Perché sur les hauteurs de Moroni, plus près de la région d’Itsandra que de celle de la capitale dont il est rattaché, se trouve Sahara. Un quartier dont l’évocation du nom provoquait moqueries, voire mépris de la part des autres habitants de la capitale. Les plus gentils vous astreignez à leur apporter des mangues ou divers types de fruits tellement l’endroit était assimilé à un champ. À l’école primaire et au collège de la coulée où les enfants du quartier suivaient leur scolarité, ces jeunes faisaient souvent l’objet de railleries de leur camarade de classe. Des comportements qui ont créé un ciment à l’intérieur de la communauté, mais, surtout un repli sur soi. Par BSA
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Peut-être qu’il faut revenir un peu en arrière pour expliquer l’historique de ce quartier, pour comprendre les maux dont il souffre aujourd’hui. Pour construire, l’école nationale de santé a identifié un site à Moroni ambassadeur. Mais, pour ce faire il fallait déloger des centaines d’habitants qui squattaient cet endroit. Pour se défendre, les femmes sont allées voir le président Abdallah pour leur trouver une solution. Ainsi le ministère de l’Aménagement du territoire avait été chargé de trouver un site et octroyé aux (34 ou 35 il y a débat ) familles Sabena rapatriées de Madagascar suite aux massacres perpétrés contre les Comoriens vivant essentiellement à Majunga en décembre 1976. Ainsi est né le quartier Sahara. Comme son nom ne l’indique pas, l’endroit était loin d’être désertique, au contraire. Très rocheux, mais plutôt verdoyant. En août 1983 les premières familles commencèrent à prendre possession des lieux.
Les débuts.
Au départ la convivialité et la fraternité étaient la norme. Les familles sortaient ensemble pour faire le marché ou pour puiser l’eau au quartier Radio-Comores. L’enfant était de tout le monde, les réprimandes n’étaient pas l’apanage des seuls parents biologiques tout le monde pouvait prendre part à la bonne éducation de l’enfant. Cette situation s’expliquait par le fait que les habitants constituaient un noyau compact qui vivait autour des mêmes valeurs. Ahmed Élisée un jeune géographe formé à Ankatso parle des deux premières générations comme celles qui se souciaient de suivre les instructions parentales, des casaniers pour être juste.
L’absence pour les parents d’un socle familial élargi à augmenter le sentiment de repli et le choix de vivre entre soi. Ce qui continue à pénaliser même la nouvelle génération plus instruite qui n’arrive pas à se détacher de ces vieux clichés. Cette cohésion tournait autour du grand fundi Bacari Hamadi, communément appelé mbaba Silima. Dès le départ le quartier était constitué de deux écoles coraniques ( fundi mbaba Ali et fundi Msa Karani) ou même les enfants des villages voisins ( Salimani, Mirontsy …) venaient apprendre. Toute fois fundi Bacari restait le personnage central et la référence, avec d’autres pères qui n’avaient pas connu « lekafa la mjangaa », mais mariés à des femmes sabena, ils constituaient les figures parentales. Les jeunes s’ils n’allaient pas à l’école passaient leur temps dans les manguiers ou à jouer au football dans leur stade mythique dit, ndopvwa poro. Une sorte de Maracana accidenté ou souvent l’adversaire n’était pas le joueur du camp opposé, mais les cailloux qui essaimaient partout. Des grands noms du foot sont sortis de là pour grossir les rangs des équipes de la capitale ou ailleurs, Ahmed Balbo, Adolphe, Issa…
Autres lieux de retrouvailles la grande forêt d’Itsandra “Mahu” ou ils allaient cherché du bois de feu ou couper des arbres pour la construction des Vala. La géographie, c’est pas forcément à l’école qu’elle était apprise, mais auprès d’un vieux navigateur (Balbo) venu s’échouer à Sahara. Les quartiers de Marseille n’étaient un secret pour personne. Au fur et à mesure que s’installent des nouveaux arrivants, la cohésion des habitants commençait à se déliter. Dans la mesure où un décalage s’est créé entre les nouveaux et les Sabena d’origine. Cette distorsion de la population, ajoutée à un fait externe (politique), aura un impact négatif par la suite.
Le tournant
Lors des élections présidentielles de 1990, la majorité du quartier avait pris fait et cause pour le candidat Djohar, pour une raison évidente (ce dernier était né à Madagascar), en lui, ils trouvaient cette figure tutélaire qui leur manquait.
Les figures paternelles citées plus haut, originaires du Hamahame pour la plupart, roulaient pour le candidat Taki. Bien que cette situation n’était pas figée, elle a définitivement eu raison de l’entente cordiale d’autrefois. D’une manière ironique, la disparition des blocs est-ouest a eu l’effet inverse à Sahara ou une multitude de blocs familiaux se sont constitués. Du jour au lendemain des familles ont été bannies, dans les cérémonies on ne se mélange pas avec ceux qu’on pense être des adversaires. Par animosité ou excès d’orgueil, certains commencent à se replier dans leur village d’origine, lesquels dans un passé proche les ignoraient éperdument.
La rupture
Malgré les péripéties l’éducation a toujours maintenu bon an mal an un certain équilibre précaire. Sahara est une université à ciel ouvert où l’instruit peut facilement engager un débat avec l’illettré du coin. Quand la première génération a commencé à avoir une certaine indépendance vis-à-vis des parents, un climat de défaillance apparut entre les figures paternelles et les jeunes aux dents longs. Dépassés par l’accélération des événements certains parents commencèrent à lâcher prise voir à abandonner le bateau qui chavirait et il finit par faire imploser la chape de plomb qui pesait sur les habitants.
Descente aux enfers.
Passée de moins de 100 en 1983 à plus de 700 habitants aujourd’hui, la trentaine de familles du quartier n’a pas su appréhender cette transformation. Toute la racaille qui fuyait la répression policière dans les quartiers du centre et du sud a trouvé refuge avec la complicité des jeunes du quartier, sans qu’aucun n’élève la voix. Un émiettement qui a forgé l’esprit individuel et qui a fini par avoir raison de la fraternité. Chacun regarde la maison du voisin brûler avec le tuyau d’arrosage à la main prêt à éteindre la sienne si le feu se présente. Pour illustrer cette situation, un adage propre à Sahara est là pour rappeler à tous ceux qui sont touchés par la grâce et qui aimeraient inverser les choses : “Hayina mdru nemna 20m2 wahahe no mahala hawu nyeya”.
Il ne pas rare qu’en entrant ou sortant su quartier tu croises une nuée de jeunes portant des sacs noirs. Le commun des mortels serait tenté de dire que les habitants du lieu aiment la discrétion. Détrompez-vous, les petits colis en réalité cachent de l’alcool frelaté (vuruga), très prisé par certains hauts gradés de l’armée qui n’hésitent pas à faire le tour pour prendre un coup. Sahara est devenu le Rome du rhum jusqu’à en faire pâlir madjayadju.
Doutes et espoirs
La métamorphose de Sahara le caillouteux ne s’est pas fait que dans le négatif. Une opération de réhabilitation des voies de passage est entamée depuis le 13 mars 2014. Allant des magasins Mbechezi jusqu’à la place de mdraya wa mwali ou de la place de mdraya wa djuu vers Ngazi ngome. Un projet pharaonique que Salami Amir “black” un des pionniers du développement ne désespère pas de voir un jour finir. Une lueur d’espoir vient aussi des jeunes qui ont fini leurs études universitaires (aux Comores et ailleurs) qui commencent à hausser le ton quitte à froisser certaines sensibilités. Maladroits parfois, ils se donnent le temps pour réussir à redresser leur quartier.
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