Certains aspects de l’organisation politique des Comores méritent une clarification. Depuis l’accès à indépendance, les Comores ont traversé des crises politiques et ont connu plusieurs coups d’État ou tentatives. Le putsch mené par le colonel Azali Assoumani en 1999 a permis d’initier les Accords de Fomboni et de résoudre la crise séparatiste qui avait débuté en 1997.
Par HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste Publiciste et Internationaliste, Paris -France
Sous le premier régime d’AZALI Assoumani, une nouvelle constitution a été adoptée pour mettre fin aux crises. Cette constitution de 2001 visait à promouvoir la réconciliation nationale et à instaurer un modèle de gouvernance inspiré du fédéralisme. Ce modèle accordait une large autonomie aux îles, chacune disposant de son propre gouvernement avec des compétences définies, tout en réservant certaines compétences à l’Union. L’élément clé de ce modèle était la présidence tournante, permettant à chaque île de présider l’Union des Comores à tour de rôle.
Cependant, ce modèle s’est révélé caduc1. Après les trois mandats insulaires successifs, le retour au pouvoir d’Azali Assoumani en 2016 a conduit à une révision de la Constitution. Bien qu’il a initié les accords de Fomboni de 2001, il a jugé nécessaire cette fois de réviser la constitution pour répondre aux défis actuels. Ainsi, des assises nationales ont eu lieu, et une réforme constitutionnelle a été adoptée, écartant la présidence tournante2 et renforçant les pouvoirs du président de la République. Cette réforme a supprimé les vice-présidences et accru le contrôle du pouvoir central sur les îles, réduisant ainsi leur pouvoir politique et administratif.
Il est clair que les accords de Fomboni sont des vieilles lunes et ne reflètent plus la réalité actuelle des Comores, un pays de seulement 2 512 kilomètres, y compris Mayotte. Les querelles politiques et la superposition des gouvernements insulaires ont entravé l’efficacité de l’administration centrale. L’Union des Comores se retrouvait fréquemment en conflit avec les gouvernements insulaires, ce qui ralentissait le fonctionnement administratif et exacerbait les conflits de compétences et d’intérêts. Il est donc légitime de conclure que les Accords de Fomboni ont échoué depuis 2008, sous le régime de l’ex-président Sambi. En effet, la constitution de 2001 n’a pas réussi à apaiser durablement les tensions interîles, ce qui a conduit à une nouvelle crise séparatiste3 nécessitant une intervention militaire soutenue par l’Union Africaine pour mettre fin au régime autoritaire de Mohamed Bacar à Anjouan.
Il est crucial de mettre en lumière certains aspects fondamentaux pour toute personne maîtrisant les mécanismes politiques. En effet, en Afrique, nous sommes confrontés à une concentration excessive du pouvoir entre les mains des chefs d’État4. Dans ce contexte, la Constitution comorienne, en son chapitre VI, précise à l’article 113 que « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de l’Union et à au moins un tiers des membres de l’Assemblée de l’Union ». Cette disposition indique que tout gouvernement disposant de la majorité au sein de l’Assemblée peut faire des révisions dans les règles établies, sans qu’il y ait nécessairement violation de la Constitution.
Ainsi, les critiques évoquant une prétendue violation de la Constitution doivent être examinées avec discernement. Elles témoignent souvent d’une frustration des autres partis politiques constituant l’opposition. Il convient de rappeler que, conformément au chapitre VII de la Constitution, en particulier à l’article 117, « la présente Constitution, adoptée par voie référendaire, abroge et remplace les dispositions de la Constitution du 23 décembre 2001 révisée, qui lui sont contraires ». Cette révision est l’aboutissement des assises nationales de 2018 à Moroni5. Cette règle assure la légitimité des révisions effectuées dans le cadre légal établi6.
Éclaircissement constitutionnel et juridique des actes pris par le Président de l’Union des Comores
Certains prétendus constitutionnalistes affirment que les mesures prises par le président violent la Constitution en restreignant les prérogatives des gouverneurs. Il est important de rappeler que nous évoluons dans un État unitaire, ce qui implique la présence d’un gouvernement central.
Il sied de comprendre que l’autonomie accordée aux îles n’est qu’une autonomie de gestion et de libre administration, telle que définie par la Constitution, plus précisément dans son Chapitre IV, Article 99. Ce texte met en avant le fait que les îles disposent d’une personnalité juridique propre et bénéficient d’une autonomie dans leur gestion et leur administration. Toutefois, il est de la plus haute importance de noter que cette autonomie n’est pas équivalente à un pouvoir de décision politique ou administrative comparable à celui des autorités centrales. Les administrations insulaires fonctionnent selon des modalités semblables à celles des communes, ce qui ne signifie pas qu’elles exercent une véritable autorité décisionnelle indépendante.
Il est également pertinent de souligner que les modalités de l’organisation étatique dans un État unitaire incluent des aspects de déconcentration et de décentralisation. La perception de ces modalités peut varier selon les structures politiques et juridiques en place.
L’article 54 de la Constitution stipule que le président de l’Union des Comores est le chef du gouvernement et qu’il peut déléguer certaines de ses compétences aux membres du gouvernement. Il n’est donc pas surprenant que le président ait choisi de confier certaines prérogatives au secrétaire général du gouvernement, Nour El Fath Azali. Cette réorganisation s’inscrit dans la dynamique de renouveau fortement soutenue par ce dernier, qui vise à accompagner la vision d’émergence 2030 du président Azali Assoumani. Cette démarche pourrait également répondre aux préoccupations exprimées par Idrisse Mohamed, qui a demandé l’annulation du décret relatif aux prérogatives du secrétaire général, arguant que l’article 36 de ce décret contrevenait à l’article 99 de la Constitution de l’Union des Comores. L’autre facette de la politique réside dans la nécessité fréquente de placer des personnes de confiance à des postes clés. Aussi bien qu’il faut distinguer clairement la politique de l’administration, qui représentent deux réalités distinctes.
Il est regrettable que l’on se contente de lire la Constitution de manière incomplète et de présenter des logorrhées. Bien qu’il existe certaines juxtapositions au sein de ce texte fondamental, le requérant ne les a pas mises en avant. C’est vraiment dommage, car cela aurait pu lui permettre de s’affirmer et de justifier son point de vue sous un autre angle. Cette approche ne relève pas véritablement de la constitutionnalité, mais plutôt d’une vision étatiste, qui requiert une perspective plus approfondie sur cette question.
NOTES DE LA RÉDACTION
1. Il est dommage que l’auteur ne montre pas en quoi le système était devenu caduc, alors qu’il a permis, de l’aveu même des Azalistes, d’avoir une certaine stabilité politique, et des alternances plus apaisées que les troubles que nous connaissons à chaque élection depuis 2018.
2. La présidence tournante n’a pas été abolie, bien que chacun comprenne que c’est un des objectifs du pouvoir actuel s’il veut maintenir Azali Assoumani ou l’un de ses enfants à la tête de l’État après 2029.
3. L’auteur voit une « nouvelle crise séparatiste » là où il y avait, en réalité, une continuation de la crise séparatiste de 1997 qu’Azali Assoumani n’a pas réussi à résoudre puisque Mohamed Bacar est resté « président de l’État d’Anjouan », malgré le putsch de 1999, les Accords de Fomboni, la Constitution de 2001 et les élections présidentielles de 2002 et 2006. En 2008, le président Mohamed Sambi fait appel à l’Union Africaine pour enfin mettre fin à une balafre restée depuis 1997 : l’«État d’Anjouan », un État dans l’État.
4. C’est le cas actuellement aux Comores, même si le président élu par des fraudes massives a transféré l’essentiel des pouvoirs à son fils nommé Secrétaire Général du Gouvernement avec possibilité de contrôle des actions des ministres, des gouverneurs, des députés, des secrétaires généraux des ministères… et même des Directeurs des sociétés d’État.
5. Il s’agit ici d’un des éléments de langage repris depuis 2018 dans les milieux azalistes, mais les Assises n’ont pas élaboré de Constitution. Elles ont fait des propositions dans divers domaines, et le gouvernement Azali a choisi de ne prendre en compte que le domaine de la révision constitutionnelle et de faire des propositions qui n’avaient même pas été envisagées par les Assises.
6. L’auteur de cet article, qui est un juriste, a tout simplement oublié que pour pouvoir changer ou réviser la Constitution de 2001, le chef de l’État, Azali Assoumani a fait fi de la séparation des pouvoirs et a suspendu la Cour Constitutionnelle, ce que, bien entendu, la Constitution en vigueur ne lui permettait pas. Cette violation majeure de la Constitution de 2001 de la part de l’Exécutif rend donc illégales toutes les modifications qui ont suivi. La Constitution de 2018 a été installée par le « droit » du plus fort, et non par le droit.
Mahmoud Ibrahime, pour la Rédaction