Militante pour la cause des femmes aux Comores depuis de nombreuses années, Zahara Abdallah est toujours sur le terrain, notamment contre les cancers gynécologiques. Elle revient dans cette interview sur les présupposés qu’on entend encore de la part de certains intellectuels qui prétendent que les femmes comoriennes sont dans une position meilleure qu’ailleurs, et même meilleure que les hommes.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Notre époque voit la montée fulgurante des femmes sur le marché du travail à la suite de leurs succès scolaires impressionnants. Comment appréciez-vous ce phénomène aux Comores ?
Zahara Abdallah – Statistiquement, il semble que le nombre de femmes occupant un emploi est en augmentation par rapport à un passé récent. On a aussi l’impression que de plus en plus de filles sont inscrites à l’école. Maintenant il faut être prudent et se demander si ce n’est pas une illusion d’optique. Dans notre société les goulots d’étranglement sont toujours là : la conviction que la place de la femme est au foyer, la priorisation du garçon par rapport à la fille à l’école, les mariages précoces… Autre chose : il faut, d’un autre point de vue, se demander encore quels types d’emplois occupent les femmes.
Masiwa – Traditionnellement, les femmes ont assumé la plus grande part des responsabilités familiales et domestiques. Mais le vent du changement a vu les femmes sortir de plus en plus de la sphère domestique et dépendre de moins en moins des hommes pour assurer leur bien-être matériel, comment la femme comorienne gère ce changement de paradigme sociétal ?
Zahara Abdallah – D’une manière générale, les femmes comoriennes sont toujours responsables de leurs foyers. Ce n’est pas parce qu’elles travaillent qu’elles s’en occupent moins. Elles s’organisent pour que les tâches ménagères soient toujours accomplies. Aujourd’hui, les Comoriennes ne demandent pas à leur mari de faire la cuisine ou la lessive. Il y a toujours des exceptions qui confirment la règle. Je ne crois pas que les familles comoriennes sont bouleversées parce que les femmes travaillent. Loin de là.
Masiwa – En occident, dans l’imaginaire collectif, le voile symbolise la soumission de la femme aux diktats d’un patriarcat qui n’aime ni la modernisation ni l’émancipation des femmes. Qu’en est-il pour les Comores ?
Zahara Abdallah – Les religieuses chrétiennes en Occident portent le voile sans que cela ne dérange personne. Pour nous, le voile fait partie d’une tradition intégrée et acceptée. Il ne signifie pas soumission. Personne aux Comores n’est obligé de porter le voile. On le porte parce que cela fait partie de nos habitudes et esthétiques vestimentaires. Maintenant, on peut toujours discuter le fait que certains collègues de l’Éducation nationale adoptent le voile noir (bwibwi) comme uniforme scolaire pour les petites filles.
Masiwa – Les hommes qui dominent les partis politiques et qui détiennent les leviers en matière de décision sociétale ont peur des femmes, peur de perdre leur place et leur pouvoir. Que leur répondez-vous ?
Zahara Abdallah – Nous sommes dans une société globalement favorable aux hommes s’agissant de la gestion des affaires politiques. Je ne dirais pas comme vous que les hommes craignent les femmes. Je ne le pense pas. Ils ont été éduqués dans l’idée que les responsabilités politiques doivent être assurées par des hommes. Mais, on assiste à une lente évolution. Nous devons poursuivre l’effort de changement des mentalités afin de permettre à plus de femmes d’accéder aux sphères de décision. Je vous renvoie à ce propos à la Loi Hadjira qui a été adoptée par le Parlement comorien.
Masiwa – Justement, à ce sujet, quand une femme occupe une fonction publique, des agressions sexistes se déchaînent contre elle. Avez-vous une anecdote qui vous a marquée parlant de ses formes de machisme et de sexisme ?
Zahara Abdallah – Des femmes se sont en effet plaintes d’avoir été victimes d’agressions au travail. C’est manifestement devenu actuellement un problème récurrent dans notre société. Les organisations féminines y travaillent en partenariat avec les cellules d’écoute. C’est un travail de longue haleine qui exige de tous un effort constant d’éducation et de sensibilisation.
Masiwa – Le viol et les violences conjugales font partie du quotidien de nombreuses femmes. L’ACCF, dont vous êtes la présidente, aborde-t-elle ces sujets ?
Zahara Abdallah – D’abord l’ACCF (Association contre le Cancer chez la Femme) est une association qui s’occupe de la lutte contre les cancers gynécologiques chez la femme. Les questions de viols ne font pas partie de son mandat. Et le viol qui a été le plus souvent évoqué dans les différentes rencontres est le viol des mineurs (filles ou garçons). C’est manifestement un fléau qui se développe au sein de la société comorienne. Je rappelle ici la Loi Mourad Said Ibrahim qui a alourdi les peines pour ces crimes. Mais nous savons que les mesures répressives à elles seules ne suffiront pas pour endiguer ce fléau. Là aussi, l’on aura besoin d’une campagne énergique d’éducation et de sensibilisation.
Masiwa – En France, dans le combat des femmes, il y a eu beaucoup d’avancées. On peut citer, entre autres, l’autorité parentale partagée, la criminalisation du viol en 1990, la loi sur la parité en politique… Que retenez-vous un tant soit peu comme acquis dans ce domaine aux Comores nonobstant le fait qu’il reste beaucoup à faire ?
Zahara Abdallah – Je vous ai parlé de la Loi Hadjira qui oblige les partis politiques à présenter des candidates aux élections législatives, c’est à mon avis une avancée importante. Il existe aussi aujourd’hui un Code de la Famille qui règlemente les problèmes de mariage, de divorce, de succession, etc. Je ne dis pas qu’il est toujours respecté, mais il consacre un certain changement de la société en faveur des femmes. Il faut noter qu’aujourd’hui aux Comores, il y a des hommes obligés par des décisions de justice à payer des pensions alimentaires à leurs anciennes épouses. Ceci constitue un progrès indéniable.
Masiwa – Sous d’autres cieux, l’histoire de certaines femmes battantes est étroitement liée à quelques volets précis comme la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qu’en est-il de la vôtre pour les droits de femmes aux Comores ?
Zahara Abdallah – On l’oublie aujourd’hui, mais la mise en œuvre du Planning Familial n’est pas issue du hasard. Elle a été le fruit d’une âpre bataille du Réseau Femmes et Développement que j’ai eu l’honneur de présider pendant quelques années, contre les dignitaires religieux et contre toutes les forces conservatrices du pays. Les nouvelles générations de femmes vont certainement relever de nouveaux défis, je n’en doute pas.
Masiwa – Que conseillez-vous à la nouvelle génération féminine, dans laquelle se trouvent de plus en plus d’entrepreneuses ?
Zahara Abdallah – J’ai été fonctionnaire durant toute ma carrière. Je n’ai pas d’expérience dans ce domaine de l’entrepreneuriat. Maintenant avec le recul, je conseille à tous les jeunes qui m’approchent de ne pas se laisser tenter par la fonction publique, mais de lutter pour s’émanciper dans le secteur privé, pour participer au développement des richesses nationales. Je suis sûre qu’elles ne le regretteront pas.