Les élections législatives de janvier approchent, et la région de Badjini Ouest/Ngouwongwe, attire l’attention. Cette circonscription est marquée par un affrontement triangulaire entre trois candidatures sérieuses : Dini Ibrahim, le candidat du parti au pouvoir, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC) ; Ibrahim Ali Mzimba, ancien député et ancien ministre des Affaires étrangères et Djoumoi Saïd Abdallah, ex-maire de la région et ancien Secrétaire d’État.
Par Mounawar Ibrahim
La situation est confuse et plusieurs dynamiques locales et rivalités de villages rendent les pronostics hasardeux. Mais, on peut analyser les enjeux, les forces en présence, et les possibles scénarios de cette bataille électorale.
Les forces du candidat du pouvoir : Dini Ibrahim
Représentant officiel du parti au pouvoir, Dini Ibrahim est conseiller à la présidence et réputé proche du ministre des Finances, Ibrahim Mohamed Abdourazakou, originaire d’Ouzioini. Ce dernier a surpris en plaçant son candidat dans un village éloigné des grands bastions électoraux de la région. Dini Ibrahim est en effet issu de Panda, une localité moins importante sur le plan électoral, dans une région où le poids électoral repose sur quatre villages majeurs : Nkourani-Sima, Dembeni, Tsinimoichongo et Ouzioini. D’ailleurs, le député de cette région vient toujours de ce « Big four ». Cependant, le soutien du ministre des Finances d’Ouzioini et l’appareil du parti CRC confèrent à Dini un avantage inestimable. Le régime au pouvoir ne cesse de prouver sa capacité à mobiliser les foules et à concentrer des moyens logistiques importants pour assoir sa crédibilité. Du moins, en apparence.
Ibrahim Ali Mzimba : un vétéran
Issu de Dembeni, chef-lieu et deuxième réserve électorale de la région, Ibrahim Ali Mzimba est l’un des leaders incontestés de la région. Ancien député sous le mandat d’Ahmed Abdallah Sambi, il a marqué les esprits en étant le seul élu de l’opposition à l’époque. Cette victoire avait été rendue possible grâce au soutien d’un certain Aboudou Soefo, figure « tutélaire » de Tsinimoichongo. À l’époque, leur alliance avait permis de rassembler deux des quatre grands villages électoraux de la région, à savoir Dembeni et Tsinimoichongo. Cela a été un facteur décisif.
Aujourd’hui, Mzimba bénéficie toujours d’un ancrage solide à Dembeni et pourrait séduire les électeurs de Tsinimoichongo, d’autant plus qu’il est toujours apprécié de la jeunesse pour le soutien qu’il a apporté au projet du stade de football qui a toute l’attention des jeunes. Cependant, plusieurs défis se dressent sur sa route. D’une part, son statut d’opposant est mis en doute. Des rumeurs persistantes insinuent qu’il serait en réalité le « véritable candidat » du pouvoir, bien qu’officiellement, la CRC soutienne Dini Ibrahim. Ces accusations, bien que démenties par Mzimba et la coordination régionale de la CRC, alimentent la confusion chez les électeurs.
D’autre part, la concurrence au sein de Dembeni pourrait fragiliser sa candidature. Le village présente en effet un deuxième candidat sérieux : Djoumoi Saïd Abdallah. Cette division risque de diluer le vote local et de profiter indirectement à Dini Ibrahim.
Djoumoi Saïd Abdallah : un troisième homme en quête de percée
Djoumoi Saïd Abdallah, ancien maire de de la région et ex-Secrétaire d’État chargé de la coopération, est également dans la course. Originaire lui aussi de Dembeni, il se présente comme un outsider sérieux, bien qu’il semble moins favori que ses deux concurrents.
Djoumoi a plusieurs atouts à faire valoir, dont le soutien d’Aboudou Soefo. Rappelons qu’il était le directeur de campagne de celui-ci lors des dernières présidentielles. Il pourrait également capitaliser sur son image de candidat indépendant des influences du pouvoir. Mais aussi, il pourrait séduire d’une part, les électeurs qui ne veulent pas de l’omniprésence d’Ouzioini, d’autre part, ceux qui sont sceptiques face aux rumeurs entourant Ibrahim Mzimba.
Cependant, son principal handicap réside dans la dispersion du vote à Dembeni. En partageant le même électorat avec Mzimba, il affaiblit les chances des deux candidats issus du chef-lieu.
Dans le Badjini Ouest, ou disons, dans l’ADN politique des Comores, la logique des villages joue un rôle important. Comme le souligne un électeur interrogé à Tsinimoichongo, les rivalités entre localités pèsent autant, sinon plus que les affiliations politiques. Le contrôle d’Ouzioini sur la scène régionale est particulièrement contesté. Pour certains, voter contre le candidat soutenu par Ouzioini, en l’occurrence, Dini Ibrahim est un acte de défiance.
Ainsi, la capacité des candidats à nouer des alliances entre les quatre grands villages sera déterminante. Si un candidat parvient à rallier deux d’entre eux, il disposera d’un avantage décisif. Mais pour l’instant, aucun de trois prétendants sérieux ne semble en mesure de revendiquer une coalition claire et solide.
À ce jour, le résultat des élections reste imprévisible. Plusieurs facteurs rendent ce scrutin particulièrement incertain : la fragmentation du vote à Dembeni affaiblit les chances de Mzimba et Djoumoi, au profit potentiel de Dini Ibrahim.
Les rumeurs entourant la véritable affiliation de Mzimba pourraient troubler les électeurs indécis.
Les rivalités historiques entre villages, notamment le ressentiment envers Ouzioini, pourraient jouer en défaveur du candidat officiellement investi par le pouvoir. Si Dini Ibrahim semble disposer de l’appareil politique et des moyens nécessaires pour l’emporter, rien ne garantit que les électeurs suivront massivement les consignes du pouvoir. Ibrahim Ali Mzimba, malgré les soupçons qui l’entourent, conserve un capital de sympathie. Quant à Djoumoi Saïd Abdallah, il pourrait jouer les trouble-fêtes et capter une part inattendue des votants.
Ces élections ne sont pas seulement un affrontement entre trois candidats, mais aussi le reflet des fractures politiques et sociales de la région. Le verdict des urnes, s’il reflète RÉELLEMENT la volonté populaire, apportera des réponses, mais aussi, peut-être, de nouvelles interrogations sur l’avenir politique de cette région du sud de la Grande Comore.