Attaqué de partout après avoir répondu à une invitation à Beit-Salam par le chef de l’État Azali Assoumani, l’ex-chef du CNT, Mouigni Baraka Saïd Soilihi a organisé dans sa ville de Ntsudjini un meeting au cours duquel il a endossé le costume du principal opposant. En français, il a fustigé le gouvernement et en shikomori, il s’est attaché à ridiculiser les autres leaders de l’opposition montrant ainsi que la rupture avec ceux-ci est désormais consommée.
Par MiB
Il semble qu’après avoir reçu le pin’s aux couleurs des Comores par le chef de l’État, Mouigni Baraka lui emprunte sa méthode en termes de discours politiques. Dans son meeting du 21 septembre dernier à Ntsudjini, l’ancien président du Conseil national de Transition (CNT) s’est adressé à ses partisans avec deux discours. Le premier rédigé avec un français châtié et très argumenté, destiné essentiellement aux cadres comoriens et surtout à la communauté internationale et un deuxième, improvisé, en comorien, à l’adresse de ses partisans. Ce dernier discours, sans consistance, s’est contenté d’attaquer et de ridiculiser ses concurrents et adversaires au sein de l’opposition.
Nommé principal opposant ?
Ce sont deux discours qui montrent la position instable dans laquelle se trouve l’ancien gouverneur. Conscient qu’une grande majorité des Comoriens ne l’ont pas suivi dans sa rencontre avec Azali Assoumani à Beit-Salam, il doit donner des gages, montrer qu’il n’a pas rejoint le chef de l’État. Mais, rejeté par les principaux leaders de l’opposition, il doit aussi les ridiculiser pour essayer d’apparaitre comme le seul crédible dans l’opposition, celui qui peut endosser le costume de principal opposant, même s’il n’a aucun représentant dans une Assemblée nationale entièrement occupée par les partisans du chef de l’État. Un jeu risqué qui laisse perplexe, car du coup, on se demande qui, à part Azali Assoumani en l’invitant à Beit-Salam et en lui apposant le fameux « pins » comme un véritable tampon administratif le reconnait comme étant le chef de toute l’opposition.
Il a en partie répondu à cette question dans son communiqué du 13 septembre. Réagissant à la décision revêtue de la signature de la majorité des membres du CNT de le démettre et de confier la présidence à Me Ahamada Mahamoud, il a rendu public un texte dont il était le seul signataire. Même les trois personnalités de l’opposition qui s’étaient abstenues lors de l’élection du nouveau président du CNT n’ont pas souhaité s’associer à sa démarche. Mouigni Baraka se retrouve chef de l’opposition par la seule volonté du chef de l’État.
Diviser pour mieux régner
Cette stratégie de division des oppositions au pouvoir a permis de les réduire au silence dans les villages et au sein des partis politiques. Dans la diaspora, elle a permis de créer la zizanie et le soupçon permanent. Et elle a permis à certains moments d’affaiblir l’opposition politique. Le gouvernement d’Azali Assoumani la pratique avec délice depuis longtemps. Mouigni Baraka devrait être le plus averti puisque c’est par cette stratégie que son parti le Rassemblement démocratique des Comores (RDC) a été détruit par l’intermédiaire de Djaé Ahamada, actuel ministre de la Justice. Alors qu’il ne faisait pas le poids face à Mouigni Baraka, Djaé a été soutenu par le pouvoir dans une démarche d’implosion du RDC. La justice est allée jusqu’à accorder à Djaé le nom du parti et à interdire à son principal fondateur, largement majoritaire au sein du parti l’utilisation de ce nom.
La même machine est en marche pour la destruction du CNT. Mais, Mouigni aura-t-il le même destin que son compagnon Djaé Ahamada qui, après cette opération de destruction du RDC, s’est retrouvé ministre ? C’est ce que craignent les autres leaders du CNT et c’est ce à quoi c’est attaché à dissiper Mouigni Baraka dans le meeting du 21 septembre à Ntsudjini.
Des critiques virulentes du gouvernement Azali
En effet, dans son discours en français, l’opposant en chef adoubé par le pouvoir en place a porté des critiques très virulentes contre Azali Assoumani et son gouvernement, cherchant à répondre aux reproches qui lui ont été adressés depuis ce 10 septembre.
Certains lui en voulaient de ne pas avoir maintenu l’idée qui est sur la table depuis longtemps au sein de l’opposition en conditionnant cette rencontre avec le chef de l’État à la libération de tous les prisonniers politiques. Il affirme donc au début de son discours « Nous ne pouvons donc nous accommoder et oublier que des personnalités politiques comoriennes croupissent dans les prisons et sans jugement pour certains parmi eux. D’autres se sont exilés à l’étranger pour fuir la répression du régime dictatorial installé à Moroni par le Colonel Azali Assoumani », tout en oubliant que nombre des exilés politiques n’ont pas vu d’un bon œil son entretien avec le chef de l’État.
Ensuite, il dénonce pêle-mêle « la mal gouvernance, le déficit de démocratie et d’État de droit, la mauvaise gestion des sociétés d’État, les détournements des fonds publics, les injustices », avant d’arriver à la partie principale de son discours dans lequel, il cherche à expliquer les sources de la crise économique actuelle qui mène le pays à la famine. Pour Mouigni Baraka, les explications régulièrement fournies par le gouvernement (Covid-19, guerre en Ukraine) constituent un mensonge. L’explication véritable vient du fait que « que notre pays est géré comme une épicerie depuis au moins 6 ans avec ce régime. Aucun projet sérieux si ce n’est la rhétorique et l’illusion honteuse de l’émergence sans véritable réalité ». Il rappelle qu’avant la guerre, le pays était géré avec toujours « plus de fiscalité, moins de transparence, plus de dépenses étatiques et zéro investissement dans les secteurs productifs pour relancer l’économie ».
Corruption et meurtres extrajudiciaires
Mouigni Baraka pointe du doigt la corruption dans le gouvernement Azali en affirmant que « les Comoriens en ont assez de ce régime autoritaire qui dilapide et détourne des fonds publics, installe la corruption à ciel ouvert et creuse les inégalités entre les citoyens ».
Il va encore plus loin en parlant du déficit de démocratie et surtout de meurtres extrajudiciaires : « Les Comoriens veulent en finir avec les emprisonnements politiques, les répressions contre les libertés individuelles et collectives, les meurtres sans procès, les injustices et la terreur ».
Dans ce discours, l’ancien Gouverneur de Ngazidja se pose comme l’opposant principal, le plus clairvoyant et dans son discours en shikomori, il n’hésite pas à se moquer des autres opposants pour laisser comprendre qu’il est le seul crédible et transparent. À ceux qui lui disent qu’il a trahi la cause de l’opposition, il répond : « je ne saurais me trahir ni trahir mon peuple ni renoncer à mon engagement politique pour le bien-être de mon pays en échange de quelques intérêts personnels ou partisans, quels qu’ils en soient. » Mais, il entend donner un nouveau souffle à l’opposition et se pose comme celui qui est capable de réunir tous les opposants. Il appelle ainsi à « mettre entre parenthèses (les) différends politiques » et pourtant, il accuse aussi certains, sans donner de nom, d’aller voir Azali en cachette et se rit d’eux. Il met ainsi sérieusement en doute sa sincérité.