Les vestiges d’anciens bâtiments construits en durs à l’époque des sultans ou encore à l’époque coloniale sont visibles un peu partout dans l’archipel des Comores. Leur histoire, bien qu’encore peu documentée, est bien connue de nos aînés qui la transmettent avec passion à qui veut bien leur prêter une oreille attentive. Pourtant, on constate avec amertume que nombre de ses vestiges sont laissés dans un état d’abandon alarmant. Par Nawal Msaïdié
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état d’abandon : l’ignorance de l’histoire des bâtiments, les querelles de propriété qui empêchent toute prise d’initiatives sur le lieu-dit ou encore l’absence de mesures de protection et de restauration de nos monuments historiques.
Sur le site internet de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la science et la culture), on remarque qu’aucun monument des Comores n’est inscrit au patrimoine mondial. Beaucoup de C omoriens sont persuadés que certains vestiges des palais de sultans sont inscrits, comme la citadelle de Mutsamudu qui a bénéficié d’actions de sauvegarde et de restauration par le Collectif du Patrimoine des Comores avec l’appui de certaines institutions internationales.
En fait, la citadelle de Mutsamudu, comme quatre autres sites (la médina de Domoni-Ndzuani, la médina d’Itsandra-Ngazidja, la médina d’Iconi-Ngazidja, la médina de Moroni-Ngazidja) sont regroupés sous l’appellation « sultanats historiques des Comores » sur la liste indicative de l’UNESCO depuis 2007. « Une liste indicative est un inventaire des biens que chaque État partie a l’intention de proposer pour inscription ».
L’engagement de l’État est nécessaire
Quatorze années qu’une partie de notre patrimoine (voire les autres sites répertoriés dans la liste indicative sur le site de l’UNESCO) attend d’avoir une reconnaissance mondiale qui pourrait permettre un accès à une expertise et des financements pour restaurer les bâtiments, mais aussi créer une nouvelle économie grâce aux activités qui naîtraient pour valoriser le site (formation, apparition de nouveaux métiers, implantation d’entreprises culturelles et touristiques, etc.).
Les procédures pour une inscription au patrimoine mondial sont très strictes et demandent l’implication de nombreux experts et l’engagement de l’État partie.
Peut-on cependant parler d’abandon total de ces monuments ?
Du point de vue de l’Etat et de la Direction générale des Arts et de la Culture, les choses semblent s’accélérer quant à l’inscription du patrimoine mondial du sultanat historique. Le 13 novembre 2020 a été publié un « rapport de synthèse et de prospection sur le patrimoine bâti de l’époque classique de Ngazidja (Grande Comore, Union des Comores) vient d’être publié. Il fait suite à une prospection menée en 2019 sur place à Ngazidja. Ce travail a été mené par Mohamed Hamadi, consultant UNESCO, doctorant en droit public à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, ainsi que trois chartistes, Charles Viaut (promotion 2018), Jean Bernard (promotion 2019) et Léo Davy (promotion 2019) » (source : « Archive ouverte en sciences de l’Homme et de la société »). Le 29 septembre 2020, « des experts internationaux de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et la science (ALECSO) ont animé une réunion en ligne sur le thème « Sauvegarde du patrimoine culturel des Comores » afin d’appuyer la candidature des Comores pour l’inscription des sites au patrimoine mondial.
La restauration doit suivre des règles
De multiples initiatives des villages où se situent les bâtiments sont aussi lancées. Les villageois qui constatent l’état délétère des monuments cotisent et/ou font appel à des dons pour le restaurer, voire le réhabiliter. Le problème souvent rencontré est que face à l’absence d’expertise (a minima un historien et dans le meilleur des cas un architecte du patrimoine), les restaurations se font de manière hasardeuse et peuvent mettre en danger les bâtiments. Ainsi M. Hamadi Ibnou Mohamed, nous explique que « le ciment n’est pas approprié dans les monuments de la période sultanale (XIIIe au XIXe siècle) en raison de sa composition chimique. Mais pour rendre la question simple, je dirais que le ciment est plus lourd que la chaux, élément de base des constructions de l’époque. Le ciment n’est compatible qu’avec des matériaux durs, ferrailles, etc., contrairement à la chaux qui intervient sur des matériaux light, les pierres coralliennes et la volcanique réputées légères. Difficile de retourner à la case de départ contrairement à la chaux qui devient avec le temps poussière, car les matériaux sont vivants et se détachent seulement de la pierre. »
Certaines initiatives, bien que partant d’une bonne intention, peuvent donc nuire de façon irréversible aux bâtiments. Pour ne citer qu’un exemple, l’utilisation de ferrailles dans une opération de restauration du palais de Domoni a provoqué un affaissement à l’intérieur du bâtiment.
La restauration d’un monument historique doit suivre des étapes précises et bénéficier d’une expertise scientifique et technique qui peut être fournie par l’État ou des institutions internationales.
Moroni Accueil rénove le site Mbaé Trambwe
De nouvelles initiatives semblent fort heureusement s’attacher à la réglementation, on citera donc en dernier point le projet lancé par l’association Moroni Accueil qui s’est lancé dans la rénovation du site Mbae Trambwe avec la société Mohamed Grand Mur. Le lancement du projet fait suite à une visite du site par une classe de l’école Mouniat. Madame Amina Mze, directrice du groupe scolaire et présidente de Moroni Accueil, attristée par l’état du « Goba la salama » a tenu à œuvrer pour la restauration de cet élément central de notre histoire. « Cette opération intervient dans le cadre d’un financement du Service de coopération et d’Action culturelle de l’Ambassade de France en Union des Comores, en partenariat avec la Fondation Mbae Trambwe, le CNDRS, la Direction de l’Artisanat, supervisé par la commune de Koimbani. L’association travaille en collaboration avec Mme Yakina Djelane, historienne, Mr Farouk Djamili, Mr Said Ahmed Dahalani, architecte, et Mr Naguib dans ce projet » (source : page Facebook Moroni Accueil). De la chaux trouvée aux alentours de Koimbani sera utilisée, signe de bon augure quant à la pérennité de la restauration.
Jusqu’à quand le lancement de ces activités éparpillées permettra la sauvegarde, souvent « éphémère » du patrimoine bâti ? À quand un suivi et appui clair et précis de toutes les actions de restauration ? Combien de temps encore avant la validation de l’inscription de nos monuments historiques au patrimoine mondial ?
L’avenir des monuments historiques des Comores semble encore très incertain.