Le 11 février 2023, Azali Assoumani a promulgué la Loi n°23-001 du 6 février 2023 qui autorise à ratifier l’Accord portant Création de la Zone de libre-échange continentale d’Afrique. Alors signataire de l’accord depuis 2018, ce n’est que 5 ans plus tard que l’Union des Comores vont ratifier le traité, notamment à quelques jours de la prise de la présidence de l’organisation panafricaine par les Comores. Pour un pays avec une industrialisation embryonnaire, un pays fortement dépendant des importations, cette ratification tardive apparaît comme une stratégie hasardeuse imposée par le contexte, sachant que le pays faisait partie des 10 États sur les 55 qui n’avaient pas émis un instrument de ratification. On peut aussi parler d’une démarche qui repose sur les limites actuelles que présente la ZLECAF ; ce qui interroge sur les années à venir pour les Comores face à cette situation d’intégration nouvelle qui impliquera forcément des remises à niveau d’ordre structurel important.
L’Afrique, seulement 8% des importations aux Comores
Intégrer une zone de libre-échange commercial implique la perte ou la cessation de sa souveraineté, en contrepartie d’une plus grande opportunité de développement que le marché national arrive peu ou prou à satisfaire. En effet, la zone de libre-échange commercial se caractérise par la levée progressive de frontières fiscales jusqu’à 90% de produits pour leur permettre ainsi qu’aux services de parvenir librement au marché des pays membres. Pour les Comores, la plus grande ressource fiscale est la Douane, dont les recettes s’élève à 42%. Or, avec la ZLECAF, les Comores vont devoir libéraliser « le commerce des marchandises, le commerce des services, les investissements, les droits de propriété intellectuelle et politique de concurrence » apprend-t-on par l’Accord. Certainement, l’impact qu’occasionne la ZLECAF pour les Comores est moindre. Au regard de la configuration actuelle des échanges commerciaux entre les Comores et le reste du monde, seulement 8% des importations vont être concernées par la nouvelle donne économique, puisque selon le dernier Rapport annuel de la Banque centrale des Comores (BCC), les régions qui exportent d’avantages de produits aux Comores sont le golfe Persique, avec 41%, l’Est de l’Asie avec 31%, et l’Europe avec 19%. Cela semble avoir, en partie, motivé le gouvernement à accélérer la ratification. L’autre raison est selon toute vraisemblance la présidence de l’Union africaine, qui a échu les Comores, compte tenu surtout de la place centrale que la Zone de libre-échange continentale occupe dans l’Agenda de l’Organisation régionale. Toutefois, il est essentiel de relever combien les Comores présentent des retards considérables par rapport aux objectifs visés par cette initiative.
Une stratégie à court terme discutable
Les Comores seront exemptées de conséquences pour les prochaines années, si on se fonde sur les habitudes commerciales de l’archipel. Il y a également le fait que le continent est encore en voie d’industrialisation. Mais, ce contexte sera largement dépassé, selon les experts. La ZLECAF « aidera l’Afrique à diversifier et industrialiser son économie, et à être moins dépendante de l’exportation d’un petit nombre de produits de base tels que le cuivre, le pétrole et le café », selon Mari Elka Pangestu, Directrice générale de la Banque mondiale pour les politiques de développement et les partenariats. On peut donc espérer que le retard du gouvernement pour ratifier l’Accord relève du fait que les décideurs ont conscience de l’indice d’industrialisation du pays, et que cela s’accompagnera d’une politique d’industrialisation qui apportera des ressources nouvelles à l’État. Le régime politique en place peut compter sur une industrie africaine peu dynamique pour pouvoir reposer sa stratégie qui s’apparente à un choix purement démagogique en l’état actuel des choses ? Toutefois, cela sera le cas jusqu’à quand ?
Sur le long terme, une stratégie risquée
La finalité de la Zone de libre-échange continentale est de stimuler les investissements et l’industrialisation des pays d’Afrique. Et selon une nouvelle étude de la Banque mondiale, cet objectif sera atteint puisque « la ZLECAF a le potentiel d’encourager les investissements directs étrangers nécessaires pour que l’Afrique se diversifie dans de nouvelles industries, telles que l’agroalimentaire, l’industrie manufacturière et les services, et de réduire la vulnérabilité de la région aux cycles d’expansion et de ralentissement des produits de base ». Effectivement, le marché continental revêt un attrait particulier : sur le territoire, on retrouve les matières premières stratégiques et une main-œuvre jeune. Cette attractivité devra faire pencher la balance en faveur des pays d’Afrique pour les importateurs nationaux, où les biens seront faciles à déplacer parce que moins coûteux. Cela va engendrer des pertes fiscales importantes pour les Comores, une situation de crise probable que le pays doit dorénavant anticiper en permettant l’établissement d’autres ressources fiscales. Pour tout État, la fiscalité est ce qui fait fonctionner d’abord l’administration publique. Donc, la logique voudrait les Comores s’adaptent à ces nouveaux paramètres. Le gouvernement est invité dans une autre mesure à se doter d’un meilleur secteur public ; or, au regard de l’état des entreprises publiques actuellement, on peut dire qu’on est loin de sortir de l’auberge. Ce sera dangereux, à n’en pas douter, si les Comores se retrouvent dans une situation où les produits qui seront consommés par ses habitants sont issus du marché de libre-échange. En effet, cela apportera la faillite à l’État comorien.
La population comorienne, première bénéficiaire
La plupart des produits agricoles qui arrivent sur le marché comorien sont importés soit de Tanzanie, soit de Madagascar. Pour l’instant, la Grande île n’a pas ratifié l’Accord ; ce qui fait que les flux entre les Comores et Antananarivo ne seront pas encore régis par les dispositions de la ZLECAF. Par contre, avec la Tanzanie, les Comores vont devoir appliquer la règle de la libéralisation, puisque ce pays a ratifié le traité le 17 janvier 2023. Cela consistera donc à retirer une épine sous le pied pour une population comorienne en proie à l’inflation à cause de la hausse des taxes douanières. La viande de bœuf, le songe, l’ail et la pomme de terre et beaucoup d’autres aliments qui arrivent de la Tanzanie vont certainement voir leur prix baisser ; ce qui va permettre aux ménages de souffler. De toute façon, nous aurons à observer les comportements économiques des importateurs et des autorités politiques pour relever comment ils vont réagir face à la levée des restrictions aux frontières. Ce qui est sûr, c’est que le mois de ramadan 2023 devra être plus abordable pour les consommateurs comoriens, puisque, par ricochet, les produits de terroir devront également subir des baisses de prix, étant donné que sur le marché, on aura des produits moins chers, concurrents.
Par ailleurs, d’autres avantages sont à mettre sur le compte de la ZLECAF pour la population. La Banque mondiale estime « qu’une fois entièrement mis en œuvre pour harmoniser les règles d’investissement et de concurrence, l’accord commercial pourrait accroître les revenus régionaux de 9%, soit 571 milliards de dollars ». Le marché continental va donc jouer un rôle non négligeable dans la lutte contre la pauvreté dans nos îles.