Enseignant et historien, Abdourahim Bacari a déjà publié deux essais qui parlent de la situation politico-économique des Comores. Avec son nouveau livre, il revient à l’histoire. Et il aborde un thème que peu d’historiens ont étudié puisqu’il s’agit de l’histoire économique, à travers l’aide au développement. Dans cet entretien il parle d’histoire et de politique, d’hier et d’aujourd’hui. Propos recueillis par Kalmachi Abdallah
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Masiwa – Vous venez de sortir un livre sur l’aide publique française aux Comores, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Abdourahim Bacari –C’est un livre d’histoire. Un livre qui met en exergue les relations que les Comores et la France entretiennent avant et après l’indépendance de notre pays. Depuis 1975, date de notre indépendance, hormis Mongozi Ali Soilihi Mtsashiwa, aucun de ceux qui ont dirigé ce pays n’a développé une politique qui aurait permis à notre pays de s’autosuffire dans tous les domaines. Nos politiques reposentleurs espoirsd’un éventuel développement économique sur les pays amis dont la France qui occupe la première place. Ce livre traite d’une partie de l’histoire économique de notre. Vous savez, nos chercheurs travaillent beaucoup plus sur notre histoire politique, ce qui n’est pas mal vu les bouleversements qu’elle ne cesse de connaître ces dernières décennies, vu l’agitation de nos hommes politiques du moment. Mais il n’y a pas que la politique, il y a aussi d’autres domaines de notre histoire qui restent encore non exploités. Nos étudiants qui souhaitent intégrer la recherche doivent le savoir. Bref, j’ai écrit ce livre pour donner plus de détail surce que l’on appelle « aide publique française aux Comores ». Y-a-il vraiment eu de l’aide ou uniquement de la poudre aux yeux ? Le livre tente de répondre à cette question.
Masiwa – Avez-vous constaté des changements économiques ou le constat est resté le même, y compris après l’indépendance ?
Abdourahim Bacari –Il faudrait noter que cette dite « aide publique française aux Comores » avait plusieurs formes. Il y avait de l’aide financière, matérielle et culturelle. Financière parce que jusqu’en 1976 la France finançait 6 milliards sur les 8 milliards qui composait le budget annuel de l’Etat comorien. Aide Matérielle parce qu’elle construisait des routes, des hôpitaux, accompagnait les agriculteurs entre autres. Culturelles, parce que des bourses ont été octroyé aux jeunes étudiants comoriens, administrateurs pour des formations soit à Madagascar soit en France directement. Docteur Mtara Maecha, Mongozi Ali Soilihi, Mouzaoir Abdallah ; pour ne citer que ceux-là, ont bénéficié de ces bourses. Vous m’avez demandé si j’ai remarqué un changement ou pas. Sur le plan économique, je peux vous dire que le pays reste toujours au bas du mur. Nos bâtiments publics délabrés, agriculture et pêche abandonnées. Aucune politique engagée ne serait-ce que pour retaper ce qui est fait au temps de la colonisation. L’hôpital El Maarouf, l’aéroport Moroni-Iconi, l’aéroport de Hahaya Prince Saïd Ibrahim, le Lycée Saïd Mohamed Cheikh, l’ancien chambre de députés, les deux buildings, pour ne citer que ceux-là, proviennent de cette aide publique française. Pour les bourses d’études, seulement les enseignants chercheurs de l’Universités des Comores en ont profité dès l’ouverture de celle-ci dans le cadre de la coopération culturelle avec la France. Quelques-uns ont pu soutenir leur thèse soit en France métropolitaine soit à l’île de la Réunion.
Masiwa – La séparation des Comores de l’administration de Madagascar a-t-elle permis d’avoir un redressement au niveau économique ?
Abdourahim Bacari–Oui, la séparation des Comores de l’administration de Madagascar en 1946 sur demande du député des Comores à l’Assemblée française, Saïd Mohamed Cheikh,a sans nul doute permis un développement progressif de l’archipel. Les Comores étaient étouffées dans ce statut « Madagascar et dépendances ». Oui, parce qu’auparavant « l’aide publique française » arrivait sur territoire des Comores via Madagascar qui tranchait.
Masiwa -Qu-est-ce qui a poussé la France à coloniser un territoire dont vous dites qu’il n’a pas d’autres ressources que le girofle et le ylang?
Abdourahim Bacari –C’est ce que les colons disaient aux Comoriens à l’époque pour leur faire comprendre qu’ils ont la plus grande chance d’être colonisés par la France. Une chance parce que leur territoire est pauvre et que si la France n’était pas là pour les aider, ils seraient dans une misère sans nom. La France savait déjà que le territoire des Comores regorge de richesses naturelles. Vous devez savoir que la France connait mieux notre pays que nous. Elle avait les commandes de notre territoire pendant 150 ans. Ce n’est pas peu. Durant ces 150 ans de colonisation, elle a étudié notre territoire en profondeur, puis gardé les archives en France. Alors que nous, nous avons le contrôle d’une partie de notre territoire depuis 44 ans désormais. 44 ans,c’est vraiment rien pour un pays.
Masiwa – L’indépendance des Comores a -t-elle déstabilisé le développement économique ?
Abdourahim Bacari –Ce n’est pas l’indépendance qui a déstabilisé l’économie des Comores car l’indépendance est un atout pour tout territoire qui espère un développement. Elle donne plus de choix et sans contrainte aucune pour mettre en place les politiques nécessaires qui profitentau développement du territoire. Aux Comores, c’est plutôt la corruption, les coups d’Etat dirigés par la France et quelques dirigeants comoriens qui ont déstabilisé l’économie nationale des Comores. Les deux derniers coup d’Etat remontent en août 1999, puis celui de 2018 qui est un coup d’Etat constitutionnel. Toutes ces pratiques ne favorisent aucun développement économique bien qu’on nous parle d’émergence.
Masiwa – Pensez-vous que sans l’aide de la France les Comores seraient là où elles sont aujourd’hui ?
Abdourahim Bacari –Ce qui tue les Comores aujourd’hui n’est autre que la corruption renforcée par l’impunité des corrupteurs et corrompus. La chose publique est gérée par une famille ou un groupe d’amis. Un tel comportement ne va jamais aider le pays à s’en sortir. La France envoie de l’aide certes, mais ne fallait-il pas nous demander ce qu’elle nous prend en contrepartie ? Le 22 juillet dernier, la France s’est érigée en sauveur avec son apport de 150 millions d’euros sur les trois ans à venir pour le développement de notre pays, mais en échange de quoi ? Azali et son équipe lui ont donné toute une île et de la manière la plus illégale qu’aucun de ses prédécesseurs ne l’a fait. Le développement de notre pays n’est pas possible sans le moindre amour de nos dirigeants pour ce pays et son peuple.
Masiwa – En matière de développement du pays, quelle proposition feriez-vous à l’ État pour un meilleur développement?
Abdourahim Bacari –Il n’y a pas mille chemins qui mènent au développement d’un pays. Un seul. Le développement culturel. L’éducation est le fer de lance pour tout développement d’un pays. Or chez nous, l’éducation est le dernier des soucis de nos dirigeants. Un des proches du Mongozi m’a dit un jour qu’à chaque fois que les responsables du commando Moissi le rencontraient, il leur disait que « le sous-développement mental engendre un sous-développement économique ». Ce qui n’est pas faux. Nos dirigeants doivent penser à la formation des jeunes pour espérer un éventuel décollage économique du pays dans l’avenir.
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