Transparency international a dévoilé le 25 janvier dernier son rapport annuel faisant office aussi de classement de la corruption des pays au niveau mondial. Avec 20 points sur 100, les Comores sont parmi les pays dont l’administration est la plus corrompue au monde. Par Nezif-Hadj Ibrahim
Quelques mois après son élection, et alors qu’il devait faire sa déclaration de patrimoine auprès de cette commission, en septembre 2016, le président Azali Assoumani a supprimé la Commission anticorruption, jugée inefficace et a promis d’autres mécanismes de lutte contre la corruption. Depuis, plus rien. Pour le gouvernement du président Azali, l’année 2020 devait être une année charnière dans la lutte contre la corruption. Mais, jusqu’à présent, ce n’est encore qu’un slogan, si ce n’est un prétexte pour écarter des adversaires politiques comme c’est de coutume en Afrique, notamment dans les États sous une emprise néopatrimoniale et autoritaire.
L’indice de perception de la corruption aux Comores révèle le niveau d’anarchie dans l’administration publique.
La corruption, dans les pays en voie de développement dont le secteur privé est embryonnaire, met à nu le rapport existant entre l’éthique, le respect des règles dans la gestion des affaires publiques et la force des lois en vigueur dans la gestion et le service de l’État. Parfois, elle est révélatrice de la morale publique.
Le 28 décembre 2021, à l’aéroport de Hahaya, trois hommes (deux Malgaches et un Comorien) ont été arrêtés. Ils cherchaient à faire passer de l’or en provenance de Madagascar avec la complicité présumée du Directeur général des aéroports des Comores, Yasser Assoumani, ainsi que des agents de l’aéroport et un agent de la douane de Ndzuani. Si les actes qui ont mené à leur placement sous mandat de dépôt relèvent d’actes pénalement répréhensibles, il s’y ajoute des faits de corruption d’agent de l’État. Selon les enquêtes préliminaires conduites par les autorités, ces agents ont déjà facilité le passage d’or venu de Madagascar pour Dubaï. La corruption aux Comores touche les différents chefs des services publics, agents de l’administration publique et les particuliers. L’espace public se confond avec l’espace privé, ce qui favorise un patronage de la part des autorités publiques. Soit elles sont des intermédiaires, comme quand le ministre Houmed Msaidié, dans une conférence de presse, lançait à Oubeid Mchangama, lanceur d’alerte sur les réseaux sociaux, que c’est grâce à lui qu’on le libérait à chaque fois qu’il était arrêté, souvent abusivement, soit leur pouvoir repose directement sur le clientélisme (recrutement arbitraire, récompense des militants du parti au pouvoir par la participation à des ateliers financés par des bailleurs).
Azali et le choix du patronage
Dans un discours tenu à Ajao après sa contestée réélection à la présidence, Azali a reconnu « avoir volé les élections ». Dans les manœuvres qu’il assume publiquement, des hommes et des femmes ont été complices. Sauf que cela devient une norme dans la gestion du pays pour Azali Assoumani : tenir par les chaînes du clientélisme les « commis » de l’État. Ce lien personnel sur lequel il s’appuie oblige toute personne qui aspire à bénéficier des opportunités de l’appareil étatique, censé être dépendant des critères de compétences et de probité, à faire allégeance à sa politique, sinon à rester neutre. Or, l’État n’est pas censé se résumer à la personne du chef de l’État, mais plutôt s’appuyer sur un ensemble de lois guidées par le principe de l’impersonnalité.
Dans une autre mesure, la corruption dont il se reconnaît coupable non seulement elle sape des institutions charnières de la démocratie telles que la présidence de la République, la Cour Suprême, les organes indépendants chargés de élections, mais elle l’amène aussi à faire reposer sa gouvernance sur la peur, en ce sens qu’il n’a pas reçu l’adhésion indispensable de la population qui forme la légitimité. Dès lors, le clientélisme, qui est d’abord une pratique « corruptogène », domine son gouvernement. Raison pour laquelle les Comores sont un pays de forte corruption, parce que l’État corrompt.
Cette absence de légitimité se caractérise aussi par la recherche de soutiens sans faille, à l’image de la solidarité primaire qui s’apparente à du villagisme et à du népotisme, dont la finalité serait d’entretenir un esprit féodal dans le lien avec son village natal. Les marchés publics et les postes clés ont pour finalité de contribuer à élargir ces soutiens qui constituent des instruments générateurs de liquidité. Le don apparaît comme une stratégie politique à part entière.
Et le présidentialisme n’arrange pas la situation, en ce sens qu’il s’agit d’un régime politique qui donne au président de larges pouvoirs faisant de sa simple volonté le cadre des latitudes politiques. De ses alliés de prime abord qui seront souvent de circonstance et de l’opposition ensuite dont l’exercice de son rôle dépendra des humeurs du président. Sa simple volonté détermine les paramètres de la légalité puisque « gouverner par décret » est l’une de ses options quand il ne souhaite pas faire passer un projet de loi dans une Assemblée nationale acquise et une Cour suprême (organe de contrôle) à sa merci. Les restrictions des libertés fondamentales des opposants deviennent naturelles, on leur prive des droits devant l’État, et cela va de pair avec le fait que la corruption gagne du terrain.
La démocratie joue un rôle essentiel dans la lutte contre la corruption. Elle donne la possibilité aux différents acteurs (justice, société civile, ONG, média) de poser leur loupe sur la gestion des biens publics, ainsi de mettre une pression supplémentaire sur les autorités publiques comme sur ses agents. Son absence favorise logiquement la cacophonie entre les normes officielles et les normes pratiques (motivées par un esprit de sécurité et de survie) étant donné que l’exemplarité découle de la tête de l’État, en l’occurrence Azali lui-même.
La loi c’est l’arbitraire des autorités publiques
Les faits de corruption s’imposent dans la société comorienne et se normalisent sur le long terme. N’étant pas sanctionnée, cette pratique gagne une place essentielle dans un pays où les droits ne sont pas garantis par la loi tandis que « connaître quelqu’un » est d’une grande utilité sociale. Les concours d’accès au poste au sein de l’administration publique n’existent presque pas, ou sont occasionnels, les autorités pouvant instrumentaliser l’appareil judiciaire comme dans le cas de Sambi, ou tout simplement la distribution de faveurs politiques font que la population s’en accommode. En effet, dans tout rapport de corruption il y a un corrupteur et un corrompu, seulement dans ce rapport il y a aussi l’une des parties qui est dans une situation de pouvoir, la corruption étant un rapport inégalitaire, et l’autre partie se trouvant dans le besoin ou simplement dans une position défavorable. L’espace public disparaît, et dès lors l’arbitraire va prendre le dessus par exemple un agent de la douane qui reçoit un dessous de table pour faire sortir des marchandises, ou tout simplement faire passer de l’or à l’aéroport. Certes pour la plupart des agents de l’État la corruption dont ils se rendent responsables est directement liée à leur salaire qui est pour la majorité dérisoire et ne coïncide pas avec la vie chère dans le pays. Il y a aussi le poids de la culture, frappée par les tribulations du capitalisme qui donne une valeur cérémoniale à l’argent quand il n’est pas l’objet de la réussite familiale ou villageoise. Les relations sociales ou familiales étant fortement monétarisées constituent une grande pression chez les agents de l’État en général, et les hauts fonctionnaires en particulier. On attend de leur part qu’ils s’acquittent d’aides financières à chaque fois qu’une situation que vit un membre de la famille, un voisin ou toute personne du même village. En effet, l’assise politique de la majorité des personnalités politiques repose sur cette insécurité de la vie quotidienne.
Pour la population, c’est difficile de prendre des distances par rapport à la corruption, elle est le recours le plus usuel pour qu’on reconnaisse ses droits le plus rapidement quand ce n’est pas pour accéder à un service public. En contrepartie, elle se met à la disposition des autorités publiques les plus accessibles de telle sorte que celui qui répond à leurs appels même dans l’illégalité reçoit son soutien. C’est ce qu’on a pu observer lors de l’affaire des lingots d’or où des soutiens se sont manifestés en faveur des individus arrêtés. La corruption aux Comores est une pratique tolérée en raison du niveau de la population.