L’affaire de la citoyenneté économique pourrait aboutir à un procès. Le juge d’instruction chargé du dossier a déjà terminé son enquête. Il a aussi transféré l’ordonnance au parquet. Au total, 15 personnes sont inculpées pour « détournement de deniers publics, faux et usage de faux, usurpation de fonction, corruption, recel et complicité », selon l’«ordonnance de soit-communiqué aux fins de règlement définitif », rédigée le 2 mars 2020 et qui est apparue sur les réseaux sociaux quatre jours après. Par Ali Mbae
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15 personnes inculpées
Il n’y a pas de surprises quant aux personnes inculpées. Il s’agit de l’ancien député de Mbadjini, Ibrahim Mhouhamadi Sidi, actuellement en liberté provisoire depuis le 6 avril 2019 après avoir passé huit mois en détention à la prison de Moroni; Hairi El-Karim, successeur d’Abou Achrafi à la tête de la Direction de la sûreté nationale du territoire, placé sous contrôle judiciaire depuis le 27 juin 2018; l’ancien vice-président et ministre des Finances, Mohamed Ali Soilihi dit Mamadou, qui était aussi placé en mandat dépôt chez lui avant de bénéficier d’une liberté provisoire; l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, placé en mandat dépôt depuis le 20 août 2019 après avoir purgé une détention jugée « illégale et arbitraire » par la commission des Droits de l’Homme de l’Union africaine; Nakchamy Naila, Bacar Ali Said, Abdillah Said, le député et ancien ministre Mohamed Bacar Dossar, l’ancien Vice-Président Nourdine Bourhane, tous placés sous contrôle judiciaire; Anbdou Ssatar Mohamed Abdallah Sambi, fils de l’ancien président et cinq autres étrangers.
Les partisans du gouvernement épargnés
La publication de cette ordonnance a suscité beaucoup d’interrogations et d’indignations. Non pas parce qu’il n’est pas habituel de voir traîner des actes juridiques sur le réseau social Facebook, mais surtout parce qu’il n’y a que des opposants qui figurent sur la liste des opposants. De nombreuses personnalités politiques et administratives, surtout des proches du gouvernement actuel ont eu à gérer ce dossier pendant plusieurs années. Certains ont reconnu en public qu’ils ont eu à vendre les passeports, mais en commun accord avec les membres du gouvernement auquel ils faisaient partie.
Abou Achrafi, Ikililou Dhoinine, Houmed Msaidié sont les grands oubliés. L’ancien Directeur de la Sûreté nationale du territoire, Abou Achrafi et le président des Comores de 2011 à 2016 ne seraient plus inquiétés. Depuis qu’il a rejoint le principal parti présidentiel, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), Abou Achrafi n’a jamais été mis en difficulté par la justice. Il n’a jamais été convoqué ni en qualité d’acteur ni en tant que témoin lui qui a eu à signer les passeports vendus dans le cadre de ce programme pendant plus de 5 ans. Pourtant, son successeur Hairi El-Karim fait l’objet d’un contrôle judiciaire et est officiellement inculpé. Rappelons qu’Abou Achrafi était un de ceux qui étaient interpelés en premier sur cette affaire, dès 2013. Il était mis en prison pendant plusieurs mois, avant d’obtenir une libération conditionnelle. Élu député en 2015 puis en 2020, il est resté sous l’ombre de ce régime pour probablement éviter toute poursuite judiciaire.
Ikililou Dhoinine, ancien ministre sous le régime de Sambi et président de l’Union des Comores, et l’ancien ministre de l’Intérieur sous le régime Ikililou ne sont pas traduits en justice. Même pas en qualité de témoin. Pourtant Houmed Msaidié a déclaré qu’ « effectivement des passeports ont été vendus. Mais c’était décidé en conseil des ministres. L’argent a servi à l’achat des groupes électrogènes ». Cela a suscité aussi la colère de l’opposition : « le pouvoir a pris un soin hautement parlant à soustraire Monsieur Ikililou Dhoinine, Abou Achrafi, Houmedi Msaidié, Mme Sitty Kassim et Ahmada Abdallah de la liste des personnes renvoyées devant le tribunal. Personnalités pourtant de grand intérêt s’il en est dans ce dossier. Dans le même temps apparaissent curieusement Monsieur Bacar Ali Said, agent d’Interpol et Nakchamy Nailane, fonctionnaire de la présidence. Deux personnes jusqu’ici inconnues dans la chaîne de la procédure et qui n’ont jamais été entendues par le juge instructeur », dénonce l’Union de l’opposition dans un communiqué.
« J’ai peur de l’injustice, mais pas la justice »
Un acharnement vis-à-vis des figures de l’opposition, mais surtout contre l’ex-président Sambi. L’Union de l’opposition n’a aucun doute : « Il aura fallu plus d’un an d’une enquête menée au pas d’escargot, en conformité avec l’agenda électoral du pouvoir pour aboutir à cette ordonnance. Plus d’un an d’assignation à résidence, d’humiliations et de vexations de toutes sortes, de privation et de tortures morales. Plus d’un an de de mise en danger de la vie d’autrui avec la dégradation continue de l’état de santé de l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi, dont l’évacuation et le lieu de cette évacuation sont transformés en objets de marchandages inacceptables et surtout en un triste feuilleton à rebondissements. Sitôt annoncé, le procès qu’exige le droit se présente comme un énorme scandale politico-judiciaire en perspective ».
En effet, tous ces inculpés bénéficient toujours du droit de circuler à l’exception de l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi. Début 2018, il était déjà d’abord placé en résidence surveillée pour « trouble à l’ordre public », avant d’être placé en mandat dépôt sur l’affaire de la citoyenneté économique. Le mandat de dépôt a largement dépassé le délai légal prévu par la loi, soit huit mois non renouvelables. Mais la justice a fermé les yeux. Aucune raison n’a été avancée. Est-il emprisonné par la simple raison qu’il aurait été le véritable opposant du régime ? Une chose est sûre. Sambi a démontré qu’avec sa présence, Azali Assoumani n’est que l’ombre de lui-même.
Interrogé sur cette affaire avant son emprisonnement, l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi avait anticipé ce qui lui arrive aujourd’hui : « J’ai peur de l’injustice, mais pas de la justice ». Il s’était d’ailleurs montré disponible à répondre à tout appel de la justice et a toujours voulu être jugé. Avec cette ordonnance, même si elle est jugée « impartiale », une part de vérité pourrait être révélée en audience si le procureur de la République fixe la date de l’audience.
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