Un système de santé en construction
Masiwa– Je veux bien croire à cette volonté d’un système de santé efficient. Mais quand on regarde le cas du Centre hospitalier national dit de référence, El Maarouf, pour vous, principal partenaire technique du pays, l’absence de scanner, n’est-ce pas révélateur de l’état réel de la santé aux Comores?
A D– Quand vous prenez le problème de scanner, c’est juste un aspect. Le système de santé est hiérarchisé. Il y a le niveau périphérique, ( les centres de santé de district qui ont un paquet minimum d’activités à fournir à la population et un plateau technique adéquat et conséquent), puis les hôpitaux régionaux et enfin l’hôpital national. Chaque maillon doit disposer d’un plateau conséquent pour ses missions. Donc, tout se fait ensemble.
Pour assurer la CSU, il faut trois composantes :
– La couverture de la population (la répartition des centres de santé) l’organisation des soins, donc augmenter la couverture de la population. Vous savez qu’il y a moins de 15 % de la population qui a accès à la santé. Le défi est comment augmenter cette couverture ? Comment rendre accessible l’accès aux soins au plus grand nombre de la population ?
– Ensuite la couverture des services. Il faut définir pour chaque niveau le type de service disponible et s’assurer d’avoir le personnel qualifié pour ce service. Ce qui implique une organisation, des ressources humaines, des équipements et à tous les niveaux.
– Enfin, la couverture des coûts. Il faut qu’ils soient abordables à chaque niveau et pas un frein à l’accès aux soins. C’est l’essence de l’assurance maladie universelle. Le gouvernement donne l’orientation et l’OMS, chef de file des partenaires assure l’appui technique. Et l’équipement du Centre hospitalier entre dans le cadre de ce dispositif. Nous avons aussi la loi hospitalière qui définit comment assurer ces équipements au niveau des établissements. Donc ce n’est pas une affaire d’un partenaire. Donc c’est tout à fait programmé le scanner, comme les dernières technologies vont être disponibles au centre universitaire en construction.
Le suivi et évaluation du système de santé
Masiwa– En parlant d’appui technique, quel a été votre apport par rapport à la mise en place de moyens de prévention et de contrôle au sujet de l’alerte au virus Ebola dans un pays riverain. Faut-il craindre une propagation de ce côté-ci du canal?
A D– Je rappelle encore que l’OMS assure le suivi et l’évolution des tendances. Donc, elle continue de surveiller la situation de la maladie depuis le déclenchement de l’épidémie en République Démocratique du Congo. Chaque jour, on a le bulletin journalier. Il y a aussi le rapport de situation (Sit Rep) produit chaque semaine et envoyé à tous les bureaux. Ce qui permet de garder un œil la dessus et pouvoir alerter les autorités pour qu’elles prennent les dispositions dans le cadre de la préparation.
C’est vrai qu’il y a eu récemment des rumeurs de suspicion de cas au niveau de pays riverain. Le ministère de la santé a été proactif, en essayant de mettre des cordons au niveau de tous les points d’entrée de ce pays. Nous avons participé à la mise en place de ce dispositif à l’aéroport international. Et ce travail continue. Mais ça ne suffit pas. On renforce en interne pour parer à d’éventuels cas suspects. Comment les isoler, les prélever et assurer la confirmation de diagnostic ? Tous ces dispositifs sont consignés dans un plan de riposte, mis à jour il y a quelques semaines et partagé avec les partenaires pour voir sa mise en œuvre dans sa globalité. Franchement je salue la proactivité des autorités nationales par rapport à la menace. Et cela entre dans le règlement sanitaire international.
Masiwa– Il y a quelques jours, vous avez lancé une campagne de sensibilisation sur la « sécurité des patients ». C’est quoi d’abord ? Comment et avec quels moyens comptez-vous y parvenir ?
A D– La sécurité des patients, c’est le fait quand une personne arrive au niveau d’uns structure de santé pour se faire soigner, qu’elle ne puisse pas être exposée à d’autres problèmes par le contact établi avec la structure de soins. C’est l’absence pour un patient d’atteinte inutile ou potentielle associée aux soins qu’il va recevoir de la structure.
C’est un élément de tout un ensemble, qui est comment assurer la qualité des soins au niveau d’une structure de santé. Cela implique une culture, celle de la sécurité. Il s’agit d’un ensemble cohérent et intégré de comportements individuels et organisationnels fondés sur des croyances et des valeurs partagées et recherchant continuellement à réduire les dommages aux patients.
Le patient aussi doit communiquer avec son médecin afin d’éviter des complications. C’est un des aspects de la qualité des soins. Tout comme l’hygiène des soins. Quand dans un hôpital il n’y a pas d’eau, le matériel n’est pas lavé, les déchets hospitaliers ne sont pas sécurisés, c’est source de danger.
Donc ce sont des pratiques au quotidien non seulement du médecin mais aussi de tous les paramédicaux qui sont au sein d’une structure de santé, qui doivent participer à cette culture de sécuriser l’endroit. C’est une responsabilité partagée : les médecins, les patients, les paramédicaux et même l’État.
Masiwa– Les enquêtes réalisées par votre organisme et la Banque Mondiale (carte sanitaire, qualité des soins…) révèlent un système sanitaire en piteux état. Quels sont les mesures prioritaires mises en place pour redresser la situation?
A D– Tout ce que je viens de dire sur l’offre de santé sur les 6 piliers d’un système de santé nécessite des connaissances de base par exemple pour pouvoir élaborer une carte sanitaire adaptée au pays. L’OMS appuie le gouvernement pour disposer de la carte sanitaire. Parce que cela veut dire connaître l’offre de soins existant, les structures, les pharmacies… Donc il faut faire une enquête sur la disponibilité et les services fournis (Enquête SARA) en cours.
Mais avant la mise en œuvre, nous voulons disposer d’indicateurs de base. Après l’enquête, nous allons faire une mise à jour des différents niveaux de soins et les plateaux techniques requis pour chaque niveau, en terme de ressources humaines et d’équipements, et de produits à mettre en place.
Le projet de la Banque mondiale va renforcer la mise en œuvre et à la fin mesurer l’efficience.
C’est un grand chantier pour l’OMS, de savoir ce qu’il y a et qui fait quoi. Le respect des niveaux de référence contribue beaucoup à la qualité des soins. Le personnel doit apprendre à référer au niveau supérieur. Il y a aussi des normes à respecter dans les structures.
Par exemple pour la réduction de la mortalité maternelle, il y a un instrument si il est respecté peut y contribuer : le partogramme. Si une parturiante arrive, il faut noter. c’est une description minute par minute. Donc en cas d’anomalie, il suffit de référer au niveau supérieur conformément au protocole.
Les praticiens doivent adhérer à cette démarche. On doit les former, les équiper et les sensibiliser pour respecter ce code de conduite.
L’Assurance Maladie Universelle en est une autre priorité.
L’OMS a aidé le pays à se doter de documents stratégiques . Le document de développement des ressources humaines en santé, a été fait. Le plan a été fait et prêt à être mis en œuvre. Et là aussi je salue encore une fois le leadership du pays qui a payé de ses propres moyens des boursiers depuis 2 ans pour se former.
Les documents du financement de la santé, la stratégie du financement a été élaboré avec l’appui de l’OMS. La politique national de cyber santé a été développée avec le soutien de l’OMS. Et tant d’autres, comme les ateliers de renforcement de capacité et les grandes campagnes contre les maladies tropicales négligées, notamment la philariose lymphatique et la lèpre ont été appuyées par l’OMS.
Rien que pour la lèpre, nous avons pu mobiliser avec l’État 150 Millions pour mener des campagnes contre la lèpre aux Comores. Parce que les Comores constituent pratiquement le seul pays endémique à un niveau élevé en Afrique. On a plaidé pour que l’Ambassadeur de bonne volonté, M . Sasakawa puisse visiter les Comores. Ce qui a permis de mettre un focus sur la lèpre et de rappeler à la population que la lèpre existe encore au pays et aussi obtenir des ressources.
D’ailleurs nous allons lancer une nouvelle campagne contre la lèpre à Anjouan.
Contre la filariose, les nombreuses campagnes menées produisent des résultats. Les traitements de masse, les formations et les sensibilisations ont fait qu’on a atteint un niveau de transmission bas qu’on peut parler d’élimination. Ça fait partie des acquis.
«..jamais en retrait par rapport à une question de santé…»
Masiwa– A propos de traitement de masse aux Comores, l’OMS était en retrait pour la campagne de lutte contre le paludisme à Ngazidja qui fait de la résistance. Les molécules utilisées ont-elles été autorisées par l’OMS? Et soutenez vous cette campagne de traitement ?
A D– (Surpris) L’OMS n’est jamais en retrait par rapport à une question de santé aux Comores. Jamais ! Le bureau de l’OMS a participé à la réunion stratégique de réflexion sur le traitement de masse. Déjà le choix de cette stratégie est une contribution de l’OMS, le fait d’adopter la lutte vectorielle comme stratégie, le traitement de cas individuel aussi. En Plus l’OMS appuie le programme de lutte contre le paludisme pour acquérir les produits de pulvérisation intra-domiciliaire.
Par rapport à ce traitement de masse la première réunion stratégique de réflexion ténue avec Madame la ministre et les partenaires, l’OMS était là. Moi même j’ai participé et pris la parole au Retaj pour donner la position de l’OMS. Au lancement officiel, Dr Nassuri et Mliva y étaient. Donc, je ne peux pas laisser dire que l’OMS était en retrait.
Encore une fois notre rôle est un appui technique. Donc en cas de traitement de masse, il faut la pharmacovigilance : les molécules utilisées peuvent avoir des effets secondaires. Il faut mettre en place un dispositif de prise en charge de ces effets. On a conseillé et donné de la documentation pour assurer cette pharmacovigilance.
Propos recueillis par BAKARI Idjabou Mboreha