La crise économique actuelle met à nu les difficultés auxquelles sont confrontées les cinq sociétés nationales des Comores. Elles sont quasiment toutes en situation de faillite et pourtant la plupart sont en situation de monopole, seules à vendre un produit.
Par Nezif-Hadj Ibrahim
À la fin du mois de mai dernier, le gouvernement a annoncé la hausse du prix des produits pétroliers. Il fallait faire face à la spéculation des prix due au conflit entre la Russie et l’Ukraine et sauver la Société comorienne des Hydrocarbures (SCH) de la faillite, disait-il. Au mois de juillet, le gouvernement a annoncé également la hausse du prix du riz, encore une fois pour résorber le déficit dont l’Office national d’Importation et de Commercialisation du Riz (ONICOR) fait l’objet depuis 2018. Un déficit qui s’élève à plus de huit milliards. Dans un rapport du mois d’octobre 2020, la section des comptes de la Cour suprême épingle la Société Nationale de l’électricité des Comores (SONELEC) pour « gabegie, évasion et fraude de l’argent public ». Et le 6 juin dernier, cette société a augmenté le prix du kWh de l’électricité qui s’élève désormais à 198 FC contre 132 FC auparavant. Pour la Société Comores Telecom, malgré les chiffres positifs pour le premier semestre de cette année 2022, en 2019, la société a opéré une réduction des salaires afin de mieux traverser la crise qu’elle subissait. En avril 2021, la Société nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux revoit le prix du m3 qui va passer de 200 FC à 500 FC. En somme, les cinq principales entreprises publiques des Comores connaissent des situations alarmantes, notamment en termes de gestion.
Une gestion préoccupante des entreprises
Depuis quelques mois, l’État a multiplié les manœuvres pour renflouer les caisses des entreprises publiques. Les abonnés aux services de Comores Telecom ont pu observer des modifications. Sous les auspices de l’Autorité nationale de la régulation des Tics, les tarifs des datas ont été revus à la hausse. Il en est de même pour les prix des autres services que vendent des sociétés telles que l’ONICOR, la SONELEC, la Société Nationale d’exploitation et de distribution des Eaux (SONEDE) et la SCH. Cette augmentation a aussi été réalisée sur les taxes douanières. Cela est une conséquence des déficits que connaissent les entreprises publiques.
En effet, ayant la vocation de rentabiliser leurs activités, le fait que ces sociétés sont en déficit fait que l’État ne peut pas faire reposer sur elles le renflouement de ses caisses. Raison pour laquelle le matraquage fiscal à la douane est assez drastique. Ce qui interroge à ce stade, c’est le manque de propositions qui auraient comme objectif de remettre sur pieds ces entreprises structurellement parlant. Le gouvernement fait souvent le choix de supprimer des postes au lieu de suivre les recommandations de la section des comptes de la Cour suprême.
Une gestion opaque des entreprises publiques
Les entreprises publiques sont de plus en plus la cible de critiques, surtout ces derniers temps où les déclarations de déficit se succèdent. L’opinion publique accuse les gérants des sociétés d’État de mauvaise gestion et d’incompétence. Le dernier en date est le directeur de l’ONICOR dont beaucoup réclament la démission, sinon la suspension. Dans cette situation la section des comptes de la Cour suprême explique que « la violation des procédures légales et réglementaires et l’absence des instruments administratifs et juridiques ont engendré des dysfonctionnements et des irrégularités récurrents sur la gestion du personnel, notamment en matière de recrutement et de rémunération et dans la gestion des recettes et dépenses ». Malgré cette réalité révélée par le contrôle effectué par la Cour suprême, le gouvernement n’apporte pas les solutions qui devraient être structurelles selon le rapport. Il décide par contre de revoir le prix de l’électricité, une décision qui ne fait que rendre la vie de la population davantage plus difficile.
Par ailleurs, la gestion opaque des entreprises publiques concerne aussi les marchés publics qui sont devenus les moyens providentiels de leurs dirigeants pour s’octroyer des avantages financiers.
La section des comptes de la Cour suprême soulève des problèmes liés à des irrégularités à propos des ressources humaines. En effet des salaires ont été pris en charge par la Sonelec en dehors des procédures légales. Ce qui fait que « le contrôle des marchés publics et des ressources humaines et financières de la SONELEC a permis à la juridiction financière d’identifier des défis d’ordre structurel qui nécessitent d’importants investissements et des défis d’ordre conjoncturel qui demandent tout simplement des mesures rigoureuses d’assainissement et de maitrise dans la gestion de la société ». Pour la Société comorienne des Hydrocarbures, la question des marchés publics est encore plus conséquente en matière d’irrégularités en ce sens que « la Cour a relevé au cours de ses investigations, des nombreuses irrégularités récurrentes dont les plus marquantes concernent les marchés des produits pétroliers, en raison de leurs spécificités : ces derniers représentent en valeur, respectivement 99,48% de dix-huit marchés attribués en 2018 et 98,83% de seize (16) marchés réalisés en 2019, soit 99,65% en moyenne du total des marchés des deux exercices contrôlés. Tous ces marchés publics ont été négociés et exécutés en violation des dispositions légales et réglementaires sus-évoquées. »
La difficulté de contrôle
En matière de contrôle budgétaire, les Comores présentent des difficultés certaines. On peut mettre ce problème sur le compte d’une volonté des dirigeants des entreprises publiques de ne pas imprimer une transparence pour mieux s’adonner à des pratiques probablement illicites. Il y a aussi la question du manque de respect des règles de la comptabilité publique dont les principes et les techniques font inscrire la gestion financière et budgétaire des comptes des entreprises publiques sur une traçabilité qui permet une meilleure transparence. Et la section des comptes de la Cour suprême fait ressortir cette absence. Elle fait comprendre que « la Cour a constaté qu’au niveau des écritures comptables, la comptabilité n’a pas tenu compte des résultats des exercices obtenus à partir des bilans, notamment ceux du passif, pour 2013 à 2019. Cette situation remet en cause la confection des états financiers des sept (7) dernières années. L’indisponibilité des informations comptables pourrait porter atteinte à la fiabilité des informations financières et à l’image fidèle de l’entité ».
Les situations des sociétés d’État comoriennes expliquent les situations de crises qui les traversent alors que toutes les quatre sont dans une situation de monopole, un monopole qui génère des chiffres d’affaires assez conséquentes.