Le ministre de l’Éducation nationale, Moindjié Mohamed Moussa revient dans cette interview sur plusieurs thèmes que nous avons abordés ces derniers temps dans Masiwa. Propos recueillis par MiB
Masiwa – Monsieur Moindjie Mohamed Moussa, vous voulez introduire un bulletin unique de la primaire à la Terminale, pourquoi ?
Mohamed Moussa Moindjie- Pour sécuriser cet outil de base de suivi et de pilotage du système éducatif national qui subit en ce moment des manipulations de part et d’autre, ce qui lui enlève toute crédibilité et fausse les analyses qui en découlent.
Masiwa – À qui ou à quel service est confiée la responsabilité de la conception et de la reproduction du bulletin ?
M.M.M – L’inspection générale de l’éducation nationale et la direction générale de la politique et des programmes d’enseignement supervisent ce service.
Masiwa – Ce n’est pas un peu vieillot qu’au moment où tout le monde entier passe au tout numérique, y compris certaines écoles comoriennes, vous décidiez de maintenir la vieille feuille servant de bulletin ?
M.M.M – Posez la question autrement, vous vous apercevrez que la formule retenue traverse le temps. Il n’est pas question de feuille ou du numérique. Il s’agit des deux, de sécurité et de fiabilité du système éducatif. Une plateforme est en effet développée et sera mise, après formation, à la disposition des chefs d’établissements qui continueront à remplir les bulletins des élèves et à organiser les conseils de classe comme ils le font d’habitude. Mais qu’après cette étape, ils enregistreront ces mêmes bulletins dans l’espace prévu pour chaque établissement dans la plate-forme. Ce qui va permettre au service en charge de leur traitement de les imprimer et y mettre un autocollant qui spécifiera chaque bulletin et le rendra difficilement manipulable.
Masiwa – Qui va payer le bulletin ? Le MEN ou les parents ?
M.M.M – Les bulletins scolaires circulent depuis toujours dans le système éducatif. Chaque établissement a sa formule propre de prise en charge. Il est évident qu’en fonction de chaque situation, il est directement ou indirectement pris en charge par les trois acteurs que sont le ministère, les établissements et les parents.
Masiwa – À la fin de l’année dernière vous avez fait voter sans débat une nouvelle loi pour l’éducation, qu’est-ce qui change par rapport aux lois qui étaient en place ?
M.M.M- « Sans débat », me laisse perplexe. Où devrait avoir lieu ce débat et entre qui et qui ? La réforme de la loi d’orientation de l’éducation de 1994 a été souvent soulevée, fait l’objet de nombreuses discussions notamment dans le cadre des conférences nationales de l’éducation, mais rarement suivies d’effets. Conformément à la nouvelle constitution du pays et aux orientations stratégiques du gouvernement qui ont fait de l’éducation nationale, la locomotive de l’émergence du pays à l’horizon 2030, le projet de loi portant révision de la loi d’orientation de l’éducation nationale est travaillé par les services du ministère en étroite collaboration avec une équipe d’experts juristes mise à la disposition des différents ministères par le Secrétaire Général du Gouvernement sur la base d’un avant-projet validé en atelier gouvernemental il y a deux ans. Ce projet est ensuite présenté à l’Assemblée nationale qui l’a instruit dans le cadre normal de création des lois, à travers les conférences des présidents des commissions, le travail en commission et le débat en plénière suivi de vote.
Vous me demandez ce qui a changé par rapport aux lois antérieures ? Beaucoup de choses ont changé. Le problème est de se demander si on est bien, à travers cette interview, dans un cadre indiqué pour développer une approche comparative des lois. Néanmoins, il convient de préciser que cette loi traduit un engagement ferme du gouvernement à transformer et moderniser la société comorienne à travers la réforme de l’éducation nationale. L’introduction progressive de l’école coranique traditionnelle dans le système éducatif national, la permanence accordée à l’enseignement technique et professionnel dans ce système ainsi que l’apprentissage et l’usage des langues française, arabe et anglaise tout au long du processus éducatif font, avec la primauté accordée aux apprentissages des mathématiques, des sciences et des technologies, l’inclusion et la diversité éducatives envers et en faveur de l’éducation au patrimoine, au développement durable et aux sports font partie des apports structurants de cette nouvelle loi d’orientation de l’éducation nationale.
Masiwa – Au moment où cette loi a été votée, vous avez annoncé une meilleure surveillance des écoles privées, et vous avez décidé d’arrêter les activités de cinq d’entre elles, quatre attendant un complément d’enquête. Combien d’écoles privées qui ne suivent pas les normes avez-vous réellement fermées depuis ?
M.M.M– Le travail est en cours. Nous avons donné un an aux écoles privées en exercice au mois d’octobre 2020 pour déposer leurs dossiers et permettre aux services du ministère de les examiner et formuler les recommandations qui aideront les chefs d’établissements à se conformer aux dispositions régissant l’école privée comorienne. Après quoi et avant la rentrée 2021-2022, ces mêmes services procéderont à des enquêtes sur le terrain pour vérifier la mise en conformité de ces établissements et les autoriser ou non à poursuivre une activité éducative des enfants. Pendant ce temps, les autorisations d’ouverture de nouveaux établissements sont suspendues jusqu’à nouvel ordre même si en cours d’année, cinq établissements sont pris en flagrant délit d’ouverture non autorisée ce qui a poussé le ministère à procéder à leur fermeture.
Masiwa- Une de ces écoles a porté plainte et a gagné contre le ministère, pourquoi avez-vous décidé de ne pas faire appel alors qu’un rapport de plus de 60 pages rédigé par des inspecteurs pointait du doigt les problèmes que posait cette école ?
M.M.M- C’est vrai, le rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale a soulevé un certain nombre de manquements de cet établissement, mais aussi un bon nombre de dysfonctionnements des services du ministère ce qui nous a fait décider de nous conformer à la décision du juge de référé et d’arrêter la procédure.
Masiwa- Quel bilan faites-vous de votre action au MEN depuis votre nomination ? Quel bilan faites-vous pour l’éducation depuis cinq ans qu’Azali a été élu président en 2016 ? M.M.M- Je laisse aux autres le soin de faire mon bilan au ministère de l’Éducation nationale où je suis nommé au moins de juin 2019 et d’où je devrais immédiatement prendre en main la réforme du système éducatif national rendu obligatoire par la révision constitutionnelle de juillet 2018. Rappelez-vous que tout au long de la crise séparatiste et ses conséquences sur l’organisation institutionnelle du pays, l’éducation nationale était le secteur le plus impacté en ce sens qu’il était piloté à moitié et indépendamment par chacune des îles autonomes et par l’Union. Cette absence d’un pilotage unifié d’un secteur si large est la source d’une multitude de problèmes en cours de résolution tant au niveau des apprentissages eux-mêmes qu’à celui des intervenants, enseignants, encadreurs pédagogiques, administrateurs éducatifs, communautés locales, organisations de la société civile et partenaires techniques et financiers de l’éducation. La crise sanitaire consécutive à la pandémie de la covid-19 est venue s’ajouter à cette situation déjà difficile et complexe et sa gestion, suffirait pour certains, à en faire un bilan dès lors qu’il s’apprécierait à la lumière de ce qui se fait dans les autres pays. Ce bilan ne serait pas celui d’une personne. C’est plutôt le résultat d’un effort collectif, du ministère de l’Éducation, du gouvernement et surtout de Son Excellence le Président Azali Assoumani qui, dès le début de cette crise mondiale, a pris en main le commandement des opérations dans une gestion globale de la crise tout en projetant le pays dans l’avenir et dans le cadre de son émergence à l’horizon 2030.