Alors que les récents accords de coopération franco-comoriens et le discours du chef de l’État comorien à l’ONU semblent avoir mis fin aux revendications comoriennes sur l’île de Mayotte, le Docteur Ali Madi Djoumoi fait paraitre un livre qui tente de donner des explications au contentieux et à la division politique de l’archipel des Comores. Par Mahmoud Ibrahime
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Ali Madi Djoumoi sort aux éditions L’Harmattan son troisième livre : Les Comores. Un pays pour deux États. L’historien enseigne actuellement l’histoire-géo à Mayotte, après avoir exercé à la Grande-Comore, puis en France. Le titre de son ouvrage laisse quelque peu percevoir cette idée qui avait été avancée par le Comité Maoré, sous la direction d’Idriss Mohamed (un ancien dirigeant du Front Démocratique) et reprise par le président Sambi dans les discussions avec la France : « Une île, deux administrations » et qui a été rejetée in fine par la partie française comme solution de règlement de la question de Mayotte.
Un nouveau protectorat
Mais, l’historien n’en est pas aux propositions politiques. Il décrit les faits et montre ici qu’en réalité depuis 1886 et la signature des accords de protectorat avec les trois sultans de la Grande-Comore, d’Anjouan et de Mwali et la colonisation de Mayotte depuis 1843, les quatre îles de l’archipel sont deux administrations.
Il note également qu’en 1975, avec la partition de l’archipel consécutive au refus de l’indépendance par Mayotte nous avons une situation de deux Comores. Et après le coup d’État de 1978, on en revient à l’administration du pays par deux États. La France administre Mayotte et assure la protection des trois autres îles à travers ses mercenaires présents sur le territoire, et par des accords militaires assure la défense extérieure du pays. « Un nouveau protectorat est ainsi créé ».
Le sultanat et l’unité du peuple comorien
Le livre de 154 pages est composé de trois chapitres. Le premier intitulé « Un archipel de quatre îles » retrace l’histoire des Comores depuis les sultanats jusqu’à la fin du 18e siècle. Cette partie permet à l’auteur de montrer le fonctionnement du sultanat, mais aussi l’unicité du peuple comorien, malgré les aléas historiques. Il montre également la position de l’archipel dans l’océan indien occidental. Le commerce qui se développe inclut l’archipel dans la civilisation swahilie et le réseau des cités-États de la côte africaine. L’historien laisse ainsi entrevoir un autre modèle d’état possible pour les Comores, mais ne développe pas sur ce modèle proprement africain. Par contre, dans une sorte d’exposé de l’état de l’historiographie, il décrit les relations tumultueuses entre l’archipel et Madagascar, des attaques des pirates betsimisiraka à l’installation dans les deux plus petites îles de chefs de guerre malgaches qui vont bouleverser l’histoire politique du pays.
« Les deux Comores »
La deuxième partie porte sur « les deux Comores ». L’historien décrit un processus de détachement politique de Mayotte du reste de l’archipel, un processus qui commence en 1817 avec la rupture du lien de suzeraineté de Mayotte envers le sultan d’Anjouan et qui aboutit à la départementalisation en 2009. Tandis que l’État français renforce sa présence à Mayotte à partir de 1843, il imprègne sa marque dans les trois autres îles, du protectorat à la colonisation ou à la coopération militaire qui fait de l’ancienne puissance coloniale le protecteur des frontières de l’État comorien.
L’ouvrage de Ali Madi Djoumoi montre que la colonisation de Mayotte en 1843 rompt l’unité de l’archipel des Comores et crée deux « Comores » : l’île colonisée par la France et les trois autres qui conservent pendant un moment leur indépendance. Le statut de protectorat accordé aux trois autres maintient, selon l’auteur, la division entre les deux entités, tandis que l’annexion de 1912 permet aux quatre îles de retrouver une certaine « unité renforcée par le centralisme de l’administration coloniale ».
Amitié et coopération
La dernière partie, intitulée « l’amitié franco-comorienne », analyse les rapports entre les deux États depuis l’indépendance. Après 1978, c’est l’indépendance dans « l’amitié et la coopération », prévue avant 1975 qui a repris avec le retour d’Ahmed Abdallah, celui qui avait fait la rupture unilatérale le 6 juillet 1975. Il obtient la protection avec les Accords de coopération militaire et la présence des mercenaires de Bob Denard. Il peut également bénéficier de divers soutiens budgétaires et diverses aides économiques avec l’arrivée de coopérants. Pourtant, même si la France a renforcé sa présence à Mayotte et continue à aider les Comores dans certains secteurs, l’auteur pense que cette « amitié » a « un avenir certain » en raison de l’acculturation d’une bonne partie de l’élite comorienne.
L’année 1958 est pour l’historien Ali Madi Djoumoi une année charnière, car pour lui, c’est à ce moment-là que se termine « l’union de cœur des Comoriens ». Mayotte réclame déjà la départementalisation alors que les dirigeants des autres îles souhaitent le statu quo pour espérer l’indépendance à court terme. Cela sera renforcé pour Djoumoi par le « référendum » du 22 décembre 1974 au cours duquel les Maorais rejettent officiellement l’indépendance nationale et deviennent un peuple à part. L’historien écrit dans la conclusion de son livre : « Le choix des Mahorais passe pour un vote identitaire. Les Mahorais sont considérés comme un peuple minoritaire qui subit l’oppression de la majorité des Comoriens. L’unité du peuple comorien est galvaudée, et la nation passe pour pluriethnique ».
Ali Madi Djoumoi
Les Comores. Un pays pour deux États.
L’Harmattan, septembre 2019, 17,50€
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