Des femmes (et parfois des hommes), Africaines ou Asiatiques, désireuses d’éclaircir leur peau, vont parfois jusqu’à mettre leur santé en danger avec des produits toxiques. Le Dr Azhar Salim Mohamed analyse le phénomène et propose des solutions.
Les produits utilisés pour la dépigmentation de la peau sont présentés sous forme de crèmes, gels, laits corporels ou savons. Ils sont appliqués sur tout le corps seuls ou en association, une ou plusieurs fois par jour, le plus souvent pendant des années.
Ces produits exposent les utilisateurs à des risques pour leur santé, des risques tels que des maladies de la peau (infections, vergetures, atrophie, troubles de la pigmentation, etc.) dans la majorité des cas.
La dépigmentation artificielle volontaire (DAV) de la peau peut également être à l’origine d’un risque élevé notamment de diabète et d’hypertension artérielle, d’atteintes rénales et neurologiques parfois irréversibles. Si ces produits sont utilisés chez la femme enceinte ou allaitante, ils exposent l’enfant à des risques toxiques.
Des femmes (mais aussi de plus en plus d’hommes), surtout d’origines africaine ou asiatique, désireuses d’éclaircir leur peau, vont parfois jusqu’à mettre leur santé en danger.
Historiquement, la DAV de la peau commence dans les années 1950 aux États-Unis avec la découverte de l’hydroquinone avec un fort potentiel de dépigmentation des parties du corps chez les salariées exerçant dans une usine de caoutchouc (Ondongo J., Nouvelle revue Ethnopsychiatrie, 1984).
La coloration de la peau est génétique. Elle est fonction de la présence, plus ou moins importante, de mélanine, un pigment synthétisé par des cellules appelées mélanocytes. Plus nous produisons de la mélanine, plus notre peau est pigmentée, et donc foncée.
Certains produits permettent de diminuer l’activité des mélanocytes, ce qui réduit la présence de mélanine et donc d’éclaircir la couleur de la peau. En vente libre, ces produits sont pourtant loin d’être anodins. Ils sont constitués de substances agressives, interdites en dehors d’un usage purement médical.
Produits dépigmentant ou éclaircissant interdits depuis plus de 15 ans en Europe
Les produits dépigmentant ou éclaircissant peuvent être classés essentiellement en trois catégories conditionnées sous forme de crèmes, de gels, de laits corporels ou de savons.
Les premiers sont à base d’hydroquinone (et de méquinol), composé, dérivé du phénol fréquemment utilisé en dermatologie par exemple pour atténuer un masque de grossesse.
Cette molécule ne passe pas dans le sang, mais l’utilisation fréquente de ce type de produits entraîne des taches foncées disgracieuses et irréversibles.
On distingue ensuite les produits à base de corticoïdes locaux (béthaméthasone, clobétasol…). Ils fragilisent la peau, provoquent l’apparition de vergetures et favorisent les mycoses en affaiblissant le système immunitaire. Très puissants, ils passent dans la circulation sanguine et peuvent parfois entraîner un diabète ou une hypertension artérielle.
Enfin, les produits à base de mercure (essentiellement dans les savons), de plus en plus rares, sont toujours commercialisés. Ils peuvent provoquer des irritations, des allergies cutanées et favoriser des maladies rénales irréversibles, en passant dans la circulation sanguine.
Tous ces effets indésirables sont bien connus. D’ailleurs, depuis plus de 15 ans, l’utilisation d’hydroquinone, de dermocorticoïdes et du mercure et de ses composés est formellement interdite dans les cosmétiques en Europe.
La DAV dangereuse pour la grossesse et l’allaitement
Pourtant, on trouve encore au moins une dizaine de marques commercialisées dans nos pays et librement. Ces produits doivent être formellement évités durant la grossesse et l’allaitement.
En effet, les corticoïdes locaux à forte dose peuvent avoir des répercussions sur le fœtus et provoquer par exemple un retard de développement du futur bébé.
« Il faut savoir que ce sont des médicaments qui sont détournés de leurs effets thérapeutiques. La cortisone va être appliquée en très grande quantité et mélangée à d’autres molécules sous forme de savon, de lait ou de crème dépigmentant prête à l’emploi.
Les femmes laissent reposer et mélangent parfois ces trois substances…au bout de quelques semaines, vous êtes dépendants » (Jeune Afrique, 7 juin 2017).
En effet, lorsqu’on cesse de les appliquer, la peau fonce à nouveau, ce qui incite à les utiliser en continu sur de très longues périodes, avec un risque accru d’effets indésirables (boutons, taches, vergetures, hyperpilosité…) souvent définitifs.
Attirer les hommes
Le phénomène de la dépigmentation de la peau (poda) prend de plus en plus de l’ampleur dans notre société, notamment chez les jeunes qui pensent qu’avoir une peau claire permet de se rendre plus belle/beau et d’attirer l’attention.
Plusieurs raisons semblent justifier le recours aux pratiques de la DAV de la peau. Parmi ces raisons, il y a l’imitation par conformisme ou suivisme, après avoir vu la couleur claire de certaines femmes, elles veulent leur ressembler.
Les pratiques de la DAV de la peau sont liées aux croyances qui l’entourent. Ainsi, il apparaît qu’elles sont encouragées par l’idée de l’attirance de la femme claire pour les hommes.
Mais, le recours à la DAV ne se limite pas à la séduction des hommes. Dans une certaine mesure, les « médias, internet, la diffusion des séries télévisées des blancs en Afrique et les magazines de mode » influencent les femmes.
La publicité à travers les femmes claires de peau, aguichantes, présentant les produits cosmétiques dépigmentants, pousse les femmes à acheter ces produits pour avoir un teint clair et lumineux. Par ailleurs, des jeunes femmes s’identifient aux stars des magazines de mode, aux modèles des produits cosmétiques.
Mise en place d’une stratégie de lutte contre la DAV
Pour lutter contre ce phénomène, il faut mettre en place des stratégies préventives et de lutte contre la dépigmentation artificielle volontaire de la peau tels que :
1/ L’éducation des jeunes par rapport à la dépigmentation artificielle volontaire de la peau et à ses conséquences à travers l’introduction d’un contenu éducatif dans les écoles au même titre qu’on le fait avec les modes de transmissions du sida et bien d’autres maladies parce que l’éclaircissement de la peau est devenu un fléau social.
2/ Les outils de communications, bien qu’ils influencent l’adhésion des femmes à cette pratique d’une part, peuvent aussi être un atout dans la lutte contre la DAV de la peau en ce sens.
Les médias doivent sensibiliser à travers les publicités qui montrent les conséquences de la dépigmentation; interdire les publicités des produits éclaircissants en autorisant uniquement la diffusion des produits cosmétiques sains ou naturels.
3/ Le ministère de la femme ainsi que celui de la santé et action sociale doivent organiser des causeries éducatives au sein des établissements scolaires et dans les communautés pour sensibiliser les mères et les jeunes filles en projetant par exemple les films ou les publicités qui montrent les conséquences de la DAV de la peau.
4/ On doit associer aux stratégies préventives un autre moyen de lutte qui est la répression. Il s’agit des actions telles que : l’interdiction ou la règlementation de l’importation des produits cosmétiques, les poursuites judiciaires contre les vendeurs ou les mélangeurs des produits éclaircissants, brûler les produits cosmétiques dangereux.
Dr Azhar Salim MOHAMED. Médecin de travail, CHN El-Maarouf
medecinetravail@chn-elmaarouf.com