Aux Comores, souvent, ce sont les personnalités politiques, les artistes dans le domaine musical ou parfois les entrepreneurs qui ont de la notoriété. Ceux qui ont marqué l’histoire du pays ou qui ont travaillé et contribué au développement des diverses institutions de l’État sont méconnus ou tombent aux oubliettes. Zaitoune Mounir, ancienne inspectrice générale de l’éducation nationale, actuellement à la retraite, est l’une des pionnières de l’Éducation nationale comorienne. Dévouée dans son travail, Zaitoune Mounir a laissé un héritage riche dans le monde éducatif comorien.
Par Natidja HAMIDOU
Âgée de soixante-cinq ans, Zaitoune Mounir est une mère de famille de quatre enfants. Originaire de la ville de Mutsamudu (Anjouan), elle a fait une partie de sa scolarité à Madagascar jusqu’en CM1. Elle a poursuivi son cursus scolaire à Mutsamudu jusqu’à l’obtention de son baccalauréat. Cette militante associative a fait des études de lettres anglaises dans une université sénégalaise. Ancienne enseignante d’anglais au lycée de Mutsamudu et au lycée de Moroni, Zaitoune Mounir est également passé au College of St Mark and St John, Plymouth, en Angleterre, pour des études professionnelles. Elle est actuellement la présidente de « Nari Hafadhui Wu Wana », une association comorienne qui luttait contre la délinquance juvénile dans la ville de Mutsamudu.
Trente-sept ans au service de l’éducation nationale
Zaitoune Mounir a débuté sa carrière professionnelle dans l’Éducation nationale comorienne en 1985. Elle a assuré plusieurs fonctions dans le domaine éducatif. Elle a d’abord commencé par le poste d’enseignante d’anglais dans le secondaire. Elle a travaillé au lycée Public de Mutsamudu avant de rejoindre le lycée Saïd Mohamed Cheikh de Moroni. Elle était une enseignante admirée tant pour son assiduité que par sa modestie et son engagement. Zaitoune Mounir se dit « fière d’avoir formé des générations de cadre de ce pays ».
Cette mère de famille est ensuite devenue inspectrice pédagogique à l’âge de trente-six ans. C’est une fonction qui lui a permis de former et encadrer des enseignants, mais aussi de les accompagner. Un travail de terrain qui exigeait beaucoup de temps, de la ténacité et de la fermeté. Une tâche qui n’était pas des moindres quand on connait la situation des femmes aux Comores, tant sur le milieu professionnel que familial. Mais cela n’a pas empêché Zaitoune Mounir de ne pas exercer sa fonction avec bravoure et excellence. Elle est d’ailleurs admirée par ses collègues et ses apprentis. « C’est une battante », affirme un de ses collègues, Chanbane Moussa, inspecteur pédagogique à Ngazidja. « Madame Zaitoune Mounir est une femme ouverte d’esprit, franche et surtout qui aime travailler en équipe. À mon avis, sa plus grande qualité, c’est sa volonté de former pour que d’autres puissent prendre la relève », souligne Soulé Hamidou, un autre inspecteur pédagogique.
Inspectrice atypique
Après de nombreuses années d’un travail très productif, Zaitoune Mounir est nommée inspectrice générale au ministère de l’Éducation nationale en 2007. Cette fonction lui a permis de mettre en place la formation des Encadreurs et Inspecteurs pédagogiques de l’enseignement secondaire.
Cette éducatrice a assuré également la fonction de coordinatrice de l’Inspection générale dans son île d’origine, Anjouan, avant d’être nommée Commissaire à l’Éducation à Anjouan en 2013. Elle a assuré cette fonction jusqu’en 2015. Elle était l’initiatrice du lycée d’excellence l’île. « J’ai développé le pôle d’excellence avec la mise en place du lycée d’excellence. J’ai organisé des tests de recrutement d’enseignants contractuels du primaire, des tests pour la nomination des chefs d’établissements avec des contrats d’objectifs », déclare l’ancienne professeure d’anglais. Les Contrats d’objectifs constituent des formations dispensées aux chefs d’établissements ainsi qu’aux personnels administratifs en vue de leur rappeler leurs principales tâches et la manière de les accomplir. « L’initiative du contrat d’objectif, je l’ai relancée récemment au ministère de l’Éducation », précise l’ancienne inspectrice générale. Pour l’inspecteur pédagogique Soulé Hamidou, « le contrat d’objectif est une très bonne initiative de sa part. Je dirais que c’est son fait d’arme comme on dit avant de partir à la retraite ».
Un système éducatif face à « des défis majeurs »
L’ancienne commissaire à l’Éducation estime avoir laissé comme héritage « l’engagement de soi, le respect de la déontologie et de l’éthique ainsi que l’amour du travail ».
Lorsqu’on lui demande si le système éducatif comorien répond aux besoins du marché du travail, l’Inspectrice ne cache pas son inquiétude et affirme : « Je pense qu’il est soumis à des défis majeurs, notamment une demande toujours croissante, vu la jeunesse de notre population, une diversité de l’offre en apprentissage très limitée, une insuffisance des ressources humaines tant pédagogiques qu’administratives ».
Il faut dire que l’enseignement public est délaissé par les autorités compétentes. De nouvelles réformes ont été faites même si elles ne correspondent pas à la réalité du terrain. Les résultats des examens nationaux sont catastrophiques chaque année. Le niveau des enseignants notamment en français est pointé du doigt. Sur cette question de la langue française, l’inspectrice répond : «C’est quelque chose qu’on ne peut nier, sinon c’est se voiler la face. Il est vrai que le ministère fait beaucoup d’efforts avec l’aide des partenaires pour accompagner les enseignants en matière de formations, surtout dans le primaire. Mais, malheureusement, ce constat est toujours-là. La réponse à cette question serait peut-être de mettre en place des recherches-actions afin de mieux cerner la problématique ».
Sur la multiplication des écoles privées, Zaitoune Mounir explique que « si ces écoles poussent comme des champignons, c’est parce qu’il y a des normes qu’on ne respecte pas non seulement en ce qui concerne la gestion de la carte scolaire, mais aussi les critères quant à leur ouverture ». L’ancienne enseignante est convaincue que « c’est la dégradation de l’école publique qui a causé cette multiplication fulgurante des écoles privées. Les parents n’ont plus confiance aux établissements publics quoique je dirai que bon nombre de ces écoles privées sont pires quant au cadre physique, à la pédagogique ou aux performances. Le ministère doit prendre ses responsabilités, car beaucoup d’établissements publics risquent de fermer les portes ». C’est une problématique qui fait polémique dans le domaine éducatif. L’ouverture des écoles privées est devenue comme l’ouverture d’une épicerie aux Comores. Même si les Inspecteurs pédagogiques et les responsables éducatifs font leur travail pour que les normes soient respectées, les notes ne sont pas exécutées. Il suffit que le propriétaire de l’école en question soit proche d’un responsable du ministère de l’Éducation ou du ministère de la Justice pour que tout soit mis aux oubliettes.
Lors de notre entretien, Zaitoune Mounir s’est montrée fière de son parcours et de sa carrière. Elle est contente d’avoir « formé des citoyens responsables. On a beau dire l’enseignement est le plus beau des métiers, épuisant certes, mais pleins de défis et de rebondissements. Car on a toujours à faire à une jeunesse imprévisible et impitoyable. On en voit de toutes les couleurs ». Quant à ceux ou celles qui veulent suivre sa voie, elle leur conseille « tout simplement » de « s’engager corps et âme. Un enseignant est d’abord un éducateur avant d’être un instructeur. L’enseignant est le pilier de l’avenir de tout ».