L’Accord de coopération signé par le ministre des Affaires étrangères, Amine Souef et son homologue français, Jean-Yves Le Drian marque la fin du bras de fer entre les deux pays sur la question des déplacements de ressortissants de nationalité comorienne sur l’île de Mayotte et leur reconduite dans l’une des trois autres îles par la police française. Une crise qui avait crispé les relations entre les deux pays pendant l’année 2018.Mahmoud Ibrahime
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L’année dernière, après le refus de la partie française d’appliquer un précédent accord signé par les deux pays (« la feuille de route »), le ministre Souef avait décidé de ne plus accepter la reconduite vers les trois îles de Comoriens sans papiers arrêtés à Mayotte. La réplique française a consisté à ne plus délivrer de visas aux Comoriens.
Après plusieurs mois de blocage des deux côtés, des négociations ont commencé et les deux pays avaient signé le 6 novembre 2018 une déclaration commune dans laquelle ils annonçaient un accord avant la fin du mois, mais cela n’a pas été concrétisé.
Dans les discussions, la partie comorienne a été contrainte de prendre en compte les demandes des élus mahorais, eux-mêmes soumis à la pression de la population maoraise qui a fait plusieurs mois de grèves et de manifestations pour demander le blocage des arrivées des kwasa-kwasa. Les autorités comoriennes avaient toujours refusé la participation des élus maorais aux discussions, mais cette fois, le ministre comorien, Amine Souef a été obligé d’accepter leur présence et entendre leurs revendications notamment le lundi 22 juillet, un peu avant la signature du document. Le contenu de ces Accords montre aussi que les revendications maoraises ont été largement prises en compte.
L’objectif reste d’empêcher les déplacements vers Mayotte
L’Accord signé ce 22 juillet au Quai d’Orsay par les ministres des Affaires étrangères en présence du chef de l’État comorien est composé de cinq pages, suivi de cinq autres pages d’annexes qui précisent comment les 150 millions d’euros octroyés par la France doivent être utilisés.
D’une manière globale, l’Accord est centré quasi uniquement sur l’arrêt des déplacements des Comoriens vers Mayotte. Presque quatre pages sur les cinq de l’Accord détaillent les opérations qui vont permettre de parvenir à cet objectif.
Dans les « considérants » qui justifient l’Accord, on peut noter trois idées importantes. La première c’est que les deux pays s’engagent à « maitriser et traiter les causes profondes des migrations régionales et internationales ».
La deuxième c’est l’intégration des élus de Mayotte dans les discussions concernant Mayotte. C’est un principe sur lequel s’arc-boutait la diplomatie comorienne depuis des années. On raconte qu’Amine Souef avait annulé un diner au Quai d’Orsay à cause de la présence des Maorais. Depuis, des photos dans les réseaux sociaux avaient montré le patron de la diplomatie comorienne en train de diner avec le député Kamardine Mansour. Il faut croire que les échanges entre Souef et les élus maorais ont été fructueux puisque cette intégration des Maorais dans les discussions est confirmée dans le dernier point de cet Accord. On y annonce la mise en place d’un Comité franco-comorien de haut niveau dans lequel les élus mahorais seront inclus.
Enfin, dès le début des Accord, le maitre mot reste « bilatéralisme ». L’Accord insiste sur ce principe qui guide les relations entre la France et les Comores s’agissant de la question de Mayotte. Il s’agit pour les deux pays de retirer le contentieux d’une éventuelle recherche de solution de la communauté internationale et de la traiter au niveau des deux concernés. C’est d’ailleurs ce que devrait répéter Azali Assoumani à l’ONU en septembre.
Maitrise des flux migratoires
Dans la partie « objectifs » (page 2),ces éléments sont repris : maitriser les flux de population en direction de Mayotte et développer la coopération économique entre la France et les Comores.
En ce qui concerne la lutte contre les déplacements vers Mayotte, les Comores s’engagent à empêcher les départs de kwasa-kwasa vers Mayotte, et à ce propos, il est rappelé dans les Accords que ce travail a déjà commencé avec une note de service du 31 juillet 2018 « interdisant le transport de passagers en kwasa ». Les Comoriens s’engagent à ramener les embarcations interceptées dans les eaux territoriales comoriennes vers Anjouan. Cela suppose que même si les embarcations ne sont pas comoriennes ou ne transportent pas de Comoriens, elles doivent être ramenées à Anjouan. Il est prévu également le démantèlement des ateliers de kwasa qui contribuent au déplacement vers Mayotte.
La partie française s’engage a appuyé les gardes-côtes comoriennes déployées entre Anjouan et Mayotte, à octroyer un budget de fonctionnement, à former les officiers chargés de la surveillance de la mer, à installer un radar à Anjouan pour surveiller et intercepter les kwasa-kwasa. Au niveau juridique, il est prévu de renforcer l’arsenal contre les passeurs à Mayotte et à Moroni.
Les deux pays s’engagent à collaborer pour le retour de tous les ressortissants de nationalité comorienne qui seraient pris à Mayotte. C’est contre cette mesure que Souef avait engagé un bras de fer avec la France l’année dernière et provoqué une crise entre les deux pays. Cette fois Amine Souef accepte de reprendre sans problème ceux qui sont considérés comme des clandestins à Mayotte, mais il accepte également de prendre en compte des mineurs nonaccompagnés qui, théoriquement, ne sont pas expulsables de Mayotte, les mineurs n’étant pas considérés comme des « clandestins » au regard de la Convention des Droits des enfants dont les deux pays sont signataires.
150 millions d’euros pour la coopération bilatérale
La dernière partie de l’Accord est consacrée à la coopération bilatérale et décentralisée. La France promet de mettre sur la table près de 150 millions d’euros sur trois ans pour aider au développement dans certains secteurs prédéfinis, dont la santé, l’éducation et la formation professionnelle. L’Accord précise : « Un effort particulier est prévu pour Anjouan ». Pourquoi ? Ce n’est pas expliqué, mais comme c’est l’île qui va subir le plus les conséquences de l’arrêt de fabrication des kwasa et même des départs vers Mayotte, c’est en quelque sorte une compensation.
Il est précisé en plusieurs endroits de l’Accord que l’AFD ou l’assistance technique française gardent la main sur le déblocage et l’utilisation des fonds prévus.
Cet Accord est fragilisé dès le départ par le fait qu’il a été caché aux élus comoriens (alors que les élus maorais ont pu le discuter et le modifier selon leurs exigences). Il n’est donc pas le fruit d’un consensus. Il est déjà rejeté par toute l’opposition et une bonne partie de la population qui le découvre. Il est obtenu par la France pendant une période de crise politique où la démocratie est fragilisée. La France en est consciente et sait donc qu’il risque de ne pas faire long feu, comme les précédents accords qui mettaient trop avant l’arrêt de la circulation au sein de l’archipel.
Le ministre Amine Souef a été contacté par la rédaction pour expliquer aux Comoriens l’Accord qu’il a signé. Il a accepté la forme de l’interview et a demandé que nous lui adressions les questions. Encore jeudi à 9h, il nous disait : « Vous aurez les réponses d’un moment à l’autre ». Jusqu’à vendredi il ne nous a pas renvoyé l’interview et pire jusqu’à maintenant il n’a pas eu l’élégance de s’excuser. D’une manière générale, aucune des organisations de l’Alliance présidentielle n’a fait un communiqué pour défendre l’accord signé lundi 22 juillet
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