Le quotidien des Comoriens est de plus en plus difficile. La cherté de la vie prend de l’ampleur. Les prix augmentent considérablement. Que ce soit en produits de première nécessité ou de constructions ou encore pharmaceutiques, le Comorien a du mal à s’approvisionner. Si le produit est disponible, le prix est exorbitant. Une situation insupportable pour une population à faibles revenus. Fahmy Thabit, entrepreneur et ancien président de la chambre de Commerce décrypte la politique économique actuelle. Propos recueillis par Natidja HAMIDOU
Masiwa – Les prix ne cessent de flamber aux Comores. Certains le justifient par la hausse des taxes douanières. Peut-on augmenter les prix du jour au lendemain sans préavis ?
Fahmy Thabit – La flambée des prix est un problème mondial. Après les confinements de l’année dernière (dus à la pandémie de la covid) et l’arrêt de plusieurs usines dans le monde, la réouverture des frontières a engendré une demande importante en produits finis. Cela génère un dysfonctionnement sans précédent, de la logistique du commerce international.
En effet, après plusieurs mois sans produire et sans exporter, avec un ralentissement (ou parfois un arrêt) des liaisons (surtout maritimes), la machine se remet en route péniblement. Les containers vides étant éparpillés dans plusieurs pays du monde, il faut aller les récupérer (souvent les navires y vont à vide ce qui multiplie le prix du fret).
De plus, la demande en matières premières (pour fabriquer des containers notamment) augmente de jour en jour, et donc bien sûr, les prix de ces matières s’envolent.
C’est ainsi qu’après plusieurs mois de vaches maigres, les compagnies maritimes tirent leur épingle du jeu aujourd’hui. Les prix du fret ont augmenté jusqu’à 200% par rapport à 2019 ainsi que le prix de la plupart des matières premières nécessaires pour relancer la machine.
Les conséquences pour un petit pays insulaire comme les Comores, qui dépend de l’extérieur pour plus de 80% de ses besoins, sont dramatiques.
Les prix de la plupart des produits importés habituellement (matériaux de construction, produits de première nécessité…) ont augmenté. Vu que le fret aussi a augmenté, il revient donc plus cher aux importateurs de s’approvisionner. Pour compenser, l’importateur diminue et espace ses commandes, ce qui provoque des pénuries, et cela sans parler de la diminution du trafic maritime dans notre région sud-ouest de l’Océan indien. Ainsi la conséquence directe est la hausse généralisée des prix au détail.
L’addition est encore plus salée chez nous, car les frais d’approche au port ont augmenté ainsi que le taux des taxes douanières sur certains produits (voir article Masiwa sur la loi des finances 2021). Toutefois les taxes sur les produits de première nécessité n’ont pas augmenté, mais vu que le coût des produits (sur le marché mondial) et le prix du fret ont augmenté, la valeur de la taxe douanière est automatiquement plus importante vu qu’elle est indexée sur la valeur du prix CAF (Coût Assurance et Fret).
Masiwa – N’existe-t-il pas une réglementation qui protège le consommateur des hausses soudaines des prix ?
Fahmi Thabit – Dans une économie libérale, comme la nôtre, la règlementation qui doit protéger le consommateur est la loi sur la concurrence, pour prévenir des pratiques anticoncurrentielles sur le marché, pour assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits. Cette loi existe aux Comores, elle a été votée et promulguée sous le gouvernement du Président Ikililou.
Masiwa – Quels rôles peuvent jouer les chambres de commerce ainsi que les organisations patronales pour lutter contre cette cherté de la vie quotidienne ?
Fahmi Thabit – Certes les chambres de commerce et les organisations patronales ont un grand rôle à jouer pour aider le gouvernement à impulser les politiques économiques dont le pays a besoin. Mais, il faut arrêter de croire que les organisations patronales ou consulaires sont là pour lutter contre la cherté de la vie. Elles sont là pour proposer des mesures à prendre pour améliorer le climat des affaires et ainsi permettre aux entreprises de se développer.
Bien sûr, en améliorant l’environnement économique, cela permet aux entreprises de réduire leurs coûts et donc d’offrir des produits moins chers. Mais, vu que notre pays importe quasiment tous les produits de consommation courante, les prix sont fixés sur le marché international et nous n’avons aucune prise dessus. Par contre si l’État investit dans la capacité d’accueil de nos ports en les rendant plus attractifs (ce qui augmenterait les touchés de navires et sa fluidité), si l’État appuie l’agriculture, l’élevage et l’industrie à se développer pour que l’on puisse augmenter notre production et nos exportations (ainsi une partie des containers ne repartiraient pas vides), si les recettes intérieures prenaient le pas sur les taxes douanières dans la part des recettes fiscales totales perçues, si la loi sur la concurrence est respectée, si les coûts de l’énergie diminuent, si les banques proposent de nouveaux produits financiers pour financer les secteurs primaires et secondaires, cela aurait comme effet de diminuer les prix des produits sur le marché et serait le véritable remède contre la cherté de la vie. De plus, il faut se poser la question sur cette cherté de la vie : la vie est-elle trop chère ou le pouvoir d’achat est-il trop faible ?
Masiwa – La hausse des taxes douanières met en difficultés des entreprises notamment les micro-entreprises. Comment peuvent-elles éviter de mettre la clé sous la porte ?
Fahmi Thabit – Aujourd’hui plus que jamais, nous devons prendre conscience que nous devons produire sur place et diminuer nos importations. La pandémie et ses conséquences nous donnent une leçon : nous devons être plus résilients. Il faut donc commencer à restructurer notre économie et changer de paradigme. Les lois de finances sont votées à l’Assemblée nationale, c’est donc les députés qui décident des taux des taxes douanières. La chambre de commerce ne peut rien faire sur ce registre-là, à part conseiller le gouvernement. Le gouvernement veut toujours augmenter ses recettes (c’est de bonne guerre, si les recettes sont utilisées à bon escient), mais il doit aujourd’hui comprendre qu’avec l’adhésion à l’OMC, à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlec), au COMESA, à la SADC, il faudra abandonner les taxes douanières comme recette principale du budget de l’État. Il est primordial de mener des réformes profondes, qui ne vont pas plaire à tout le monde, mais qui sont nécessaires pour éviter une faillite nationale, des crises à répétitions et une paupérisation difficilement soutenable.
Masiwa – En tant qu’entrepreneur, est-ce que vous approuvez l’annonce du gouvernement de se porter garant pour 5 milliards de francs comoriens d’emprunts bancaires ?
Fahmi Thabit – Le gouvernement, face à la crise alimentaire, a décidé de mettre en place un mécanisme de garantie pour renflouer la trésorerie des entreprises et leur permettre d’importer en masse. C’est une bonne chose. Face à l’urgence et aux pénuries des produits de première nécessité, il est nécessaire que l’État intervienne, comme le font les gouvernements dans la plupart des pays du monde, face à la pandémie et à la crise économique qui en découle.
Ce mécanisme permet de résoudre en partie la problématique de l’approvisionnement, mais pour cela, il faudra une mise en place minutieuse et bien définir les critères d’éligibilité des entreprises qui pourront bénéficier de ce mécanisme (il ne faudrait pas partager le gâteau entre amis). Il est important d’éviter de mettre en péril les institutions financières de la place. Il faudra être vigilant pour que ce coup de pouce ne devienne pas un cadeau empoisonné, car les autres facteurs inflationnistes demeurent.
C’est une mesure qui doit être accompagnée par d’autres initiatives et politiques à moyen et long terme, comme le désenclavement du pays, l’augmentation de nos capacités de stockage de certains produits, la diminution du coût de l’énergie pour les entreprises, le développement de l’aviculture…
Le gouvernement a aussi, par arrêté ministériel, gelé le prix du fret maritime en prenant comme base les prix du fret du mois de mars 2021. C’est une initiative qui va dans le bon sens, mais à mon avis en mars 2021 les prix étaient déjà élevés par rapport à 2020. Comme je le disais plus haut, il faudrait une réforme profonde de notre économie, pour qu’à moyen et long terme, on puisse agir sur les autres facteurs et notamment la production et la transformation locales de certains biens de consommation courante. Il est nécessaire de pallier à l’urgence, mais il faudrait prendre le problème dans le fond, en mettant en place une vraie politique économique, qui mettrait les bases d’un développement durable, inclusif avec un accent mis sur les secteurs productifs. Il faut arrêter de réduire la politique économique du pays à une gestion des urgences et de la conjoncture.
Ce qui me réjouit dans cette décision de mettre en place un taux d’intérêt plafond de 6% par les banques, c’est qu’on nous montre que c’est faisable, et les banques devraient étudier pour étendre cette mesure dans le temps, car on ne comprendrait pas qu’elles puissent le faire aujourd’hui et que demain elles nous disent que ce n’est pas possible. On aimerait aussi qu’elles mettent en place des produits financiers spécifiques, destinés à la production locale (comme le crédit-bail pour acquérir les machines agricoles par exemple) au lieu de financer que les importations.