Submergés par le trafic illicite des drogues (héroïne, cocaïne, cannabis et nouvelles substances psychoactives), les États insulaires de l’océan indien n’ont pas encore pu mettre en place des solutions communes pour faire face efficacement à ce fléau. Aux Comores et à Madagascar notamment les moyens juridiques, matériels et humains semblent en deçà des enjeux. Par Faïssoili Abdou
« Marées changeantes : l’évolution du commerce illicite des drogues dans l’océan Indien occidental ». Tel est le titre d’un rapport publié ce mois de juin par Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (Global initiative against global transnational organized crime), une ONG qui a son siège à Genève. Le rapport démontre comment les marchés de la drogue se développent et se diversifient dans les États insulaires de cette partie du monde entre l’Afrique et l’Asie, alimentant la corruption et entrainant une consommation intérieure croissante. Ainsi, Maurice et les Seychelles font état de taux de consommation d’héroïne parmi les plus élevés du monde. Madagascar qui est un important exportateur de cannabis dans l’économie de la drogue interîles doit faire face également au transit dans ses frontières d’énormes quantités d’héroïne.
Du fait de leur positionnement entre l’Afrique et l’Asie, ces États insulaires ont été « touchés par l’évolution de la production et du trafic de drogue sur les deux continents », observent les auteurs du rapport. Ils soulignent en même temps que les îles de l’ouest de l’océan Indien forment « un écosystème de trafic de drogues interîles distinct et unique ». Un écosystème qui, à les entendre, « subit actuellement des changements importants, avec une augmentation du volume et de la diversité des drogues illégales faisant l’objet d’un trafic vers et entre les îles ».
Au sujet des îles Comores, les experts signalent que « depuis 2015, aux flux historiques d’héroïne se sont ajouté un flot de cannabinoïdes de synthèse, qui ont fondamentalement perturbé les marchés de la drogue à Maurice et aux Comores (y compris Mayotte, NDLR)». La dynamique serait différente au département français de la Réunion. Dans ce même ordre d’idées, le rapport relève qu’à Madagascar comme aux Comores, les marchés de la drogue sont l’un des nombreux marchés illicites facilités par la corruption. Dans la zone océan indien, le marché bénéficierait « d’un certain degré de protection dans toutes les îles, bien qu’elle soit beaucoup plus limitée dans les territoires français d’outre-mer de la Réunion et de Mayotte.», avancent-ils. De même, les Comores ont également été citées comme un point de transit possible dans le commerce international de l’héroïne, même si les données actuelles ne le confirment pas avec exactitude.
On notera ce passage du rapport qui cite notamment le témoignage d’un « commentateur » qui aurait suggéré que « des vraquiers transportent l’héroïne de l’Iran aux Comores avant de la conteneuriser pour la faire transiter vers l’Europe (en tirant parti de l’important port à conteneurs d’Anjouan). » Une affirmation sur laquelle se serait appuyée, « l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui aurait identifié un vraquier qui voyage depuis l’Iran et passe régulièrement par les Comores et le nord-est de Madagascar (la principale zone d’exportation de drogues de l’île), et qui est soupçonné de décharger l’héroïne sur de plus petits navires. », explique le rapport. Les auteurs relèvent qu’un « signalement de boutres s’abritant autour des Comores en 2020, suite à une série d’interceptions autour de la côte mozambicaine, pourrait indiquer une utilisation accrue des Comores comme point de transit à l’avenir. Cependant, à l’heure actuelle, nos recherches n’ont pas trouvé de preuves que les Comores fonctionnent comme un point de transit important ». Et de conclure que pour le moment « l’archipel fonctionne plutôt comme un petit marché de destination, la majorité de l’héroïne étant importée de Tanzanie, grâce à des liens commerciaux et culturels établis de longue date ».
Le rapport évoque également l’importance des cannabinoïdes synthétiques notamment la « chimique » qui est arrivée dans la région entre 2011 et 2013. En 2015, ces cannabinoïdes avaient radicalement changé les marchés de drogues illicites de Maurice et de Mayotte, et à partir de 2018 celui des trois autres îles des Comores.
A Mayotte, dont le marché de la drogue préexistant est extrêmement limité, les cannabinoïdes synthétiques sont la drogue la plus répandue sur l’île (à l’exception du cannabis) débordant sur les trois autres îles des Comores. L’étude démontre ainsi que la consommation de la « chimique » est d’abord apparue chez les jeunes de l’île comorienne sous administration française et qu’elle est maintenant concentrée dans les groupes de « migrants en situation irrégulière ». La « Chimique » sera ensuite signalée en 2017 à Anjouan, l’île la plus proche de Mayotte, avant de se répandre dans toutes les îles de l’archipel.
Contrairement à Madagascar, le marché comorien de la drogue est contrôlé en grande partie par des ressortissants comoriens. Les importateurs de leur côté seraient principalement malgaches et tanzaniens (reflétant les principaux pays sources du marché comorien).
Il faut remarquer que face au fléau du trafic illicite des drogues, tous les pays de la région ne sont pas logés à la même enseigne. Madagascar et les Comores semblent les moins armés pour en faire face. « Les législations de Madagascar et des Comores, qui n’ont pas été révisées depuis 1995 et 1997 respectivement, déploient une approche prohibitionniste franche. Celles des Seychelles, de l’île Maurice, de la Réunion et de Mayotte (ces deux dernières étant régies par le droit français), qui ont fait l’objet de fréquentes révisions, sont plus restrictives », lit-on dans le rapport. Cependant, les auteurs estiment que « bien qu’extrêmement prohibitionnistes sur le papier, dans la pratique, les Comores et Madagascar font preuve d’une inertie significative face à la consommation croissante de drogues (comme en témoigne l’absence de réforme législative ». Le code pénal comorien se contente de prescrire une peine générale comprise entre un et dix ans, sans faire de distinction entre l’usage, la possession et le trafic. Et sans une réponse ferme, Madagascar et les Comores, craignent les experts, risquent « de glisser sans entrave vers l’inévitable débordement de la drogue ».