L’équipe Actogether internationale était en mission humanitaire du 1er au 5 mai à la Grande-Comore. Avec un slogan révélateur : « Bougeons contre le diabète ». Elle s’est rendue à Moroni, Mkazi, Bangwa Kouni, Koimbani et Foumbouni .
Propos recueillis par Hahim Mohamed
Le diabète est une maladie chronique qui touche 12,3% de la population comorienne et qui est aujourd’hui responsable d’un décès toutes les 6 secondes dans le monde.
Sur ces cinq sites, l’ONG Actogether internationale a dépisté 800 personnes en plus d’avoir distribué du matériel médical aux différents districts de chaque région de Ngazidja.
Le Docteur Martin Carvalho, responsable du Service endocrinologie à l’Hôpital de Vert Coteau à Marseille, a accepté de répondre aux questions de Masiwa.
Masiwa – Quelles sont les missions principales de votre organisation ?
Martin Carvalho – C’est une mission humanitaire basée sur le dépistage du diabète, mais cela nous a permis de découvrir beaucoup d’hypertension artérielle non traitée et même le cas d’une hyperthyroïdie chez une jeune fille !
Masiwa – Comment vous travaillez avec l’État comorien ?
Martin Carvalho – Pour cette première, l’État comorien nous a facilité beaucoup de choses, je le remercie beaucoup, la prochaine fois ce ne sera que mieux !
Masiwa – À quel niveau estimez-vous le taux de prévalence du diabète aux Comores ?
Martin Carvalho – Alors, nous avons vu environ 800 personnes sur les 4 sites, nous n’avons pas encore fait l’étude statistique donc je ne puis me hasarder de faire état de la prévalence du diabète cela nécessite un échantillon plus important !
Masiwa – Pourquoi est-il important de dépister le diabète le plus tôt possible ?
Martin Carvalho – Dépister le diabète et surtout expliquer au patient l’importance de connaître et comprendre sa pathologie pour mieux la prendre en charge, devrait lui permettre d’éviter des complications telles que : l’accident vasculaire cérébral (AVC) très fréquent en Afrique, l’infarctus du myocarde (IDM), la rétinopathie diabétique pouvant entraîner une cécité, la néphropathie diabétique pouvant entraîner une insuffisance rénale (le patient devra faire des séances de dialyse, très coûteuses), l’artériopathie (atteinte des artères) des membres inférieurs qui peut entraîner une amputation, la neuropathie diabétique, entraînant une perte de la sensibilité du patient.
Donc vous comprenez que le diabète est une maladie sournoise et silencieuse qui entraîne beaucoup de dégâts chez le patient et la prise en charge de ces complications est complexe et très compliquée aux Comores faute d’infrastructure et de personnel adéquat, d’où la nécessité de former du personnel médical et paramédical à cette pathologie qu’est le diabète.
Masiwa – Avez-vous des statistiques sur la répartition entre diabète de type 1 et diabète de type 2 pour les Comores ?
Martin Carvalho – Le diabète de type 1, c’est une insuffisance de production de l’insuline par une destruction auto-immune du pancréas. Raison pour laquelle les patients sont insulinopeniques et sont mis sous traitement insulinique. Le type 2, c’est une mauvaise utilisation de l’insuline par l’organisme, les patients sont le plus souvent en hyperinsulinisme et en surpoids ou obésité. On leur propose des traitements non insuliniques, luttant contre l’hyperinsulinémie ou le surpoids sous forme de médicaments (comprimés) ou d’injections hebdomadaires.
Désolé, je n’ai pas les statistiques pour les Comores, mais usuellement la répartition mondiale est la suivante : le type 1 représenterait 20% de la population mondiale des diabétiques et le type 2 représenterait les 80% restants, mais cela fluctue d’un pays à l’autre.
Votre question m’amène à penser que les fiches sanitaires que nous avons récoltées durant cette campagne de dépistage pourraient faire l’objet d’une thèse de doctorat en médecine pour des jeunes comoriens et les résultats pourraient être une piste de réflexion et le ministère de la Santé des Comores pourrait en faire une feuille de route.
Vous voyez que ce dépistage sur une semaine peut faire l’objet d’un travail de collaboration très intéressant !
Masiwa – Avez-vous senti une prise de conscience de la population sur cette maladie ?
Martin Carvalho – La prise de conscience de la population ne sera réelle que si cette dernière est bien informée. Il faudrait peut-être faire des spots publicitaires non pas pour apeurer les personnes, mais les informer sur l’importance d’équilibrer son diabète en respectant les règles hygiénico-diététiques (évitant les fast-food, les aliments trop gras ou industrialisés ou transformés, les boissons sucrées, etc.), en faisant de la marche quotidienne. Si cela est fait, on aura réalisé la moitié du chemin, car on est un pays pauvre donc la prévention sera moins onéreuse que le traitement curatif !
Masiwa – Est-ce vrai que boire du thé vert ou du café chaque jour diminue les risques de diabète et qu’à raison d’un kilo par jour, le chocolat risque de mener au diabète ?
Martin Carvalho – S’il s’avère que le thé vert a ces propriétés, alors on n’aurait pas de diabète dans les pays qui en consomment, de même que pour le chocolat ! Il faut rappeler qu’il n’y a pas de lien entre je mange du sucre donc je serai diabétique, le curseur est mal placé, c’est un problème au niveau du pancréas tout simplement comme expliqué plus haut.
Masiwa – Quelles sont les nouvelles recommandations sur les traitements du diabète ?
Martin Carvalho – Les recommandations sur les traitements du diabète ont fait l’objet d’un travail remarquable réalisé par la Société française de Diabétologie (SFD). Ce travail ne peut pas être exposé ici, car trop technique, mais je vais le résumer simplement : pour le type 1 c’est toujours l’insuline soit en schéma d’insuline lente le soir, appelée insuline pour VIVRE et des rapides à chaque repas, dénommées insuline pour MANGER.
Pour le type 2, c’est plus complexe. Les règles hygiéniques diététiques sont les mêmes que pour le type 1. Le traitement dépend de plusieurs facteurs : l’âge du patient, l’ancienneté du diabète, des pathologies intercurrentes (obésité, HTA, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, hépatique, respiratoire, etc.) et en fonction de cela plusieurs possibilités thérapeutiques sont proposées : le chef de file étant la METFORMINE, si l’objectif est atteint, on s’arrête à ce palier. S’il n’est pas atteint maintenant on fera appel à d’autres médicaments : les sulfamides hypoglycémiants (Glicazide, Glibenclamide, Glimepiride) peu coûteux, mais en même temps entraînant des hypoglycémies néfastes pour le patient, ou d’autres médications telles que les agonistes du GLP-1 (Liraglutide, Semaglutide, Dulaglutide) qui sont des formes injectables quotidiennes ou hebdomadaires ou Inhibiteurs de la SGLT2 (glifozines) ou les inhibiteurs de la DPPIV (glipitine). Ces deux classes thérapeutiques sont sous forme de comprimés. La hiérarchisation dans le choix thérapeutique dépendra de beaucoup d’éléments cliniques et paracliniques du patient, c’est l’affaire de spécialistes. De nos jours avec l’arrivée de ces nouvelles thérapeutiques, une concertation pluridisciplinaire avec cardiologue, néphrologue et endocrinologue est indispensable.
Masiwa – Les médicaments contre le diabète sont chers, à l’instar de la molécule progranuline qui favoriserait la cicatrisation des plaies récalcitrantes découlant d’une brûlure ou d’un diabète grave, il n’y pas d’alternative pour les gens qui n’ont pas les moyens ?
Martin Carvalho – Je ne comprends toujours pas pourquoi les molécules sont plus chères aux Comores qu’ailleurs et surtout il y a une disparité des prix même au sein de l’Union africaine, donc il y a un travail de lobbying à faire pour mutualiser les achats au sein de cette Union afin de faire baisser les coûts plutôt que ce soit l’affaire de chaque Nation, en attendant que l’Afrique se penche sur des unités de fabrication de médicaments. N’oublions pas que l’Afrique est le berceau de l’humanité et l’avenir de cette planète de par la richesse de notre sous-sol non encore exploité et que d’ici environ 20 ans, la démographie du continent sera la plus importante au monde, donc un marché très rentable, d’où l’intérêt de mutualiser nos forces pour créer un marché unique !
Je laisse les spécialistes en économie et politique de la Santé de nous éclairer. Si on arrive à réduire le coût des médicaments, l’observance thérapeutique ne sera que meilleure. Mais, n’oublions pas que le premier moyen en dehors de la thérapeutique, c’est de préserver notre environnement, car plus ce dernier est sain, moins la population est exposée à certaines maladies respiratoires endocriniennes, cardio-vasculaires, dermatologiques, etc. Donc, vous voyez que la Santé environnementale est l’avenir de la médecine, car encore une fois nos pays ne sont pas riches, donc comme le dit l’adage : « prévenir vaut mieux que guérir ».
Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps pour m’interviewer alors je vais vous faire un aveu, on reviendra pour poursuivre notre travail aux Comores, en collaboration avec tout le personnel soignant et nous ferons dans la formation médicale et paramédicale et nous échangerons nos expériences ! À bientôt inchallah