Masiwa – Dini Nassur, vous faites partie des organisateurs des manifestations de la diaspora à Marseille, quelle est votre fonction dans l’organisation ?
Dini Nassur – Les manifestations de la diaspora, ce n’est ni un mouvement ni une organisation politique. C’est une dynamique citoyenne pour la démocratie aux Comores dont les acteurs et les actrices se relaient chaque dimanche pour porter la voix du peuple.
[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Comme beaucoup d’autres, je suis un manifestant conscient de l’impact que peut avoir un si bel élan populaire pour le changement tant souhaité.
Certes, j’ai été à l’origine de l’appel du 31 mars 2019 à Marseille, mais comme on dit chez nous, « ambiwa ankili aishia, ahundriha na pbapvi ». Il est évident que si l’appel a été massivement répondu, c’est parce que la cause qu’il porte répond à un véritable cas de conscience.
Masiwa – Le mouvement connaît-il un essoufflement après 23 semaines ?
Dini Nassur – C’est un phénomène unique dans l’Histoire du pays. Le pouvoir dictatorial a sous-estimé les capacités de mobilisation de la diaspora et avait prédit un pourrissement précoce. Il a même envoyé en France des agents de propagande et de corruption afin de casser les manifs. Il n’en est rien. Chaque dimanche, des nouveaux acteurs émergent avec conviction. Une période exemplaire dans cette formidable mobilisation, c’est le mois de ramadan qui n’a altéré en rien la dynamique.
Cependant, on peut comprendre que les vacances ont pu diminuer le volume, mais, non l’intensité ni la force de l’engagement.
Masiwa – D’où est venue l’idée de manifester contre le gouvernement comorien ?
Dini Nassur – C’est plutôt une réplique logique au hold-up électoral fomenté et perpétré par le colonel Azali et ses complices le 24 mars dernier, date à laquelle devraient se tenir les élections présidentielles et gubernatoriales de l’Union des Comores.
On ne pouvait pas laisser passer une telle grande trahison à la République sans réagir. Lorsque les premières manifestations spontanées au pays étaient réprimées avec des blessés graves, des arrestations arbitraires et d’instauration de la terreur, les Comoriens de l’extérieur se sont mobilisés massivement.
Nous avons été agréablement surpris de voir que les Comoriens de Marseille avaient la volonté farouche de manifester contre ce hideux coup d’État électoral. En quatre jours, nous avons réussi à former des objecteurs de conscience parmi les acteurs politiques et sociaux qui ont mis les moyens nécessaires pour réaliser la première manifestation.
Quand Paris, Lyon, Nice, Saint-Denis, Le Man, Nantes et Dakar ont manifesté depuis la deuxième semaine, Marseille s’est mobilisée davantage.
Le mépris affiché par le gouvernement dictatorial à l’égard des manifestants et son insolence caractérisée envers la diaspora ont contribué à l’amplification du mouvement.
Masiwa – Il n’y a jamais eu un mouvement aussi important dans la diaspora contre un gouvernement, y a-t-il des raisons d’être satisfaits ?
Dini Nassur – Il y a des raisons d’être fiers et d’être optimistes pour le pays. Maintenant que cette mobilisation est réelle, l’on peut se dire qu’aucun gouvernement n’aura le mépris de saborder le pays en croyant que le fatalisme et le fanatisme peuvent avoir des beaux jours devant eux.
C’est d’autant plus que la majorité des manifestants, ce sont les éléments les plus dynamiques de la nouvelle génération et qui s’engagent pour le changement du système politique qui sévit au pays. C’est un processus de prise de conscience sur les vrais enjeux politiques, sociaux et économiques qui disposent les acteurs à des véritables combats pour un nouveau système de société fondé sur le développement dans la justice sociale.
J’ai l’intime conviction que cette mobilisation de la diaspora est porteuse d’une révolution politique capable d’installer durablement notre pays dans les rails des progrès.
Masiwa – Avez-vous des déceptions par rapport à ce mouvement ?
Dini Nassur – Déceptions, non ! On a constaté que le fait que ce soit un mouvement de masse, c’est tout à fait normal que des malentendus surgissent et que des quiproquos apparaissent. Il fallait compter sur le temps pour que les acteurs se connaissent et se comprennent.
Somme toute, il était compréhensible que la diversité d’opinions et les oppositions de choix de sociétés se soient exprimées pour être prises en compte dans les stratégies de lutte et d’actions.
Masiwa – Les responsables ont-ils imaginé des alternatives aux manifestations ?
Dini Nassur – Évidemment ! Les manifestations ont comme objectif principal d’accompagner un soulèvement populaire au pays. Dès lors que le changement doit être opéré par le peuple, c’est à l’intérieur du pays que sonnera le clairon de la victoire.
Parallèlement aux manifestations, des actions sont menées sur le plan diplomatique pour démasquer la dictature et préparer une autre organisation du partenariat international, non pas pour le positionnement d’un homme politique, mais, pour les intérêts de la nation. Déjà, des activités sont nécessairement engagées sur le plan juridique à l’international. Nous sommes également en phase de mettre en œuvre les initiatives de base de la diaspora pour des opérations de boycott à même d’asphyxier le régime dictatorial avant de lui porter le coup de massue qui l’attend. Le succès des désabonnements de l’ORTC par la diaspora et l’appel au boycott de ComoresTelecom au pays sont des signaux très forts à mettre à l’actif du mouvement.
Ces actions font partie d’un plan global de boycott visant à dessécher les ressources d’où Azali puise l’argent pour écraser le peuple.
Masiwa – Que pensez-vous du fait qu’après 23 semaines de manifestations aucun leader n’apparait et que le mouvement ne s’est toujours pas structuré en force de propositions ?
Dini Nassur – Ce qui compte, c’est le projet de restaurer l’État de droit sans lequel le pays ne peut être capable d’évoluer.
À mon avis, il faudrait renforcer l’esprit et l’action d’autonomisation des collectifs et rechercher les mises en cohérence des stratégies et de mobilisation.
Ces derniers jours sont décisifs dans le sens où l’assemblée générale prévue ce week-end à Paris est de nature à renforcer la restructuration du mouvement et le plus de visibilité du combat.
Il faut noter, cependant, que le Conseil des Comoriens de l’Extérieur a mis en place une coordination et élu Zilé Soilihi comme coordonnateur avec la mission de coordonner les actions des collectifs pour plus d’impact et de représenter l’ensemble des collectifs dans les accords, les négociations et la mise en place de partenariats.
Masiwa – Selon vous, le mouvement est-il prêt à discuter avec le gouvernement Azali et sur quelles bases ?
Dini Nassur – Il n’est pas question de reconnaître ce pouvoir putschiste au point de négocier quoi que ce soit avec lui. Si négociation il doit y avoir, c’est autour de la tenue des élections présidentielles et avec la médiation de la communauté internationale pour la gestion de la transition.
Azali n’est d’ailleurs pas un homme de parole avec qui on peut entrer en négociations, sachant que pour lui, ce serait un gain de temps précieux pour demeurer dans son orgueil.
On ne peut pas lui donner quitus pour réaliser d’autres mascarades électorales comme on ne veut pas faire comme lui, insulter le peuple en violant sa souveraineté et piétiner la République en bottant en touche ses institutions.
Masiwa – Qu’espérez-vous obtenir avec les manifestations ?
Dini Nassur – Soyons clairs. On n’espère rien obtenir d’Azali. On compte se battre pour le retour de l’État de droit et c’est un combat qui peut durer autant que la dictature sévira.
Maintenant qu’on nous a fait savoir que le peuple compte sur nous pour en découdre avec un pouvoir illégitime et despotique, nous sommes déterminés, plus que jamais, à accomplir cette mission historique.
Masiwa – qu’elle est votre réaction au vote de la loi d’habilitation qui permet au chef de l’état de légiférer sur l’organisation des prochaines législatives et qui prive la diaspora d’une représentation à l’Assemblée ?
Dini Nassur – Sans loi de réhabilitation sur l’organisation des élections présidentielles et gubernatoriales, vous avez vu ce qu’a fait Azali le 24 mars dernier.
Croire qu’avec cette loi validée à coups de corruption, de volte-face et de traîtrise, il peut y avoir des élections, ce serait croire qu’un jour les poules auront des belles dents.
Pour ce qui est de l’exclusion de la diaspora à la représentation nationale et aux élections en général, on n’a jamais pensé qu’Azali aurait contribué à corriger sincèrement cette injustice abyssale.
Il l’a dit et le redit que la diaspora, c’est de l’opposition et la logique de la dictature, c’est d’abord abattre toute opposition.
[/ihc-hide-content]
Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime