Dans son petit univers qui semble parfois souffrir de tous les maux de la terre, la plus grande partie des Comoriens occupée à chercher des moyens de survie ou de divertissement ne trouve pas le temps de lire. La lecture, hors celle du Coran, ne fait partie des activités privilégiées par ce peuple assez pris par les derniers ragots du voisinage ou les cris de guerre propagés par les médias.
Par Noussaïbaty Ousséni Mohamed Ouloubé
En brodant sur les vérandas ou en jouant aux cartes sous les badamiers, mains et bouches absorbées, où trouveraient-ils le temps de lire ? La jeune génération élevée dans ce monde où la palabre défie la connaissance se retrouve ainsi prise dans le piège des réseaux sociaux et le livre reste pour elle un amas de papiers sans grande importance. Il nait pourtant de ce peuple des jeunes qui ont découvert la magie du livre et qui se surprennent à écrire, comme Ali Zamir qui est l’auteur comorien le plus loué par le monde du livre ainsi que par la plupart des Comoriens qui entendent parler de lui qu’ils soient lecteurs ou non.
Un grand lecteur
Zamir fait partie des jeunes comoriens qui exceptionnellement ont eu la chance de palper le livre en étant enfants et qui ont grandi avec cet amour envers la littérature. Comme il le dit lui-même, c’est à force de lire qu’il a fini par avoir le besoin de s’exprimer aussi à travers l’écriture. Il dit ne pas avoir la prétention d’être un auteur engagé qui veut écrire pour les autres, car quand il saisit sa plume, il le fait d’abord pour lui, car il a en lui cette envie de noircir des pages blanches avec tout ce qu’il ressent. Toujours caché sous son chapeau, il se décrit comme étant de nature timide et en voyant l’énergie dégagée par ses personnages, le lecteur ne peut qu’être étonné par l’abime qui sépare la personnalité de l’auteur et les personnages qu’il imagine. Dans ce sens, il serait plus aisé de dire que le livre étant une fiction ne mérite aucune comparaison avec son auteur qui est lui réel, mais cela ne serait qu’une vaine tentative cherchant à mettre plus d’anguilles sous la roche de l’imaginaire qui n’est autre que le monde fantasmagorique d’un auteur étouffé par des réalités qu’il a du mal à exprimer dans sa vie réelle. Ali Zamir est donc cet homme timide qui se cache derrière son chapeau quand il fait face au vrai monde et qui parle avec hésitations pour ensuite nous peindre des personnages jubilants d’extase et d’énergie à la parole aisée et infinie comme dans son premier roman « Anguille sous roche » écrit avec seulement une seule phrase qui s’étend sur plus de trois cents pages.
Un OVNI littéraire
Dhoulkarnaine Youssouf, journaliste à l’ORTC, fervent lecteur et probablement grand fan de Zamir le décrit comme étant « un OVNI littéraire qui se démarque par son style et le choix de ses mots. Pour lui l’auteur cherche à se libérer de certaines contraintes imposées par la langue en restant fidèle à lui-même. Avec toujours des personnages singuliers par leurs noms ou leurs caractères, l’auteur commence toujours ses récits par un incipit dynamique en mettant dès le début des personnages qui se retrouvent en difficulté. Il faut lire Jouissance pour découvrir un Zamir un peu différent dans la mesure où il donne dans ce roman fraichement publié la parole au livre lui-même ». Pour Zamir, il n’est donc pas question de rester coincé dans la situation initiale, éléments perturbateurs, péripéties et situation finale. il ramène dès les premières phrases le lecteur dans un monde assez morose attendri pourtant par l’humour cynique de l’auteur.
Des personnages atypiques
Souvent interpellé pour son français trop complexe pour certains, on lui reproche de donner à ses personnages sortant souvent de la petite société une expression française qui ne peut être utilisée que par des personnes sortant des hauts rangs d’une société. Il suffirait pourtant de se familiariser avec la société comorienne au sein de laquelle l’auteur a grandi pour se rendre compte que nombreux sont ceux dont les diplômes prennent froid et poussière dans des sacs malgré leur niveau d’instruction et leur capacité de s’exprimer en langue française. Ces gens-là prennent aussi la poussière dans les chantiers alors qu’ils se voyaient avocats ou autres. L’art n’est qu’une interprétation de la réalité. Ainsi les personnages de Zamir décrivent une réalité parfaitement comorienne et ils permettent aux gens de rire de leurs propres malheurs, car comme ils disent ‘ »zi mbi dezi tsesao ». Dans tous les cas, il n’est pas question pour l’auteur de faire ce que les gens attendent de lui, car comme il le dit, il n’est pas Zola et ne se sent pas par conséquent obligé d’écrire des livres parfaitement réels selon la conception de certains comoriens qui semblent penser que le français appartient aux Français et qu’il n’est pas accessible à tous, car ce même français l’a sauvé en lui donnant la possibilité de s’exprimer.
Décrit comme un auteur du monde, Ali Zamir insiste sur la valeur du livre qu’il place au-dessus de tout autre art. Étant dans cette communauté comorienne où la lecture n’est pas donnée à tous, il est, comme tous les auteurs comoriens, lu beaucoup plus à l’étranger que dans son propre pays, et ce sans compter sur le fait que ses livres se traduisent dans plusieurs langues. Il est évident que le livre perd de sa valeur partout dans le monde et que les Comores qui n’ont jamais vraiment joui de cette histoire d’amour entre l’homme et le livre voient diminuer encore plus la chance de faire de la littérature une passion pour la jeunesse qui préfère dorénavant se concentrer sur tik-tok.
En donnant la parole au livre dans son roman « Jouissance », Zamir veut probablement que le monde sente que le livre est un objet vivant qui parle aux lecteurs, qu’il est un ami, un confident et que de lui, il est possible en plus d’apprendre d’accéder à la liberté. D’ailleurs, les adolescents qui le lisent sur son île natale, Anjouan, semblent toujours être pris d’euphorie, car ils perçoivent autrement des réalités qu’ils connaissent bien et se perdent dans la folle imagination de l’auteur qui réussit à les faire voyager en racontant des histoires assez sombres auxquelles il met une couche débordante de poésie.
Plusieurs étiquettes sont collées sur cet auteur, car chaque lecteur a sa propre idée de son œuvre, mais il faudra retenir que son succès grandissant est une lueur d’espoir pour les jeunes Comoriens amoureux du livre et leurs yeux qui brillent quand ils parlent de l’auteur laissent croire que la littérature comorienne a de beaux jours devant elle.