Le salon de l’entreprise, organisée par l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANPI) se tient au palais du peuple du 7 au 9 juin 2022. Le chiffre de 1468 entreprises créés entre 2021 et 2022 a été avancé, rencontrant le scepticisme dans les réseaux sociaux. La directrice de l’ANPI, Nadjati Soidiki nous fournit des explications et aborde la situation économique actuelle.
Propos recueillis par Natidja HAMIDOU
Masiwa – Le chiffre de 1468 entreprises créées entre 2021 et 2022 est l’objet de railleries dans les réseaux sociaux. Comment vous pouvez convaincre les gens de la réalité de ce chiffre ?
Nadjati Soidiki – Je serais tentée de me railler des railleurs si la question n’était pas aussi sérieuse et aussi digne qu’on l’aborde avec sérénité et raison.
Si l’on se réfère aux chiffres de Djibouti, qui est un pays qui présente de nombreux points communs avec le nôtre notamment du point de vue de la population, ils créent en moyenne 1200 entreprises par an, soit 2400 sur une période biennale, c’est 1000 de plus que le dernier chiffre des Comores.
Si j’ose comparer le chiffre des entreprises enregistrées au guichet unique de l’ANPI à ceux de l’île comorienne de Mayotte, on y a enregistré 3155 sociétés sur la même période 2020-2021 !
Cela nous montre que la marge de progression reste importante. Néanmoins, il nous faut nous réjouir car ce chiffre est en hausse par rapport à celui des années précédentes. Et sans aucun doute, le développement des entreprises ne peut avoir lieu si au préalable celles-ci ne se constituent pas. Pour grandir il faut d’abord naître.
J’ajouterai également qu’en notre qualité d’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements, nous sommes dotés d’un triple mandat : la promotion de l’investissement, la facilitation et les services aux investisseurs et enfin l’amélioration du climat des affaires. Au même titre que les 170 agences de promotion des investissements recensées dans le monde, il nous incombe d’attirer l’investissement, d’accompagner l’établissement des entreprises, d’assurer un suivi de celles-ci dans l’objectif de leur rétention et de leur maintien, et enfin de veiller à ce que ces entreprises entraînent des retombées sur l’économie. En conséquence, nous établissons chaque année des indicateurs de performance : le nombres d’entreprises ciblées, le nombre et le montant des investissements générés, le nombre de sociétés créées, le nombre d’entreprises agréées, le nombre de réformes adoptées, le nombre d’emplois créés, etc. Il en ressort que le nombre d’entreprises immatriculées au Registre de Commerce n’est qu’un élément parmi d’autres de la grille de lecture sur l’état des lieux des entreprises comoriennes.
J’invite ainsi tous ceux qui sont animés de bonne foi et souhaitent réellement s’informer sur la situation générale des entreprises comoriennes à lire notre dernier rapport d’activité.
Masiwa – Ces entreprises sont-elles toutes actives ou comme certains le prétendent ce ne sont que des entreprises fantômes ?
N.S. – La formalisation des entreprises, par le biais de leur immatriculation au Registre de Commerce, est une étape essentielle pour toute entreprise qui espère se développer. Sans ce que l’on appelle la personnalité juridique, une entreprise ne peut prétendre à des financements, ne peut signer des contrats ou établir des partenariats formels, ne peut ouvrir un compte bancaire, ne peut réaliser des transactions commerciales internationales, ne peut ester en justice. Son périmètre d’action se trouve limité et souvent, condamne l’opérateur à des activités de simple subsistance. Il est donc heureux que toutes ces entreprises se constituent.
Ces deux dernières années, bon nombre des entreprises créées, ont été accompagnées par différents dispositifs tel que le Concours de Plan d’Affaires qui a connu un engouement inédit ou les différents appels à projets soumis par les institutions financières nationales et internationales. Non seulement cela a eu un effet sur la formalisation des entreprises candidates, mais cela a également permis d’assurer que ces sociétés ont été appuyées tant techniquement que financièrement. Un certain nombre d’entre elles ont d’ailleurs été exposantes dans le cadre du 1er salon des entreprises.
Aujourd’hui lorsqu’on se rend dans les commerces de la place, on se réjouit de trouver des nouvelles marques d’eau, d’épices, de produits cosmétiques, de bouteilles de gaz, de tôles ondulées, de café et de produits agroalimentaires divers produits aux Comores.
Cela étant dit, il va de soi que ces entreprises ne parviendront malheureusement pas toutes à éclore. Les trois premières années de vie sont cruciales et nous savons qu’y compris dans les pays développés tels que la France et les États-Unis, la mortalité infantile des entreprises est un phénomène inévitable. C’est la raison pour laquelle le suivi et l’accompagnement des entreprises nouvelles doivent être au cœur de nos stratégies.
Masiwa – Pouvez-vous nous citer aussi le nombre d’entreprises comoriennes qui ont mis la clef sous la porte 2021-2022 ?
N.S. – Ces chiffres de 2020-2021 constituent les dernières données disponibles, d’un rapport qui vient tout juste de paraître. En somme, nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur ces données pour livrer une telle information.
Il faut savoir qu’aux Comores, rares sont les entreprises qui engagent des procédures d’apurement du passif, telles que le redressement ou la liquidation, ou même qui sollicitent leur radiation.
Cet élément de fait nous oblige, afin d’apurer le répertoire des entreprises comoriennes, à réaliser des enquêtes périodiques pour s’assurer auprès des opérateurs que les entreprises inscrites au Registre du Commerce sont bel et bien opérationnelles. Une nouvelle enquête devra être réalisée prochainement par notre département veille et études.
Masiwa – Quels types d’entreprises dominent aux Comores ?
N.S. – Le commerce et les services restent les branchent d’activités dominantes, suivies très loin derrière par le BTP, l’agriculture, le tourisme et l’industrie.
Il est pour nous primordial d’encourager et d’accompagner le développement du secteur productif. C’est la raison pour laquelle 57% des exonérations accordées aux entreprises ont été accordées à la branche industrie.
Masiwa – Quels objectifs vous êtes-vous fixés avec le Salon de l’entreprise qui se déroule actuellement à Moroni ?
N.S. – L’objectif général est de faire du Salon des Entreprises des Comores le rendez-vous annuel de l’entrepreneuriat et des entreprises, rassemblant créateurs, entrepreneurs, dirigeants de TPE/PME, gouvernement, structures de développement des entreprises, partenaires techniques et financiers avec une forte représentation de jeunes et de femmes afin de valoriser l’entrepreneuriat, de promouvoir l’écosystème existant, et de créer une plateforme de partage d’expériences et de réseautage.
Le Salon, pendant trois jours, a su capitaliser toutes les expertises afin d’offrir aux entrepreneurs un espace pour exposer leurs biens et services et approcher de nouveaux clients et partenaires, recueillir les recommandations du secteur privé pour l’amélioration de l’environnement des affaires et la vie des entreprises, apporter des réponses et des solutions concrètes pour le développement des entreprises, présenter l’écosystème d’accompagnement des entreprises, et enfin mettre à la disposition de la jeunesse des opportunités d’entrepreneuriat et d’emploi.
Les objectifs ont été largement atteints à travers la participation très active de nos 60 exposants, la tenue de dix conférences animées et de sept ateliers animés par les acteurs de l’écosystème entrepreneurial. Tous ont su rendre ce salon vivant et profitable aux entreprises ainsi qu’à l’ensemble des visiteurs et participants.
Masiwa – Le pays connait actuellement une forte inflation ? Quelle est votre opinion sur les causes et les conséquences de cette crise ?
N.S. – Les causes de la crise sont connues et parmi les conséquences immédiates figure la hausse des prix.
Il faudrait sans conteste prendre des mesures de riposte, afin d’atténuer les effets sur les entreprises et la population.
En temps de Covid-19, des mesures avaient pu être prises, telles que des reports d’échéances, des facilités de dédouanement ou encore la mise à disposition d’un fond de garantie au profit des importateurs de produits de première nécessité.
Il conviendrait alors, face à cette nouvelle crise, d’identifier en concertation avec le secteur privé, les dispositifs d’urgences à mettre en place.
À l’occasion du premier salon des entreprises, le secteur privé a interpellé les autorités sur la nécessité de rendre opérationnel le cadre institutionnel du dialogue public-privé. Un tel cadre permettrait sans aucun doute de rechercher et de trouver des solutions de compromis pour répondre aux impacts de ces crises successives.
Masiwa – Est-ce qu’il ne serait pas logique que vu la situation actuelle, l’activité économique des entreprises soit freinée ?
N.S – Chacun sait que la crise pandémique a entrainé une chute de la courbe de la croissance. Nous savons aussi que les effets de la crise ont eu un impact plus ou moins important en fonction des secteurs.
Mais nous savons surtout plus que jamais qu’il nous faut réduire notre dépendance aux importations, raison pour laquelle les jeunes entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers l’agriculture.
Les entreprises et start-up numériques sont quant à elles les grandes gagnantes de la crise. Elles ont été nombreuses à voir le jour pendant cette période puisqu’elles se sont développées en réponse au besoin de palier aux restrictions sanitaires. Et les Comores ne furent pas en reste.
Cette nouvelle crise impacte les entreprises dépendant de l’importation de certaines matières premières. Elle coïncide avec le lancement de la deuxième cohorte du Concours de Plans d’Affaires et dans cette première phase d’appel à manifestation d’intérêt qui s’achèvera le 30 juin, on recense déjà près de 800 candidatures avec à la clé 170 entreprises qui seront accompagnées pendant 12 mois et des subventions allant jusqu’à 32,5 millions de francs comoriens à travers le projet appelé « PIDC ». J’en profite pour encourager particulièrement les MPME de plus de trois ans et les coopératives à concourir afin de bénéficier d’un appui qui tomberait à point nommé dans ce contexte difficile.
De façon plus générale, les entreprises peuvent bénéficier d’appui-conseil, d’exonérations fiscalo-douanières, de formations, de partenariats commerciaux ou de services d’intermédiation avec l’Administration à travers les structures d’appui aux entreprises présentes sur le territoire comorien.
En conclusion, les temps sont et s’annoncent difficiles, mais les études disponibles sur l’impact de la crise de covid-19 démontrent que les entreprises comoriennes ont fait preuve de résilience. Aujourd’hui, les pouvoirs publics et le secteur privé travailleront main dans la main pour tenter de mitiger les impacts de cette nouvelle tempête.