Par Nezif-Hadj IBRAHIM
Le 13 mai dernier, une vidéo montrant deux hommes dans des ébats sexuels fuite sur Facebook. Dans la foulée, une campagne de condamnation gagne l’espace public virtuel. Pour beaucoup de gens, l’homosexualité n’épouse pas notre culture ni notre religion. Certains ont même appelé le gouvernement à rechercher les personnes impliquées dans la vidéo pour les châtier sévèrement afin de dissuader d’autres de s’adonner à de telles pratiques qui risquent de bouleverser l’ordonnancement sociétal des Comores. Cependant, dans cette polémique d’aucuns ont élevé la voix pour demander le respect de la vie privée des Comoriens et de leurs droits à choisir leur orientation sexuelle. Or, les Comores sont un État dont la religion du peuple est l’islam dans son unicité selon le Préambule de la Constitution de 2018.
Les droits fondamentaux
Dans les débats engagés, les « progressistes » défendent l’idée selon laquelle l’individu seul doit avoir une marge de manœuvre qui lui permette de décider de ce qu’il veut faire de son corps sans qu’une pression sociale ne lui dicte ses choix. Pour eux, il s’agit d’un idéal sociétal qui œuvre à l’autonomisation et à l’émancipation de l’individu.
Seulement l’orientation sexuelle n’est pas un droit fondamental aux Comores, ce n’est pas un droit tout court. Certes la Constitution en vigueur reconnaît dans son Préambule son « attachement » aux conventions internationales attachées aux principes des droits fondamentaux.
La question de la valeur juridique de ces documents et de l’application des règles qui y sont consacrées ne serait être prégnantes de facto. Par exemple, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme cité parmi les actes de référence des droits fondamentaux pour l’État comorien n’est qu’une déclaration non pourvue de valeur juridique. Voilà tout le problème. Il convient de se demander si le Préambule de l’acte fondamental comorien est dénué de toute force normative ou non. Il est vrai que dans des pays comme la France les droits et libertés contenus dans la Préambule de la Constitution de 1946 ont une valeur constitutionnelle. Sauf qu’en France, c’est une décision de la Cour Constitutionnelle qui a élevé ces dispositions au haut de l’échelle des normes juridiques. Aux Comores, ce ne serait pas encore le cas. En Afrique continentale, des pays francophones ont des Constitutions dont le Préambule n’a pas de valeur constitutionnelle, à l’exemple du Maroc et du Togo.
De toutes les façons, parmi les droits et libertés cités dans notre Constitution, le droit à l’orientation sexuelle n’y figure pas.
Le cadre privé et la menace aux bonnes mœurs
La question de l’homosexualité qui occupe le débat public depuis quelques jours invite à identifier concrètement la morale publique qui domine la société comorienne et de ses influences symboliques qui fondent ses croyances et ses outrages. Les Comores sont un pays musulman dont le péché, l’acte répréhensible socialement trouve d’abord sa consécration dans le champ de la religion.
Certes, le degré de leur condamnation n’est pas uniforme, en ce sens que ce qui est puni dans la religion musulmane gravement ne l’est pas socialement comme la fornication. Mais, toujours est-il que le socle de sanction est d’abord la religion. Et l’homosexualité est gravement punie par la religion et celle-ci fonde nos bonnes mœurs en grande partie. Les bonnes mœurs sont aussi une source dans la formation du droit. Et elles ne s’arrêtent pas que dans l’espace public. En effet, ceux qui militent pour le respect de la vie privée invoquent le fait que les actes d’homosexualité sont accomplis dans un cadre privé. Toutefois, cet argument n’est pas compatible avec les règles qui visent à protéger les bonnes mœurs d’autant plus qu’il serait, par exemple, inopportun pour la loi de ne pas régir le foyer conjugal, cela lui aurait empêché de ne pas sanctionner l’inceste parce que le théâtre de l’acte est protégé légalement contre les intrusions.
Par ailleurs, comme pour l’affaire de la vidéo mettant en scène deux hommes, rien ne prouve que ce genre d’actes heurtant la morale publique comorienne resteront circonscrits dans le cadre privé. Et par la force des choses, ils auront une incidence dans l’éducation que la société représente par ses valeurs.
Les droits de l’homme et les droits fondamentaux
Dans une conférence de presse, le ministre de la Justice a avait annoncé que les autorités compétentes allaient tout faire pour trouver les deux hommes et les sanctionner sévèrement.
Le 21 mai, un des deux hommes, Oumour Kari, a été arrêté à l’aéroport de Hahaya. Il voulait se rendre en Tanzanie. Mardi 24 mai, il a été placé sous mandat de dépôt. Il lui est reproché d’avoir commis des actes sexuels « contre nature et contre les bonnes mœurs » et d’avoir publié « dans les réseaux sociaux des images pornographiques au cours de rapports sexuels pornographiques ».
En effet, les faits homosexuels sont pénalement sanctionnés dans l’article 300 du nouveau Code pénal des Comores. Il est dit « tout acte de caractère sexuel contraire aux mœurs ou contre nature sera puni de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 100.000 à 300.000 francs ».
Débat sur l’occidentalisation de la société comorienne
L’universalisme idéologique est au centre du débat sur l’homosexualité aux Comores. Cette approche des philosophes des Lumières qui prône l’unicité de l’être humain indépendamment de son environnement social a fait l’objet de l’une de leurs plus féroces critiques. En effet, pour ce courant, l’individu est un être absolu qui s’impose dans toutes les sociétés, une idée qui a aussi commandé les projets colonisateurs des populations d’Afrique. Pourtant on peut difficilement comprendre que la société n’a pas une identité propre dans chaque territoire du monde où l’humain vit en groupe.
Toutefois, il faut reconnaître que la lutte idéologique qui traverse toutes les sociétés humaines doit permettre de faire évoluer les valeurs sociales aux Comores sans pour autant rendre le mot « évolution » synonyme avec d’occidentalisation.
Il faut d’ailleurs rappeler que l’homosexualité n’est pas un fait typiquement occidental, c’est aussi une réalité du monde musulman. Cependant, c’est sa criminalisation qui nous différencie. Étant un fait « normal » dans des pays comme la France, il ne l’est pas aux Comores. Dans le monde, 69 pays ne reconnaissent pas le droit à l’orientation sexuelle, en Afrique 32 sur 54, en Asie 22 sur 42, en Amérique latine et dans les Caraïbes ce sont 9 pays sur 33 et en Océanie c’est 6 sur 14. Quant à l’Europe et l’Amérique du Nord, les lois sont ouvertes à des pratiques homosexuelles, y compris lesbiennes selon le site Observatoire des inégalités.
Cependant, on doit reconnaître un décalage entre la réalité et les textes. En Russie par exemple, si depuis 1993 l’homosexualité est dépénalisée, cela ne prouve pas pour autant que les personnes concernées pratiquent en toute quiétude. En juin 2021, la Hongrie a adopté une loi qui interdit « la promotion » d’homosexualité aux mineurs. Le texte a été évidemment mal accueilli par la Commission européenne qui le juge contraire aux valeurs de l’Union européenne. Tout cela pour dire que le droit à l’orientation n’est pas un droit internationalement acquis puisqu’il est sujet de division par rapport aux législations des États qui sont aussi l’expression de leurs mœurs.