Au moment de leur accession à l’indépendance, le 6 juillet 1975, les Comores ont réussi à arracher leur décolonisation à la France avec efficacité et sans effusion de sang.
L’organisation politique change, les mœurs également, notamment en ce qui concerne l’accession au pouvoir.
Tous les espoirs étaient permis
En dehors desdits accords, qui ont probablement été signés avec la France, le jeune État comorien a réussi là où les autres pays d’Afrique Noire ont échoué. D’ailleurs, cette indépendance unilatérale proclamée le 6 juillet 1975 par Ahmed Abdallah laissera un goût amer à l’ex-puissance coloniale, qui sanctionnera cette offense par la partition de l’ensemble politique comorien.
Il faut le reconnaitre : la coalition des partis politiques pour l’indépendance des Comores a surpris tous les analystes politiques français, qui ne s’imaginaient pas que l’élite politique d’un petit territoire d’outre-mer de près de 260.000 habitants était capable d’échafauder un plan d’indépendance à l’insu de la puissance coloniale.
Au lendemain de l’indépendance des Comores, tous les espoirs étaient permis, notamment celui d’un nouvel État réussissant une émancipation pleine et entière sur le plan politique, économique et social de son territoire.
La grève du Lycée de Moroni en 1968 a été un élément précurseur d’une fièvre nationaliste. La fierté d’être comorien commençait à prendre corps.
Six ans plus tard, malgré les dissensions internes de la classe politique comorienne, les Députés avaient fait cause commune pour l’indépendance du pays, à l’exception des Députés de Mayotte, qui étaient absents.
La construction de l’État commençait, malheureusement, de mauvaises habitudes apparaissent qui vont paralyser en grande partie l’appareil d’État.
L’accession au pouvoir par le fait religieux
L’homme politique déclaré athée, non croyant, contre l’Islam ou pis, selon la sociologie politique comorienne, ou pratiquant une religion autre que l’Islam se sera exclu de lui-même de la course à la magistrature suprême.
Ainsi, l’Histoire politique du pays nous apprend-elle que le fait religieux est l’élément déterminant dans l’engagement politique. L’attachement à la religion d’un homme politique fait recette en terre d’Islam et particulièrement aux Comores. Un homme politique d’apparence pieuse peut engranger des voix et de la sympathie auprès d’une catégorie de la population. Il lui sera très recommandé en plus de se montrer proche des ulemas. On le voit participer à des manifestations religieuses pour être vu et être catalogué « bon musulman ». Il sera à la mosquée alors qu’il fait rarement la prière collective avec les autres coreligionnaires. La part importante de l’électorat religieux a pris une dimension importante dans le paysage politique comorien.
La mise en avant de la religion fait que des chefs religieux, qui se contentaient de donner des avis sur l’Islam en leur qualité de jurisconsultes, sont intéressés par l’exercice du pouvoir. Ainsi, des hommes formés dans les Universités arabo-musulmanes font-ils comprendre qu’un chef religieux peut faire de la politique, à l’image du Prophète Mohamed, qui était à la fois guide spirituel et chef politique. Dès lors, les ulemas s’engouffrent dans la brèche et postulent à des mandats électifs.
Ce phénomène nouveau est somme toute acceptable, mais il crée de la confusion dans l’interprétation des textes saints de l’Islam et de la tradition du prophète.
L’accession au pouvoir par l’héritage féodal
N’est pas président de la République qui veut. Des conditions socioculturelles non écrites contrarient certains prétendants à la magistrature suprême.
Un Comorien venant d’un minuscule village éloigné des centres urbains peut s’imposer difficilement au niveau national. Il sera toujours considéré comme un candidat de seconde zone.
Pour pallier à ce handicap, il lui faudra une deuxième ville par alliance pour s’attribuer l’identité d’un grand notable, en y épousant par exemple une nouvelle femme. Certains vont carrément déserter leur village de naissance, non pas pour des raisons professionnelles, mais pour se rapprocher d’une des grandes villes de la région ou de la capitale du pays.
Si on n’est pas d’une lignée connue (Hinya), mieux vaut élire domicile dans une grande ville.
Le concept selon lequel le citoyen n’existe socialement qu’à travers son lieu de naissance, sa région ou son île doit être banni, car il crée, chez certains, un complexe d’infériorité et pour d’autres, de l’orgueil mal placé.
L’accession au pouvoir par les familles princières
Pour certains, l’accession au pouvoir doit être l’affaire des familles bien nées et connues depuis l’époque précoloniale. C’est le cas pour ceux de la lignée des sultans comoriens. Un descendant d’une des familles princières est prédisposé à conduire les affaires de l’État. Ses origines sociales et familiales seraient en elles-mêmes un atout majeur pour prétendre à l’accession à la magistrature suprême.
Il n’aura peut-être pas l’obligation de faire ses preuves dans la vie civile, professionnelle ou politique, car il est déjà un Prince, et il se démarquera des autres politiciens eu égard à son statut familial. Il s’agit d’une doctrine anachronique, mais qui a quand même de fervents défenseurs dans quelques villes.
L’accession au pouvoir par la force
Le 3 août 1975, au lendemain de l’accession des Comores à l’indépendance, Ali Soilihi prend le pouvoir par la force. Il impose une politique rigide à la population et construit le pays à travers une idéologie nouvelle.
Il fait table rase des pratiques féodales et tente d’imprimer une politique locale confiée à des acteurs déconcentrés dans les villages. L’idéologie socialiste est le socle de la politique mise en œuvre par le président Ali Soilihi.
Toutefois, ce bouleversement politique était mal perçu par ceux qui, du jour au lendemain, se trouvent déchus de leurs droits individuels et de leurs libertés publiques ou plutôt de leurs privilèges socioculturels.
Malgré les exactions et brimades dont les comités locaux étaient les maîtres d’œuvre, et l’intervention musclée des commandos Moissi, Ali Soilihi reste à jamais le président qui avait une vision politique pour le pays. Plusieurs générations de Comoriens d’ailleurs sont nostalgiques des idées de l’ancien président.
Quant à Assoumani Azali, ancien chef d’État-major de l’Armée comorienne, qui, le 28 septembre 1995, alors que Denard et ses mercenaires renversaient le président Djohar, avait abandonné ses troupes pour se réfugier à l’ambassade de France à Moroni, le 30 avril 1999, il prit le pouvoir par la force.
Comment faire valoir la nouvelle élite francophone
Une nouvelle génération de politiciens décomplexés voit le jour, celle sortant des universités francophones, ambitieuse et soucieuse de conquérir la magistrature suprême. Elle a la particularité d’être issue de milieux sociaux divers. Elle s’identifie par ses connaissances intellectuelles et par l’expérience professionnelle acquise dans divers domaines. Elle se targue de mieux maitriser les arcanes administratifs, techniques et financières pour diriger l’État comorien.
Certains ne pèchent pas par modestie. Ils se montrent parfois très arrogants et peu ouverts à la discussion, laissant peu de place aux échanges horizontaux. Il s’agit d’un despotisme intellectuel qui accepte difficilement la contradiction. C’est une bizarrerie et incongruité des intellectuels comoriens.
Les leçons des échecs successifs de l’élite politique comorienne
Un seul homme politique incarna une idéologie qui se traduisit dans les faits durant son pouvoir éphémère. Ce fut Ali Soilihi. D’après lui, la voie du succès économique et social devait passer par la lutte des classes : la communauté des citoyens doit abattre les privilèges sociaux dus aux traditions féodales, profondément ancrées dans la culture comorienne.
Pour le reste, les chefs d’État sont une forme de représentation politique d’un homme charismatique, courageux, naïf, violent, parfois tortionnaire, gentil ou rêveur, sans plus.
Désormais, les échecs successifs de l’élite politique nous obligent d’abord et avant tout, à dépersonnaliser le pouvoir pour le rendre impersonnel et en étant juste un porteur de messages. Il va falloir apprendre à incarner des idées auxquelles les Comoriens pourront s’identifier et adhérer par l’envie d’une vie meilleure, d’un changement radical des mentalités pour donner de l’espoir au futur.
Les politiciens doivent plutôt véhiculer des idées politiques, une idéologie quelconque, libérale, néolibérale, social-démocratie, sociale, communiste ou marxiste, et abandonner la politique-spectacle à la laquelle nous sommes habitués depuis l’indépendance des Comores.
Moralité,
Les Comoriens ne sont pas aussi bêtes et naïfs qu’on le laisse entendre. Ils sont pragmatiques et intelligents. Ils refusent d’être au service des hommes politiques qui ne cherchent qu’à se servir d’eux pour leurs intérêts personnels et pour ceux de leurs proches. Certains sont plutôt cyniques et opportunistes vis-à-vis des hommes politiques qui se croient plus malins.
Pour illustration, très peu de Comoriens sont prêts à s’engager frontalement contre la dictature pour l’ancien président Mohamed Sambi, malgré son charisme, pourtant réel et de notoriété publique.
A contrario, la brutalité du régime politique d’Ali Soilihi n’était pas suffisante pour faire pâlir son idéologie, que nombre de Comoriens s’approprient actuellement.
Seul est attendu l’homme politique qui montrera que l’intérêt des citoyens est supérieur à l’attachement pour sa famille, sa ville de naissance, sa région ou de l’île où il a grandi. Les attributs d’ordre social et familial ne seront pas, pour lui, un critère d’éligibilité pour les postes administratifs ou politiques. Il s’agit de la seule garantie d’institutions publiques fortes pour une stabilité politique.
B2A