Les deux avocats Me Fahmi Saïd Ibrahim et Me Saïd Mohamed, chargés de la défense de trois des quatre journalistes poursuivis pour diffamation à l’encontre de Hablani Assoumani, cadre de l’Office de radio et télévision des Comores (ORTC) ont trouvé utile d’aborder la question dans une conférence de presse deux jours avant le jour annoncé pour le verdict.
Par Hachim Mohamed
Le jugement s’étant déroulé depuis plusieurs semaines, la conférence a pris des allures de séance de rattrapage, comme si les avocats avaient oublié certains éléments et voulaient les rappeler aux juges avant qu’ils ne rédigent leur verdict. En effet, le 25 juillet dernier, au cabinet de Me Fahmi Saïd Ibrahim, ils ont livré un cours de recevabilité de la plainte pour diffamation en matière de presse.
L’article 224 du code de procédure pénale comorien qui consigne la qualification de diffamation a été le point de départ des propos de Me Fahmi Said Ibrahim. Abordant le motif de la plainte de Hablani Assoumani, il affirme qu’elle n’est pas fondée. L’avocat se base sur une définition pour dire que la diffamation suppose une affirmation « non fondée, mensongère dite ou écrite ou l’allégation d’un fait » contre ce responsable de l’ORTC, « en vue de porter atteinte à sa réputation ou à son honneur ». Pour lui, en matière pénale, la recevabilité de la diffamation ne peut s’établir que quand l’information ou l’accusation est véhiculée par un moyen de diffusion publique. A l’examen du dossier, la plainte déposée par le responsable de l’ORTC ne renferme pas, selon lui, ces caractéristiques.
À l’origine de l’affaire le discours du SNJC
Dans le cadre de la tradition de la présentation annuelle des vœux de la presse au président de l’Union des Comores, Assoumani Azali, la journaliste Andjouza Abouheir a prononcé un discours le 17 janvier, au nom du Syndicat national des Journalistes des Comores (SNJC) en qualité de vice-présidente. Dans ce discours rédigé par le bureau du syndicat, il est dit que des femmes journalistes de l’ORTC subissent des harcèlements et des attouchements de cadres hommes.
C’est par cet évènement que le scandale est arrivé. Andjouza Abouheir représentait une personne morale, le SNJC et en plus, elle n’a pas cité nommément le responsable de l’ORTC qui l’accuse de diffamation et les propos ne permettent pas de l’identifier, à en croire Me Fahmi. En plus d’absence de publicité, d’accès au public et de diffusion, la recevabilité de la plainte de Hablani Assoumani, responsable de l’ORTC pose problème, insiste l’avocat. L’identification de la personne diffamée fait défaut dans le discours prononcé par la journaliste Andjouza Abouhair.
Pour Me Fahmi, le responsable de l’ORTC a aussi fait une entorse à la loi en prenant comme base un échange de messages privés pour engager une poursuite contre Toufé Maecha. Le délit de diffamation n’est d’autant pas plus constitué que cela s’est passé dans un contexte de rétroactivité des faits, selon Maitre Fahmi.
Les balises nécessaires au bon fonctionnement de la justice
Le procès en diffamation intenté par Hablani Assoumani contre le directeur de l’Information à l’ORTC, Toufé Maecha, le correspondant de RFI et journaliste d’Alwatwan, Abdallah Mzembaba, le Directeur de FCBK FM, Oubeidillah Mchangama et la journaliste de la Gazette des Comores, Andjouza Abouhair a été mise en délibéré pour le 27 juillet après la charge du Procureur demandant une sanction d’une peine d’un an de prison, dont trois mois ferme et l’interdiction d’exercer leur métier pendant un moment.
Le deuxième avocat, Me Saïd Mohamed, a fait un focus sur le non-respect de certaines dispositions du Code pénal comorien, notamment les demandes de sanctions du procureur qui n’ont pas été « proportionnées », contrairement à ce qui est prévu par la loi. C’est pour lui un scandale d’autant plus que les sanctions envisagées n’existent pas dans le code de procédure pénale comorien. Il rappelle que l’article 235 du Code pénal punit de deux mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 150.000FC à 300.000FC la diffamation commise envers des particuliers.
Face au très dur réquisitoire du procureur accablant la défense, Me Saïd Mohamed a énuméré les balises nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Il est impossible d’avoir un procès équitable et juste, selon la robe noire, sans la présence à la fois de juges du parquet, le procureur et enfin les avocats.
L’État comorien et les journalistes
Me Fahmi est ensuite remonté jusqu’en 1984, une époque où à la gendarmerie ou au parquet les plaintes déposées pour diffamation étaient irrecevables d’emblée et s’exécutaient par la citation directe comme en France. Dans la procédure, précise l’avocat, il fallait chercher un huissier, ensuite se rendre au parquet pour la date,
Dans la forme, il y avait auparavant un délai de trois semaines entre la date de réception, d’assignation et celle de la comparution.
Avec le Code pénal comorien de 2020, malheureusement la complexité de poursuite est enlevée en matière de diffamation et selon Fahmi, ce changement pénalise les journalistes qui peuvent rapidement se faire citer, n’ayant pas de marge de manœuvre pour se défendre.
Sur cette base, insiste l’avocat, force est de reconnaitre que l’État comorien facilite les poursuites contre les journalistes et cela est une régression dans la protection de journalistes
Le risque d’alea judiciaire en attente de la décision rendue
Aux Comores, en matière de justice, on se plaint toujours dès les trains qui n’arrive pas à l’heure, mais pour Me Said Mohamed, il faut aussi magnifier le convoi qui arrive à l’heure.
S’agissant de la décision qui sera rendue, les avocats de trois des quatre journalistes se disent sereins. Une sérénité raisonnable qu’ils estiment basée sur le droit.
Quand Me Fahmi soutient que la plainte pour diffamation de Hablani Assoumani, cadre de l’ORTC ne peut pas prospérer, peut-on le croire dans un pays où les articles qui définissent les infractions qui peuvent être constatées ne correspondent guère aux sanctions pénales qui leur sont applicables ?
Au-delà de l’aléa judiciaire évoqué par Me Said Mohamed pour la décision qui sera rendue, le fonctionnement de notre justice n’a certes pas que du bon.
C’est vrai que l’« identité » de la Justice comorienne a été associée pendant des années à un régime aux sanctions draconiennes, aux procès expéditifs et à d’autres dénouements humiliants.
Aux dernières nouvelles, la sentence a été repoussée par les juges pour le 24 août pour les journalistes poursuivis.