La mort du jeune Aymane Nourdine, déclarée à l’hôpital militaire de Moroni, dans la nuit du 27 février 2023 a suscité de nombreux messages d’indignation dans les réseaux sociaux. Les marques des coups et des blessures sur le corps remis à la famille emballé dans un sac poubelle n’ont pas arrangé les choses, donnant à l’affaire une dimension humaine, sociale et politique.
Par Nezif Hadj Ibrahim
Montrée du doigt pour son silence, la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL publie le 4 mars un communiqué daté du 3 mars 2023.
La CNDHL se rend enfin compte du viol des droits fondamentaux
Depuis quelques années, l’autoritarisme installé aux Comores, suite à l’arrivée d’Azali Assoumani au pouvoir, fait que le respect des droits et libertés fondamentaux y est devenu une denrée rare. Pourtant, aux côtés de l’appareil judiciaire, une autorité administrative dite indépendante est mise en place dans le but de renforcer la protection des droits humains. C’est la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés. Suite à la mort d’Aymane Nourdine entre les mains des forces de l’ordre, la liste des victimes des autorités dépositaires de la violence légitime s’allonge. Le dernier en date était le Major Hakim Bapalé, originaire d’Adda, dans la région de Nyumakélé, à Anjouan, mort après un interrogatoire probablement musclé au camp militaire de Sangani, en avril 2021.
La mission de la CNDHL est justement « la promotion et de la protection des Droits de l’Homme telles que stipulées dans les instruments juridiques en vigueur ». Concrètement il est dévolu à cet organisme de veiller à ce que la démocratie s’améliore dans le pays puisqu’elle est appelée à « mener toute action de sensibilisation ou d’information et de communication sociale en direction du public en vue d’instaurer une culture des Droits de l’Homme ». Cependant, le constat est préoccupant. L’État règne par la terreur, et le peuple a peur. Il suffit de vouloir exercer un droit comme celui de manifester pour se retrouver en prison, alors que c’est un droit fondamental.
Ce qui est certain, si la situation est si alarmante pour les droits fondamentaux aux Comores au point que les forces de l’ordre se permettent d’abuser de leurs forces jusqu’à prendre des vies, c’est qu’elles sont protégées. De toute façon, bien que les médias rapportent des faits de violation de droits humains ou de morts, les responsables n’en ont jamais été inquiétés. Cela laisse prévaloir l’impression que l’armée a un permis de tuer, et laisse s’installer le laxisme et l’impunité. La caution en émanerait des autorités politiques et judiciaires ainsi que des autorités administratives indépendantes, dont la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés.
La CNDHL rate encore le coche
Alors que la situation qui prévaut dans le pays n’est nullement favorable au respect des droits fondamentaux, notamment au regard des multiples affaires qui relèvent de l’autoritarisme du régime politique comme la prise d’assaut par l’Armée de la ville de Mbeni le 12 octobre 2022, la CNDHL ne s’est jamais posée en un vrai défenseur des droits fondamentaux. Pourtant, elle a toute latitude pour le faire, en vertu de l’article 8 de la loi qui la crée. Selon ce texte juridique, la Commission peut notamment « ester en justice sur toutes les violations avérées des Droits de l’Homme, notamment au nom des victimes desdites violations ». Or, les violences sont pléthore aux Comores. C’est davantage la population, à travers les réseaux sociaux, qui s’en saisit ; ce qui rend son indignation limitée, ne faisant pas peindre sur la situation globale une amélioration décisive.
Les violations des droits humains sont de plusieurs ordres aux Comores. On peut ainsi relever celles que subissent les prisonniers, non seulement dans les motifs de leur arrestation, mais aussi lors de leur détention. À ce titre, beaucoup de personnes accusent le pouvoir d’arrêter les opposants pour des raisons politiques. Malgré ces actes illégaux avérés, la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés n’a jamais apporté de réponses adaptées. Dans les rares fois où elle a été amenée à réagir, c’est pour publier un communiqué, comme dans le cas de la mort entourée de mystères d’Aymane Nourdine. Dans son document, elle a soutenu que l’organisme « se préoccupe de la situation qui prévaut actuellement et porte un regard sur les évènements dans leur ensemble qui se sont déroulés dans notre pays ». Elle poursuit en rappelant une de ses missions qui est de « recueillir les informations de part et d’autre avant de faire une quelconque déclaration », tout en insistant sur « le fait qu’une garde à vue, un prévenu, un accusé, un détenu … sont des êtres humains qui ont aussi des droits fondamentaux à respecter scrupuleusement ». Malgré les moyens que la Loi lui accorde, elle ne se contente souvent que de déclarations d’une grande platitude.
Une Commission sensiblement politisée
Alors que la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés est une autorité administrative indépendante, autonome surtout face aux pouvoirs politiques, on observe une promiscuité de sa présidente avec les acteurs politiques, surtout avec ceux affiliés au régime politique en place. Mme Sittou Raghadat Mohamed, qui occupe la fonction de premier responsable de l’organisme, s’affiche souvent avec le gouvernement comme si elle travaillait pour le compte du pouvoir politique en place qui, certes, l’a nommée. Pourtant, les comptes qu’elle doit rendre, c’est à la population qu’elle le doit. On pourrait même parler de complaisance en ce sens que, rarement, elle condamne les dérives autoritaires du régime politique d’Azali Assoumani. Ce qui lui vaut des critiques acérées. Dernièrement, dans son format habituel, qui est celui de réagir sur l’actualité politique nationale, le journaliste et célèbre ex-prisonnier Abdallah Agwa fait valoir que « s’il avait le pouvoir, il aurait exécuté Sittou Raghadat Mohamed ». Les propos ont provoqué l’indignation, certains parlant même de « féminicide ». En tout état de cause, la situation est telle que les rancunes peuvent favoriser de telles envies de vengeance.
De toute façon, il est difficile d’admettre que la Commission nationale des Droits de l’Homme est un organe indépendant dont l’objectif est de placer les gouvernants, au regard de la gestion du pouvoir, face à leurs responsabilités. Par exemple, dans son communiqué, elle n’a nullement mentionné les excès des forces de l’ordre, comme si son objectif était de réagir face à la pression de la toile par des platitudes.