Il est légitime de se demander si après le procès de la Citoyenneté devant la Cour de Sûreté de l’État, il reste encore une once de crédibilité à l’État comorien.
Par Nezif Hadj Ibrahim
Depuis le lundi 21 novembre, le procès de la Citoyenneté économique bat son plein et retient l’attention de l’espace public comorien en raison d’abord de sa médiatisation, puis du climat qui prévaut au pays, tant le gouvernement actuel dirigé par Azali Assoumani fait l’objet d’une contestation, accusé de mettre à mal toutes les institutions de l’État et leur intégrité a des fins personnelles ou au profit de son clan au pouvoir.
Bashar Kiwan, un des principaux suspects dans l’affaire des fonds soustraits à l’État comorien dans le cadre du programme de la Citoyenneté économique, a déclaré sur Mayotte 1re avoir été approché par le gouvernement comorien en vue d’établir un accord dont l’objectif aurait été de lui faire témoigner contre Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Des photos montrant Bashar Kiwan, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la justice comorienne, avec le ministre des Affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal et celui de la Justice, Djaé Ahamada Chanfi en train de dîner sont soudainement apparues sur la toile. Des captures d’écran de discussions qui auraient eu lieu entre le ressortissant Franco-syrien et le Porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié, ministre de l’Agriculture, de la pêche et de l’environnement sont rendues publiques. Ce qui renforce le manque de crédibilité du procès qui est davantage jugé comme une instrumentalisation de l’appareil judiciaire à des fins purement politiques.
Une tentative de « subornation de témoin » ?
Alors qu’il a décidé de ne pas se présenter au procès dont il est l’un des principaux inculpés, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, ses avocats agissent dans un autre terrain qui est celui de la communication. Le 24 novembre les avocats de Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ont publié un communiqué composé de 16 points relatifs au procès. Dans le 11e point le document avance que « les éléments rendus publics qui laissent penser qu’une tentative au plus haut sommet de l’État visant à influencer indûment le cours de la justice a pu se produire et en vertu desquels deux ministres se seraient déplacés à Paris pour influencer un co-accusé et procéder à une subornation de témoin – y compris sous la menace – afin qu’il charge le président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi en échange d’une grâce ou d’un retrait des accusations lui concernant ». Entre autres faits, les représentants de l’ancien président regrettent de ne pas pouvoir le défendre dans les meilleures conditions. Ils constatent « l’impossibilité d’assurer à Monsieur le Président Sambi le bénéfice d’un procès équitable devant la cour de Sûreté de l’État ».
Le gouvernement Azali acculé
Dans un communiqué publié le 23 novembre dernier, à propos de la sortie de Bashar Kiwan, le gouvernement parle d’un « objectif désespéré de décrédibiliser le procès qui se déroule et nuire à l’image du gouvernement comorien ». Le communiqué le cite comme le principal inculpé sur l’affaire du programme de la Citoyenneté économique. En effet, selon celui que Mayotte Première présente comme un homme d’affaire Franco-syrien « le ministre des Affaires étrangères Dhoihir Dhoulkamal m’a rendu visite à Paris pour me demander de témoigner contre l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, en échange de quoi on ne me poursuivrait plus ». Cet arrangement à l’amiable est récusé par le gouvernement comorien qui promet d’apporter « les preuves de la démarche inverse initiée par Bashar Kiwan, pour dénoncer ses co-inculpés, dans l’espoir de pouvoir bénéficier d’un non-lieu ». Face à l’immense polémique que la diffusion des photos des membres du gouvernement en compagnie de Bashar Kiwan a provoquée, le ministre des Affaires étrangères a voulu parler à la presse, plus particulièrement à CMM, un organe proche du pouvoir. Aux accusations de rencontres malencontreuses et inconvenantes contre Dhoihir Dhoulakamal, celui-ci concède avoir vu Bashar Kiwan, mais à l’initiative de ce dernier dans le but de le consulter sur l’affaire vu qu’il avait, selon le ministre lui-même, une certaine maîtrise de l’affaire. Cependant ce n’est pas la version de Bashar Kiwan qui soutient que les membres du gouvernement Azali « se sont montrés insistants pour que je charge l’ancien président. Ils m’ont même proposé de reprendre ma collaboration avec le gouvernement ».
Houmed Msaidié se défend, son parti communique
Depuis que des photos et des captures sont apparues sur Facebook des voix sont montées ici et là pour condamner les manœuvres du gouvernement Azali. Le ministre de l’Agriculture et de la Pêche fait aussi partie des personnalités du pouvoir à voir son nom associé à cette tentative de subornation d’un juge. Des échanges WhatsApp révèlent une promiscuité entre Houmed Msaidié et Bashar Kiwan. En réponse à ces prétendues révélations, le parti Radhi dont le ministre est le leader, est monté au créneau pour prendre la défense de sa principale figure. Pour « les prétendus messages prêtés au malfrat, Bashar Kiwan ne correspondent ni au style ni au sérieux et à la droiture d’expression reconnue à notre leader ». Houmed Msaidié a tenu une conférence pour réfuter ces accusations tout en poursuivant que le gouvernement ne pouvait pas accorder ou tenter de coopérer avec le principal suspect dans l’affaire de la citoyenneté économique. À travers son avocat, Maître Mhadjou Djamal, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche porte plainte contre Bashar Kiwan pour « usurpation d’identité et d’allégations mensongères tissées de toutes pièces par Monsieur Bashar Kiwan » qui selon la plainte porte atteinte à « son honneur, sa dignité et sa considération professionnelle ».
Bashar Kiwan, tire son épingle du jeu
Le procès sur le programme de la citoyenneté économique ne passe pas inaperçu surtout au regard des milliers de vues et des réactions que la retransmission sur Facebook a provoquées. Les différentes entrevues et leur immortalisation sont une aubaine certaine pour Bashar Kiwan à bien des égards. Bien que pour une grande partie de l’opinion publique le procès est déjà pipé, ces nouvelles révélations n’arrangent pas les choses, au contraire, elles mettent davantage à mal la crédibilité de la Cour de sûreté qui est considérée pour beaucoup comme le symbole du régime d’Azali, un régime jugé autoritaire.
Nezif Hadj Ibrahim