Bientôt un demi-siècle que les Comores ont eu leur souveraineté. Cinquante années sur lesquelles si on essaie de faire le bilan, on aurait beaucoup à dire. Le contexte politique et social nous oblige à parler d’un seul aspect : les élections.
Dans quelques mois, le peuple comorien sera appelé à élire le président de l’Union des Comores pour une période de cinq ans. Faisons un petit clin d’œil à l’histoire pour parler de ce peuple qu’on peut qualifier d’« apprenti attentif ». Nous sommes en 1945, le peuple comorien devait élire un député au Palais Bourbon. Un défi majeur, car c’est la toute première fois que le peuple est confronté à cet exercice démocratique.
Normalement, on devait assister à des élections libres, mais pas « arrangées ». Une situation parrainée par les colonisateurs. Ils étaient favorables à Cheikh et non à Said Ibrahim (Prince). À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de personnes qui se portaient candidates. La même situation se répéta en 1951. Des élections démocratiques devaient se dérouler en opposant Cheikh et Prince Said Ibrahim. Ce dernier serait sorti gagnant si la logique démocratique avait été respectée (Mahmoud Ibrahime, Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970) parcours d’un conservateur, Komedit, 2008).
La scène la plus spectaculaire se situe pendant les élections présidentielles de 1965. Les Comoriens participaient au vote. Le jour des élections, des constats amers ont été faits lors du dépouillement des bulletins. Une seule personne a pu voter trois fois sans problème
Pire encore, on a constaté que le candidat De Gaule a obtenu plus de 100% des voix. Les autorités étaient obligées de rectifier ce problème pour présenter des résultats « crédibles » aux yeux du monde entier (Jean Fasquel, Mayotte, les Comores et la France, L’harmattan).
Une constitution taillée
En 1984, le mandat du président de la République prend fin. Des élections présidentielles devaient être organisées. Le président Ahmed Abdallah est candidat à sa propre succession. Pour le battre, il faut un candidat robuste. Des noms circulaient.
Mohamed Taki semblait crédible pour affronter le « père de l’indépendance ». Mais ce que les autres ignoraient, c’est la Constitution. Le fameux article 16 de la Constitution disposait clairement que pour qu’une candidature soit validée, le candidat devait être parrainé par cinq députés par île. (A. Wadaane, Autopsie des Comores). Or l’île de Mohéli disposait de seulement cinq députés qui s’étaient déjà déclarés en faveur du candidat président Abdallah. Cette situation a permis à ce dernier d’être réélu sans encombre.
Les élections présidentielles de 1990
Suite à l’assassinat du président Abdallah, Said Mohamed Djohar occupe l’intérim. Il organise des élections présidentielles. Elles sont censées être crédibles et transparentes. Pour la première fois, le peuple est convaincu que le gouvernement de transition instaure un système politique démocratique. Un système qui respecte la liberté et les lois.
La campagne électorale débute sans incident. Pour la première fois, on peut compter huit candidats (Alwatwan, n°100 du 8 au 14 mai 1990). Cependant, un scandale éclate : tentative de fraude avant même le déroulement du premier tour. Les candidats d’opposition appellent le président Djohar à reporter le premier tour.
Alwatwan n°98 du 22 février 1990, titre Échec des présidentielles et en sous-titre on peut lire : Les dessous d’un scandale. Les élections sont repoussées d’une semaine.
La situation montre que les autorités ne sont pas prêtes à tourner la page pour un système politique démocratique. Comment parler d’un système démocratique sans élections crédibles et transparentes ?
Le premier tour a finalement eu lieu. Mohamed Taki et Said Mohamed Djohar sont allés au deuxième tour. Des fraudes et malversations ont été signalées. Cependant, aucun candidat n’a crié au scandale. Tout le monde a triché. Dans la localité de Mwandzaza Mboini, par exemple, même les candidas qui n’ont pas envoyé de représentants ont eu des voix conséquentes. Les bulletins ont été répartis entre tous les candidats (Alwatwan, n°100). Dans la région de Hamahame, plusieurs candidats n’ont obtenu aucune voix.
Au deuxième tour des élections, beaucoup pensaient que c’est le candidat Taki qui devait sortir vainqueur pour plusieurs raisons. Il est sorti en tête du premier tour de ces élections avec un score de 24,35%. Il avait le soutien des candidats déchus comme Mohamed Ali Mbalia et Abbas Djoussouf. Cependant, cela n’était pas suffisant pour gagner les élections. Djohar étant président candidat avait le soutien de son gouvernement, mais aussi de la France. Un aspect largement suffisant pour gagner les élections, surtout quand on se retrouve en Afrique où, le plus souvent, le parti au pouvoir ne perd pas les élections.
Ainsi, Djohar sort vainqueur des élections avec un score de 55%. Beaucoup de fraudes et de malversations ont été signalées dans certaines villes et villages. La crédibilité d’un système démocratique repose surtout sur le déroulement des élections.
Des élections plus aux moins crédibles
Aux Comores, les battus contestent toujours les résultats des élections. Le plus souvent, ils ont raison. Mais, pour la première fois, des candidats vaincus ont reconnu leurs défaites aux présidentielles de 1996 et de 2006. Entre les deux, il y a eu les élections présidentielles de 2002 où les candidats qui sont allés en deuxième tour avec le Colonel Azali Assoumani ont décidé de boycotter les élections pour dénoncer les fraudes. Il s’agit de Mahamoud Mdradabi et Said Ali Kemal.
En 1996, le candidat Mohamed Taki Abdoulkarim est allé au deuxième tour avec Abbas Djoussouf. Dans Alwatwan n°405 du 29 mars, on peut lire : « Mohamed Taki devient chef de l’État. Pour la première fois, le candidat battu reconnait sa défaite et souhaite bonne chance. » Une étape très importante pour le bon fonctionnement du pays.
En 2006, suite à la nouvelle constitution, issue du referendum de 2001, le tour revient à l’île d’Anjouan. L’élection primaire s’est déroulée le 16 avril où les candidats Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, Mohamed Djanfari et Ibrahim Halidi sont allés au deuxième tour.
Le deuxième tour des élections s’est déroulé le 16 mai, dans un climat plutôt tendu où un groupe de personnes a tenté de commettre des fraudes. L’un des responsables de la CNEC, Ahmed Haliba, est arrêté en flagrant délit. Il était en possession de 393 cartes d’électeurs. Après une enquête menée par la Mission africaine de Sécurisation des Élections (AMISEC), Ahmed Haliba a fini par dénoncer son chef, le président de la commission, Abderemane Hilali. Malgré ces fraudes et autres tentatives, le candidat Ahmed Abdallah Sambi est élu président de l’Union des Comores avec 58%. L’opinion et le camp des perdants ont accepté les résultats.
De la forfaiture
En 2010, c’est au tour de l’île de Mohéli d’assurer la présidence tournante comme. Le parti au pouvoir avait comme slogan « le relais qui rassure ». Ce dernier veut continuer avec la même équipe. Pourtant, lors d’un discours où il s’adresse à la nation, il a violemment critiqué son équipe en ce terme : je suis mal servi et trahi par mes proches. Cette phrase montre que le président Sambi est déçu de son équipe. Mais lors des élections, il a présenté cette même équipe pour briguer la présidence. À la tête de sa liste, il a placé son ancien Vice-président, un novice en politique, alors que Mohéli était considérée comme un fief de l’opposition. Le 7 novembre 2010, le premier tour des élections s’est déroulé. Le candidat de l’opposition, Mohamed Said Fazul a obtenu 22,94%. Ikililou, candidat issu de la mouvance présidentielle a eu 28%.
L’opposition et la société civile crient au scandale. Les résultats du premier tour donnent un goût amer aux opposants du régime, qui pensaient arriver en tête des élections. Le 26 novembre 2010 s’est déroulé le deuxième tour. Les résultats officiels déclarés par la Cour constitutionnelle donnent une large victoire au candidat de la mouvance présidentielle avec 60,91% et le principal candidat de l’opposition, Mohamed Said Fazul a eu 32%. L’opposition rejette en bloc les résultats. L’opinion crie au scandale. Mais comme on l’a dit précédemment, c’est le relais qui rassure. Il fallait par tous les moyens possibles que le candidat du pouvoir sorte vainqueur.
Depuis 2016, le pays perd sa crédibilité dans l’organisation des élections présidentielles libres et transparentes. Le tristement célèbre « 104% » lors des élections de 2016, et le troisième tour de ces mêmes élections, ont décrédibilisé les instances nationales.
Dans quelques mois des élections présidentielles seront organisées. Il serait sage pour que les autorités actuelles respectent ceux qui se déplacent pour accomplir leur devoir civique.
Saïd Maoulida, Doctorant en Histoire à l’Université d’Antananarivo