Du 12 au 13 août 2023, Naribarikishe ye Komori a organisé son premier congrès à Moroni. Le parti a élu Mohamed Moutui comme Secrétaire national pour le diriger. Inconnu du grand public, il nous parle ici des objectifs de NYK.
Propos recueillis par MiB
Masiwa – Vous avez été élu Secrétaire national de NYK, pourriez-vous vous présenter ? Avez-vous déjà fait de la politique auparavant ?

Mohamed Moutui – Je suis Mohamed Fahar Eddine MOUTUI, professeur retraité de langues (français-anglais-arabe), actuellement enseignant de FLE à l’Alliance française de Mutsamudu.
J’ai fait mes premiers pas en politique comme militant de base dans le Front Démocratique (FD) dans les années 1980. J’ai monté les cellules de base à Chandra, Dzindri, Ongoni et la cellule de quartier de Pangadjou-Moroni, soutenu ceux des Konis et Nyumakele, pour ne citer que ceux-là.
Dans les années 1990, j’ai évolué vers un autre parti, par la suite, pour devenir Secrétaire général régional de Ndzuani du parti PCDP-Djamnazi d’Ali Mroudjaé. Enfin et définitivement, après une tentative réussie de rassemblement des multitudes de mouvements politiques de réflexion (MPR), avec Madame Zaïtoune Mounir, je suis devenu membre fondateur du parti, une fierté personnelle, Naribarikishe yi Komori, parti progressiste, qui est une fusion du SDC et MPR pour appeler à faire la politique autrement.
Masiwa – Quelles sont les grandes lignes tracées lors du congrès des 12 et 13 août ?
Mohamed Moutui – Tout d’abord, faudrait-il souligner que la tenue de ce congrès à Moroni est un grand défi que nous tenions à relever. Le parti était dirigé par des équipes de la diaspora et ce congrès marque le transfert des responsabilités au pays. C’est également une grande opportunité pour que les militants et les militantes de la fédération internationale puissent travailler avec celles et ceux qui sont au pays.
Nous avons travaillé sur les textes fondamentaux qui régissent le mouvement pour qu’ils soient bien adaptés aux réalités du pays en adéquation avec nos principes et notre engagement. Nous avons également étudié et analysé les grands axes de notre projet de société intitulé Mradi wa ntsi lequel explique comment nous allons changer le pays pour le développement durable dans la justice sociale. Ce projet a été adopté par les congressistes tout en restant ouvert aux contributions, analyses et propositions des acteurs qui peuvent se retrouver dans la démarche participative proposée.
Nous avons renouvelé les instances dirigeantes du parti avec de nouveaux responsables en solidarité et en harmonie avec les équipes sortantes dont la participation au développement du parti est vivement acquise. Nous avons tenu des tables rondes sur des thématiques d’importance capitale à savoir : une politique de l’éducation nationale pour les Comoriennes et les Comoriens de demain en faisant de ce secteur clé une dynamique pérenne qui prend en compte les besoins du moment et du futur. Les congressistes ont pu mesurer l’importance d’une refonte de notre système éducatif pour qu’il soit la priorité de notre stratégie de développement. Nous avons ensuite partagé notre politique pour une décentralisation effective, gage de notre unité territoriale et base incontournable du pouvoir du peuple en ce sens que cette décentralisation ne soit pas confondue avec une certaine déconcentration. Pour nous, il s’agit d’une organisation à la fois économique, sociale, politique et écologique avec des dispositifs facilitant la participation des acteurs de base dans le développement et dans la lutte contre les inégalités criantes que nous connaissons actuellement.
Nous avons, enfin, dans le cadre des tables rondes, examiné l’injustice qui pèse sur nos compatriotes établis à l’extérieur. Or, nos concitoyens participent et démontrent au quotidien l’amour et l’intérêt qu’ils ont à l’égard de la nation et de la République. La patrie perd beaucoup en restreignant la citoyenneté de nos alliés les plus sûrs. Notons au passage que cette injustice est d’autant flagrante qu’elle viole l’article 13 de la constitution et constitue une véritable ségrégation des citoyens. En effet, le code électoral promulgué par décret 23- 027PR précise les modalités et les moyens à mettre en œuvre pour permettre aux citoyens comoriens établis à l’extérieur du territoire national, soit plus du tiers de la population, d’exercer leur devoir civique aux prochaines élections, mais aucune disposition n’est prise en faveur de l’inscription sur les listes électorales. Ce qui constitue une violation grave et intolérable aux dispositions de la constitution de l’Union des Comores et du code électoral qui excluent toute forme de discrimination entre citoyens comoriens.
Cette injustice est à réparer absolument et notre parti est résolument engagé à mener le combat, de front, pour que notre diaspora qui est un réservoir de matière grise ne soit non seulement un levier économique, mais aussi des citoyens à part entière. Nous avons adopté des résolutions fermes sur la vie politique de notre pays et qui feront notre force de frappe dans les débats à venir.
Masiwa – Votre parti existe finalement depuis quelques années déjà, quel bilan de vos actions a été fait pendant ce congrès ?
Mohamed Moutui – Naribarikishe yi komori existe depuis maintenant 8 ans. Certains diront que 8 ans cela fait beaucoup et d’autres diront que c’est extrêmement jeune. Nous avons choisi de prendre le temps nécessaire pour construire notre projet de société et pour donner une assise solide à notre mouvement. Nous avons réalisé de nombreuses choses déjà. En outre, la fédération internationale, dont le siège se trouve en France, a développé de nombreuses sections en France et ailleurs, comme au Sénégal. Cette stratégie de développement du parti à l’international devra être poursuivie pour de nombreuses raisons.
Il est à noter également que suite aux nombreux coups d’état constitutionnel depuis 2016, notre mouvement s’est engagé dans la lutte contre toutes les manœuvres qui ont conduit notre pays dans la situation actuelle. En effet, beaucoup de nos militants ont pris part aux fortes mobilisations et manifestations qui se sont tenues à Paris, Marseille, etc., et ce jusqu’à Dakar. En parallèle de cette lutte, pour le retour à un État de droit, nous avons continué à avancer nos travaux internes, comme notamment notre projet de société. De plus, nous avons développé des partenariats avec des associations, comme l’association RAIL par exemple, en vue de porter de nombreux projets d’investissement et de développement sur le territoire national.
Enfin, nous continuons la lutte pour le retour à un État de droit, en contactant directement les partis d’opposition pour échanger et définir une stratégie commune sur la question des élections de 2024. Malheureusement tous les partis n’ont pas répondu comme nous souhaiterions. Quand on constate que certains se sont déjà déclarés candidats, nous comprenons mieux pourquoi notre initiative n’a pas abouti.
Donc, que ce soit à l’intérieur du parti, ou au niveau de la politique nationale, nous avons une certaine dynamique. C’est le maintien de cette dynamique qui a conduit à mon élection aujourd’hui.
Je n’oublierai pas bien entendu l’organisation de notre premier congrès ici aux Comores, puisqu’il nous a permis de démontrer que notre mouvement a une assise sur le territoire national, même si nous devons continuer à travailler pour renforcer notre position.
En tout et pour tout, nous avons pris conscience que le parti est maintenant installé au pays avec des fédérations dans les quatre îles qui composent notre république avec une fédération internationale capable et efficace. Nous avons réussi à élaborer un projet de société et mis en place les outils de sa mise en œuvre.
Masiwa – Quelle est votre position par rapport au gouvernement en place depuis 2016 ?
Mohamed Moutui – Nous défendons des valeurs fédératrices, en vue de construire un pays, tandis que le régime actuel fait tout pour maintenir le despotisme, la tyrannie et le népotisme au détriment de la démocratie : nous ne pouvons qu’être en opposition.
En effet, nous sommes un parti qui s’oppose énergiquement au régime dictatorial comme plusieurs partis à la différence que notre lutte va au-delà du régime, car nous visons surtout à changer le système qui porte ces régimes d’oppression, d’exploitation et de corruption. Le changement, pour nous, c’est la capacité d’agir sur les institutions politiques, économiques, sociales et juridiques pour une nouvelle organisation qui place la population au centre de l’intérêt national. C’est ainsi que le pouvoir n’est pas notre finalité, mais un moyen de rendre le pouvoir au peuple.
Masiwa – Quelles sont les autres personnalités qui composent votre bureau ?
Mohamed Moutui – Je suis élu à la tête d’une liste dont les membres forment le Bureau National qui est composé de plusieurs personnes ayant différentes fonctions.
Les personnes élues têtes de liste sont donc moi et les responsables des fédérations. Ici je ne citerai pas les personnes élues. Je n’indiquerai que les fédérations correspondantes. Dans notre parti, le terme de personnalité n’entre pas dans notre jargon comme le terme de leader n’est pas non plus approprié à nos principes. Nous ne nous organisons pas autour des personnalités, mais autour d’un projet. C’est ainsi que nous avons opté pour une direction collégiale à responsabilité collective. Dans les prochains jours, je mettrai en place un Bureau Exécutif pour la gestion collégiale du parti et surtout pour la mise en œuvre de notre projet de société.
Masiwa – Pourquoi vous avez voulu être candidat pour prendre la tête du parti ? Que pensez-vous pouvoir apporter à votre parti ?
Mohamed Moutui – Je fais partie des cadres du parti qui travaillent depuis plusieurs années avec les anciens warumishi wa handa, d’abord avec Dini Nassur et ensuite avec Salim Youssouf Idjabou. Quand les camarades de la fédération de Ndzuani m’ont sollicité pour candidater, et comme il est d’usage, dans le parti, de se passer le témoin à un moment donné, pour que le parti ne soit identifié à une personne, mais à une démarche, je n’ai pas hésité. Pour moi, c’est une contribution aux responsabilités que je ne pouvais pas refuser.
Ce que je peux apporter, vous dites ? D’abord, généraliser le parti dans toutes les régions, les villes, les villages et même les quartiers. Ensuite, et surtout, mettre toutes les militantes et tous les militants en ordre de bataille pour continuer à faire de notre engagement, le fer de lance du développement de notre pays, dans la justice sociale. Enfin, NYK n’est pas un nouveau parti, c’est un autre parti et une autre manière de faire de la politique. C’est par conséquent une autre façon de militer, Kennedy disait “ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ». Le nom même de notre parti et de nos militants ” ma barikisha n’tsi” montre cette ambition des camarades qui sont adhérents ou sympathisants du parti ” être utile au pays. Servir et non se servir “. Ma première utilité et mon premier apport seront de continuer de faire grandir cette conscience collective pour aboutir à une implication du plus grand nombre dans la construction de notre pays d’aujourd’hui et de celui que nous laisserons demain à nos enfants.
Masiwa – Pensez-vous pouvoir réussir à construire votre parti l’intérieur du pays ?
Mohamed Moutui – C’est bien mon premier challenge. Que Naribarikishe yi Komori ait son ancrage territorial effectif à la hauteur de son ancrage politique.
Le parti est déjà construit à l’intérieur du pays. En effet, il a une existence juridique puisqu’il est enregistré en tant que parti politique au ministère de l’intérieur comorien en 2015.
De plus nous venons d’élire de nouveaux responsables de fédérations, mais il y en avait d’autres avant eux. Enfin chaque fédération est composée de nombreuses sections qu’il faut redynamiser.
Par ailleurs, avec les nombreux projets à venir en faveur des Comoriens qui sont au pays, cela contribuera fortement à l’adhésion de la population à notre projet de société, à notre mouvement. Nous n’avons pas de doute quant à notre réussite.
Masiwa – Votre parti présentera-t-il des candidats à la présidentielle de 2024 et aux postes de gouverneurs dans les trois îles ?
Mohamed Moutui – Nous avons adopté une résolution sur les prochaines échéances électorales affirmant notre détermination à avoir des élections libres, transparentes et régulières. Sans les conditions garantissant de telles élections, c’est sans nous. Si les conditions sont réunies, nous serons de la partie.
Masiwa – Comment avez-vous financé votre congrès ?
Mohamed Moutui – C’est un congrès prévu depuis trois ans et nous avons mis en place un système d’autofinancement qui a bien fonctionné par les contributions de toutes les fédérations et notamment la fédération internationale qui a beaucoup investi dans ce projet. Nous avons eu aussi des contributions citoyennes de la part des acteurs qui encouragent et soutiennent notre démarche. Nous ne pouvons que leur exprimer notre reconnaissance la plus chaleureuse.