés qui peuvent donner des conseils, mais ce n’est pas le cas partout. Nous comptons sur l’appui de partenaires pour un projet de formation de journalistes, notamment le journalisme en shikomori. », affirme la journaliste qui estime que le français n’est pas une langue qui parle à nos compatriotes.
Faïza Soulé Youssouf, qui est rentrée au bercail après des études de Droit au Maroc, s’est nourrie en grande partie dans la maitrise des ficelles du métier par la pratique directement dans les rédactions. Pour la simple et bonne raison, selon elle, que se jeter à la « mer du métier » pour apprendre constitue une expérience de vie fabuleuse et très formatrice.
Faïza Soulé Youssouf est aussi autrice qui a écrit « Rêves obscurs » (poèmes) et « Ghizza » (roman). Elle a participé à la rédaction d’un ouvrage collectif sur les médias aux Comores dont la publication a eu lieu cette année.