Il est 12 heures à Volo-volo.
L’arrêt des ventes commence à trotter dans la tête des vendeuses, car pour cause de pandémie de covid-19 les horaires au marché sont réduits, fixés de 7 heures à 16 heures. Ce vendredi 12 février, il n’y a pas de temps mort sur ce grand marché de la capitale qui grouille du monde, d’activité et de vie. Par Hachim Mohamed
Faute de bacs à ordures, par endroits des tas d’immondices jonchent le sol, les allées et une partie du trottoir. Pour les yeux, le nez, les oreilles, c’est un véritable festival de couleurs, d’odeurs, de brouhaha et de fraîcheur que nous convient les lieux.
Les produits vivriers cultivés et transportés de loin, des villages arrivent sur les étals du marché.
Maoulida M’madi est assise devant sa table sur laquelle elle expose ses denrées. Juste à côté, le nombre d’étals installés qui font la part belle aux jeux dépasse la cinquantaine. La dame, avec ses traits fatigués, ses yeux éteints, son attitude soucieuse, son visage émacié et pâle ou encore sa démarche tantôt lente, tantôt précipitée quand elle hèle les éventuels acheteurs, touche par touche, dans l’ordre ou dans le désordre, dégage en elle un portrait de l’humilité. Elle livre les informations qui permettent à tout un chacun de se faire une idée juste, un descriptif plus délicat et fiable de toutes les facettes de ce grand marché de Volo-volo.
En mesurant les prises de parole de Maoulida M’madi d’un point de vue affectif, mais aussi matériel et financier, de sa bouche sort toutes les conséquences de la décision de réduction des horaires de vente, sur le bien-être des vendeurs et vendeuses et le budget de leurs familles dans ce pays brisé, synonyme de pénuries de lumière, d’eau et de nourriture.
« Je suis de Batsa-Itsandra où je vis avec ma famille, mes enfants. Avant de prendre la voiture pour Volo-volo, je dois m’occuper de ma mère qui est malade. J’arrive au marché à 12 heures, parfois à 13 heures. Avec les nouveaux horaires, vous imaginez ce que ça fait en termes de marge de vente », déplore-t-elle amèrement.
La vendeuse de Batsa lyitsandra estime que les autorités se sont lancées de façon présomptueuse, c’est-à-dire avec arrogance, dans une aventure unilatérale dont elles n’ont pas mesuré les implications et les conséquences. « Les vendeuses viennent tôt à Volo-Volo où les producteurs agricoles monnayent sur place de nombreuses variétés de bananes dont les unes utilisées comme fruits d’autres comme légumes. Quand nous achetons un régime de bananes qui nous revient à 5000fr ou plus, pour le revendre, nous le coupons en disposant les bananes en grappes sur l’étal. Chaque assemblage de ces fruits verts coute 1000fr. Si on a pu écouler jusqu’à épuisement des stocks, nous avons une marge de bénéfice de 2500fr, parfois un peu plus. Si les choses marchent, je peux réaliser un chiffre d’affaires de 10.000fr par jour », expose-t-elle dans un langage clair.
La vendeuse déballe à pied, à cheval, en voiture tout ce qui lui arrive, quotidiennement, avec la réduction des horaires de travail. Le découragement, la colère, la lassitude se lisent sur son physique, affaibli par les privations et exaspéré par la forte chute des ventes rendant précaire la prospérité de son commerce.
« J’ai acheté un régime de bananes il y a trois jours. Par mévente, je risque de le brader comme fruit ». Elle exprime son ras-le-bol, souhaite que le gouvernement les consulte et réclame un changement d’horaires de vente.
Moaulida qui est aussi connue sous le nom de Mama Hassane a pointé du doigt les turpitudes dont sont victimes les vendeuses et les vendeurs. « Ce qui nous afflige à Volo-Volo, c’est la manière dont la mairie gère le lieu où l’on dépose les ordures, les immondices enlevées dans les rues. La voirie est tellement délaissée que le marché est devenu un cloaque immonde et les commerçants se vautrent dans ces immondices », lance-t-elle.
« On nous méprise intérieurement, car pour la mairie seule compte sa quête sans frein des 3000fr par mois de chaque marchand. On se rend compte que quand leurs agents ont fini d’empocher 100fr, avant même 16 heures, ils sifflent la fin du commerce ».
Ce qui est fascinant dans les prises de parole de Maoulida M’madi, c’est qu’au-delà du calvaire qu’elle endure quotidiennement avec ses collègues, il y a aussi en elle toute une vie résumée dans une voix cassée et un visage abîmé. Mais, au fond des yeux, demeure cette flamme, cette soif de se battre et de vivre ! Un sursaut de dignité qui résonne comme un chant de liberté pendant qu’elle nous parle.
Il est temps que le gouvernement prenne en compte le calvaire enduré de jour en jour par les travailleurs du secteur marchand, mais aussi par les consommateurs qui veulent un marché à même de fournir chaque jour des produits frais et variés, à prix raisonnables.