Par Nezif-Hadj IBRAHIM
Le 9 mai 2022, Azali Assoumani a effectué un remaniement technique au sein du gouvernement pour redistribuer les portefeuilles ministériels. À cette occasion, Djaffar Salim, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement, de la Recherche scientifique, de la Formation et de l’Insertion professionnelle, se voit attribuer un nouveau portefeuille, à savoir le ministère de la Jeunesse, de l’Emploi, du Travail, des Sports, des Arts et de la Culture. Au lendemain de cette annonce, Djaffar Salim, communément connu sous le surnom Sarkozy, publie son bilan à la tête du ministère de l’Éducation nationale. Pour lui, son passage a été positif, et pourtant.
Un système reconnu comme malade par le ministre
Djaffar Salim serait comme un poisson dans l’eau dans son nouveau ministère selon des observateurs, étant donné qu’il est un homme de sport. Quand il s’agit de dresser le tableau sombre du système éducatif dans l’Union des Comores, il n’observe aucunement un devoir de réserve. Bien qu’il ait souvent dans son bilan avoué avoir « énormément essayé », force est de reconnaître combien il a mis en exergue les obstacles qui minent l’administration du ministère de l’Éducation nationale.
À la lecture de ce bilan, il aurait apporté au sein du département une nouvelle méthode de travail entre les différents responsables des services et les collaborateurs du cabinet. L’idée était « d’instaurer un cadre de concertation, d’information, d’échange et de prise de décision participative », écrit-il. Il s’agissait aussi de « favoriser la synergie et la cohésion de groupe » et de permettre la suppression du « cloisonnement au sein du Ministère de l’Éducation Nationale ». Cependant, ce qui est présenté par Djaffar Salim comme une nouvelle façon de travailler au sein du ministère n’est en réalité que l’application des principes du management administratif. Cela montre à quel point les départements d’État ne fonctionnent pas sur la base d’une science ni même d’une technique bien déterminée.
Toutefois, c’est compréhensible que de tels problèmes soient observés aux Comores en ce sens que le recrutement au sein des services publics est réalisé non seulement en raison de son opportunité des services de l’État, mais aussi sans tenir compte du fait que l’administration doit produire des biens et des services dans le but de servir l’intérêt général. Il y a aussi le fait qu’aucune école pour la formation de l’administration publique n’existe alors que le gouvernement Azali avait annoncé le 2 juillet 2019 la création future d’une École Nationale d’Administration pour permettre la modernisation des services publics. En Afrique, plusieurs pays possèdent un institut d’administration ayant pour rôle de former des cadres et des hauts fonctionnaires. Ils sont aussi chargés d’amener les réformes indispensables dans l’administration publique. Cette école existe à Madagascar, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en République Démocratique du Congo au Bénin, au Maroc, en Algérie pour ne citer qu’eux.
Par ailleurs, le fait que l’actuel ministre des Sports ait voulu faire appliquer des principes (l’autorité, la discipline, l’unité de commandement, l’unité de direction, la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général, entre autres) qui régissent la fonction administrative sans qu’une formation ne soit dispensée aux agents ne pouvait pas apporter les fruits attendus, puisque cet ensemble de règles doit être pérenne.
Des établissements qui tombent en ruine
Dans son bilan, le ministre des Sports recense huit moments marquants. Pour la plupart, il s’agit de rencontres avec les « acteurs de terrain », des mesures de facilitation pour la reprise des cours en période de pandémie COVID, d’accentuation de la rigueur dans la surveillance des examens, ou tout simplement de la mise en place de projets ou leurs accords de la part des bailleurs internationaux.
Pourtant, les écoles aux Comores tombent en ruine. Dans son bilan, le volet dépense d’investissement en faveur de l’Éducation nationale ne figure pas, ou peut-être que cela ne fait pas partie des priorités de l’État. L’éducation de qualité passe aussi par des établissements qui garantissent une meilleure hygiène pour les élèves. Et on comprendra l’importance que le gouvernement accorde à l’éducation en regardant les moyens alloués au domaine de l’enseignement. Après le passage du cyclone Kenneth, qui avait occasionné de nombreux dégâts en termes d’infrastructures, la Banque mondiale avait accordé au gouvernement comorien 63 millions de dollars dont 45 millions allaient être consacrés à la reconstruction. Azali avait aussi déclaré unilatéralement le prélèvement de 10% sur le salaire des fonctionnaires pour la reconstruction. Mais, depuis, des écoles sont restées en l’état, c’est-à-dire en ruines. Curieusement, ce problème ne fait pas partie des volets traités par le bilan de Djaffar Salim. Cette tendance à négliger le système scolaire en termes de moyens se manifeste aussi par le fait que même pour la rénovation des toilettes à l’Institut Universitaire de Technologie, le ministère de l’Éducation a dû faire appel à l’Union européenne dans le cadre d’un partenariat au service du développement.
Des défaillances structurelles criantes
Comme une critique en l’endroit de la politique du gouvernement d’Azali, Djaffar Salim n’hésite pas à pointer du doigt plusieurs problèmes de nature structurelle qui n’aident pas à l’amélioration de l’Éducation nationale. Il présente cela dans le volet « Réalité pratique ». Sarkozy recense « les insuffisances » pour lesquelles les pouvoirs central et déconcentré doivent fournir des efforts. Pour le nouveau ministre des Sports, le personnel du ministère de l’Éducation travaille dans le désordre, donc « une profonde restructuration institutionnelle » doit être menée. Apparemment son expérience avec le Directeur général de l’éducation dans l’affaire des distributions des bourses pour le Maroc, à propos de laquelle il aurait demandé sa démission en vain, suite à des soupçons de corruption, l’a beaucoup marquée.
Il a aussi pointé du doigt le manque de capacité de l’administration et il a invité le chef de l’État qui est le chef de l’administration centrale à améliorer de « façon significative [les] capacités de pilotage et de gestion du système ». Pour lui, les problèmes résident dans «le fonctionnement interne des départements ministériels qui reflètent beaucoup de discordances et de négligences dans la réalisation de leurs missions et le manque de coordination des orientations politiques prises par le ministre ». A priori, il voulait tout simplement démontrer qu’au sein des ministères le principe de subordination n’est pas effectif.
Aucune politique publique en faveur de l’enseignement
Le problème avec le bilan de Djaffar Salim c’est qu’on n’a pas vu l’essentiel pour une autorité étatique ayant la faculté de changer l’ordonnancement juridique qui touche les départements qu’il a dirigés. Pour montrer qu’il voulait vraiment changer les choses, il aurait pu trouver par un diagnostic éclairé les points qui génèrent des obstacles et construire une politique qui pouvait se manifester par un arrêté ministériel ou un projet de loi qu’il aurait présenté à l’Assemblée nationale pour mieux marquer un changement.
De toutes les façons, à la lecture du bilan de l’ex-ministre de l’Éducation nationale, on est appelé à comprendre que le problème ne venait pas de lui personnellement puisqu’il voulait, selon lui, améliorer le niveau de l’éducation nationale.