Le mois de ramadan a ses traditions dans la culture comorienne parmi lesquelles le partage du repas et le plaisir que procure le plus haut degré de la convivialité. Cela est aussi source de respectabilité qui se fait distinguer par le nombre des invités à la rupture du jeûne qu’on appelle wafunguzi.
Le terme wafunguzi vient du verbe ufunguwa (litter: détacher, dénouer). C’est l’antonyme du verbe ufunga (attacher, condamner) utilisé pour désigner les privations consenties au ramadan. Les wafunguzi sont donc les personnes invitées à la rupture du ramadan et qui peuvent pratiquer le partage tout au long du mois sacré. Ils sont généralement les proches du chef de famille à savoir les enfants (owana), les neveux (owananashe) et les beaux frères ( ezimedji). Il sont prévenus quelques jours avant le début du ramadan et leur accord doit être de mise pour qu’il n’y ait pas de risque qu’ils soient conviés par quelqu’un d’autre.
À l’origine, ce nombre de convives qui peut être beaucoup plus important que possible explique la garniture des mets composés en général de trois menus : ubu ( bouillon de sagou ou de maïs) et grillades pour entrée, shahula (bananes vertes au lait de coco avec poisson et tsahu, maïs au lait de coco ou riz).
Le ubu et le shahula sont servis sur un tapis soit au salon (obandani) ou dans la cours arrière ( isahari). Les wafunguzi doivent s’installer sur le tapis avant l’arrivée du chef de famille et après que « table » soit mise. Après que le chef revienne du jamaa ya magharibi (prière de 18h00), faire le bismillah ( invocation de Dieu pour commencer à manger). Les wafunguzi ne peuvent pas parler pendant le repas car cela est consigné comme marque de respect. Ils ne peuvent pas non plus arrêter de manger avant que le chef de famille n’appelle à lever la table.
Des règles de bon comportement sont scrupuleusement observées pour que le repas soit consommé avec élégance. Le ubu et les grillades sont pris en même temps et à tour de rôle par une redistribution suivant le droit d’aînesse. Une fois le tout consommé, on sert le plat de résistance et une fois le chef de famille ouvre la première bouchée, les wafunguzi suivent avec une remarquable discipline qui renforce le bon sens. Mais, personne n’a le droit de se servir du poisson ou de la viande. C’est encore le chef de famille qui distribue les morceaux à chacun et d’une manière équitable. On reçoit le morceau de de viande ou de poisson sous le plat et devant soi et c’est à consommer modérément sans l’avaler en une bouchée.
Après avoir fini le repas, on reste quelques instants à échanger des nouvelles jusqu’à ce que le muezzin appelle pour la dernière prière du jour suivie du taraweh facultatif mais pratiqué par tous.
En milieu de la nuit, les wafunguzi adultes reviennent pour le tsahu appelé jadis mna kalimotro ( les enfants n’en mangent pas). Ce n’est pas du tout une forme de discrimination mais, un privilège réservé aux adultes qui ont à jeûner le lendemain. Les enfants prennent leur part le matin en guise de petit déjeuner qu’on appelle Ncea.
À remarquer que les femmes ne sont pas à table en même temps que les hommes. Elles se servent à part et ne commencent à manger qu’après avoir servi les hommes.
Cette tradition de la bonne bouffe et de l’abondance pendant le ramadan, c’est aussi une exigence d’avoir un budget bien équilibré en prévision du mois sacré. Il n’est peut être compréhensible qu’un homme marié ne fasse pas l’approvisionnement comme il se doit (uhudumu etsumu). Il doit aussi avoir la décence de le faire pour sa famille maternelle. Celui qui ne l’a pas fait devient la risée de tout le monde (kahudumu tsumu).
En ce qui concerne les enfants, ils aimaient ce mois, le seul où on est certain de manger à une heure fixe, tous ensemble et en quantité et qualité suffisantes. C’est aussi pour l’attente de la joie de l’aïd, jour de fête où tout enfant reçoit un nouvel habit, un petit déjeuner bien garni mais quand même avec un peu de regrets pour les repas délectables en disette jusqu’au prochain ramadan.
Par Dini Nassur