La missive envoyée par le président du Rwanda Paul Kagame au président de l’Union africaine, Azali Assoumani, le 6 mars dernier a été peu commentée aux Comores. Pourtant, il s’agit bien d’une mise en garde de celui qui avait été chargé en juillet 2016 de réformer les institutions de l’Union africaine pour les rendre plus transparentes et plus démocratiques, celui qui avait brillamment dirigé celle-ci à partir de janvier 2018 pour signifier à Azali Assoumani que les pratiques antidémocratiques constatées dès le début de sa prise en fonction sont inacceptables.
Par MiB
Azali Assoumani a-t-il l’intention de mettre en pratique au sein de l’Union africaine les méthodes de gouvernance qu’il applique aux Comores depuis 2018 ? Le président du Rwanda, Paul Kagame, dans une lettre transmise par son Ambassadeur en Éthiopie le 6 mars 2023, met en garde le chef de l’État comorien, dont le pays a pris la présidence de l’Union africaine le 18 février dernier.
Une leçon de démocratie
Et c’est d’abord en tant que chef d’orchestre de la réforme des institutions de l’Union africaine pour les rendre « plus efficaces, plus efficients et plus transparents » que Paul Kagame souhaite s’adresser au nouveau président de l’Union pour évoquer des anomalies qui se sont déroulées « durant le dernier sommet » de l’UA, le 18 février, alors même qu’Azali Assoumani en prenait la présidence.
Le président rwandais fait donc une petite leçon à Azali Assoumani sur le fonctionnement des institutions de l’UA. Il lui rappelle d’abord que ce sont les chefs d’État et de gouvernement dans leur ensemble qui gèrent « les priorités stratégiques ». C’est un rappel sur le fait que le président de l’Union africaine n’a pas un pouvoir autocratique, mais qu’il détermine les objectifs de l’organisation avec les autres chefs d’État et de gouvernement. Chose dont les porte-paroles du chef d’État comorien n’ont toujours pas comprise.
Le président rwandais constate que les « leaders mandatés pour présenter des questions d’actualité ne doivent pas être chronométrés », or le Président de la Sierra Leone a été coupé lors de ses deux discours et le président du Ghana n’a pas pu terminer le sien.
Mais, ce manque de respect des règles et des chefs d’État est sans doute moins important pour Paul Kagame que les pratiques antidémocratiques et obscures comme celle d’avoir éliminé une candidate classée première pour accéder à la Direction générale des Centres de contrôle et de Prévention des maladies, en faveur d’un autre.
Une nomination obscure et contraire aux pratiques
Paul Kagame déplore le fait qu’aucun débat n’a été permis sur cette désignation alors que « trois États membres avaient demandé à intervenir ». Et il ajoute que « c’était le seul point de l’ordre du jour pour lequel tout débat a été interdit ». Il aurait voulu savoir pourquoi la femme qui était classée première pour obtenir ce poste a été éliminée ? Or, aucune explication n’a été donnée.
Accusé de soutenir le M23 (« Mouvement du 23 mars »), une milice qui a attaqué et pris des régions de l’est du Congo (RDC), Paul Kagame évite de dire que celui qui a été nommé au Poste est Jean Kaseya, un Congolais. Il évite aussi de rappeler que peu de temps avant la prise de fonction du nouveau président de l’UA, le 9 février Moroni a déplié le tapis rouge au président du Congo, Félix Antoine Tshisekedi et que cette désignation d’un Congolais à ce poste à la place de celle qui était classée première laisse supposer qu’elle a pu se négocier à ce moment-là.
Même si le 16 janvier, le ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Vincent Biruta a été également reçu aux Comores pour signer des Accords de coopération, le Rwanda peut estimer que les règles démocratiques au sein de l’UA ont été bafouées pour avantager son adversaire du moment, le Congo.
Dans son dernier point de cette missive, le président rwandais dénonce d’ailleurs le fait que son pays a été exclu du 22e sommet de la CEEAC (Communauté Économique des États d’Afrique Centrale) « sur instruction du pays hôte », le Congo, alors que le Rwanda est un pays membre. Et cela sans aucune explication.
Une présidence de l’UA à la traine
Cette lettre du président rwandais est une critique sans précédent pour un président de l’UA qui n’a même pas fait un mois à la tête de l’organisation panafricaine. Et il serait bon pour l’image du pays qu’Azali Assoumani mette sa présidence sur les rails et applique les règles et les usages démocratiques de l’UA pour ne pas aggraver les dissensions qui existent ou exacerber la fierté de certains pays.
Malheureusement, ce début de la présidence comorienne n’augure rien de bon dans le retour de pratiques condamnées par les Africains (notamment les nominations obscures, le refus du débat, les décisions unilatérales…) et par l’impression que donnent les Comores d’avoir choisi leur camp dans un conflit qui risque de s’embraser et dont on pouvait penser qu’Azali Assoumani, par une certaine neutralité, essayerait d’amener les adversaires à s’assoir sur la table de l’Union africaine pour envisager la paix. C’est de l’intérêt de l’organisation panafricaine certes, mais c’est également un impératif pour les Comores, puisqu’on voit déjà que ce conflit a créé des déplacements de populations dont certaines arrivent jusqu’aux rives de l’archipel.
Jusqu’à maintenant les Comores n’ont toujours pas mis en avant les priorités qu’Azali Assoumani, lui-même englué dans une crise de la démocratie dans son propre pays, entend donner à l’Union africaine. Par contre, dans le cadre de la prochaine élection présidentielle (2024) dans laquelle le président comorien a déjà éliminé tous les candidats sérieux, ses équipes ont beau jeu de faire croire qu’il dirige l’Afrique, à tel point que ses compatriotes croient qu’il peut donner des instructions aux grands pays africains. C’est le président d’un pays considéré comme modeste, malgré ses réussites économiques, Paul Kagame, qui lui fait la leçon et lui rappelle quelques règles élémentaires sur le fonctionnement de l’UA en lui disant en quelque sorte que si les décisions unilatérales et hors normes sont possibles aux Comores, elles ne sauraient devenir une règle dans une organisation de pays souverains.
Aucune réponse de la présidence de l’Union africaine n’a été rendue publique à ce jour.