« Celles et ceux qui souffrent le plus sont celles et ceux qui éprouvent le plus de mal à exprimer leur douleur ».
La slameuse Zam-Zam Elhad sort cette semaine un recueil de slams intitulé Plaintes aux éditions Cœlacanthe, recueil en shikomori et en français, accompagné d’une performance orale, Roho.
Par Abdouroihmane Ibrahim
Avez-vous déjà eu du mal à décrire ce qu’il y a au fond de vous par peur d’être incompris (ses) ? Avez-vous déjà eu du mal à dire les choses qui vous hantent ? Alors, il faut lire Plainte, recueil de poèmes/slams engagés écrit en français et en shikomori, par ZamZam Elhad, écrivaine comorienne et qui parait cette semaine chez Coelacanthe.
Dans ce livre, usant de l’anaphore de la première personne « Je », l’auteure capte l’attention de ses lecteurs, afin de les faire voyager à travers un langage soutenu, que ce soit en shikomori ou français, un monde neurasthénique.
Les violences faites aux femmes
Le recueil dénonce des faits liés à la société en commençant par « Identité volée ou la voix des sans voix », racontant dans les premières pages, en shikomori, le parcours bouleversant d’une jeune femme comorienne qui subit dès son plus jeune âge, des violences sexuelles jusqu’à ce que ces dernières deviennent un mode de vie. Mais pourquoi ? Sa survie en dépendait.
Alors qu’elle est envoyée à l’école coranique à l’âge de sept ans pour y apprendre, son maître coranique abuse continuellement d’elle. Elle ne sait que se taire jusqu’au jour où elle décide de rentrer chez elle. Revenant bredouille, le mépris la poursuit. C’est alors que sa famille l’envoie chez son oncle à Moroni où elle doit aller à l’école française. Hélas, elle n’arrive pas à poursuivre sa scolarité, car les corvées domestiques sont tout ce qu’on lui apprend à faire. En prenant de l’âge, devenant pubère avec les seins qui surgissent, son oncle voit en elle une femme à convoiter. Ainsi lui aussi abuse d’elle. Elle tombe enceinte, elle va à l’hôpital, mais personne ne doit savoir ce qu’il lui arrive.
Elle fait la rencontre d’un homme. Elle tombe amoureuse, mais ce dernier est brutal et la frappe incessamment. C’est alors qu’elle décide de le quitter et de reprendre ces études. Une fois à l’université, elle apprend que pour décrocher un diplôme, elle doit servir de plat à tous les enseignants. Une chose qu’elle finit par faire. Elle décroche son diplôme, il lui reste donc à trouver un travail. Mais pour qu’elle y arrive, le directeur devait voir ce qu’elle savait faire sur un canapé.
Elle devient la risée de tous. Mais tant que sa survie en dépend, elle n’a guère le choix que de se soumettre. Elle commence à prendre des rides, elle songe à fonder une famille, mais connaissant son passé, personne ne veut d’elle. Puis un homme qui vient de loin lui propose de l’épouser. Elle accepte. Mais, celui-ci se révèle être un ivrogne qui la bat et lui hurle dessus tous les soirs. Que faire ? Entre divorcer et résister, c’est un choix difficile.
Après des élections au pays et un changement de gouvernement, le poste du directeur est occupé par une femme. Notre héroïne pensait qu’elles allaient bien s’entendre, mais contre toute attente, la nouvelle chef veut l’offrir en cadeau à son mari. Elle refuse d’y aller, ce qui lui vaut son travail.
Puis août arrive. Le mois qui marque l’arrivée des « Jeviens », elle quitte son mari pour suivre un « Je t’aime ». Celui-ci lui vend un rêve. Il lui fait connaître un ami qui devait le faire passer à l’aéroport pour se rendre clandestinement en la France. Mais ce dernier veut un coup. Elle cède. Elle vend tout pour un monde meilleur. Hélas elle se trouve en Libye, où elle est violée, puis jetée tel un déchet. Quelques jours plus tard, elle prend le bateau pour l’Italie. Mais, une fois de plus, le capitaine du navire a fait d’elle sa femme. Une fois arrivée en France, le vendeur de rêves ne veut plus d’elle. Elle appelle sa mère qui lui conseille d’appeler sa sœur qui se trouve aussi en France. Mais, celle-ci ne veut rien entendre d’elle. C’est là qu’un étranger lui tient la main et lui propose son toit. Elle accepte pour ne pas mourir de froid. Des semaines plus tard, après qu’elle ait attendu que cet homme la traite comme les autres, elle est surprise d’apprendre qu’il ne voulait rien d’elle. Un amour résonnant entre eux et ils se marient. Un parcours tragique pour une fin heureuse dans ce premier volet. Qu’en est-il du reste ?
Des poèmes qui dénoncent les violences faites aux enfants
L’auteure enchaîne les poèmes en les répartissant en plusieurs parties.
Dans « Cri du silence », elle nous peint le traumatisme de la femme condamnée à accepter son infériorité vis-à-vis de l’homme. À accepter de rester à la maison, car dehors rôde le danger. On la blâme d’être sortie en lui disant que tout ce qui lui arrive de mal, n’émane que d’elle. Puis l’auteur enchaîne.
Dans la deuxième partie, l’auteure en tant que femme, ne dénonce pas seulement ce qui arrive aux femmes, mais aussi ce qui arrive aux hommes. Car bien qu’il soit devenu adulte, il n’est pas sans savoir qu’autrefois, il était un jeune garçon, innocent. Agressé et violé, il ne savait que faire hormis se taire sinon sa virilité en prendrait un coup. C’est ce que lui disent ses proches pour garantir l’honneur de la famille pendant que lui, dans sa grotte de solitude, il demande justice. Plus il grandit, plus la douleur le consume. Mais que faire ? En parler ferait de lui la risée du village, de la communauté entre autres.
À force de se renfermer sur soi, de ne rien pouvoir dire à personne de peur qu’on ne la croie pas, toute seule dans son agonie, la mort lui tend la main. Perplexes, entre céder et lutter, certaines finissent par jeter l’éponge.
« Oui, j’y ai pensé. Que Dieu m’en préserve,
Oui j’en ai tellement souffert que partir me semblait une issue,
Tellement souffert qu’à un moment les prières et invocations suppliaient le seigneur de le reprendre. »
Le machisme
Enfin Zam Zam Elhad dénonce le harcèlement ordinaire. Dans les rues, les femmes sont constamment harcelées. C’est devenu une mode. Interpeller une femme qui passe est devenu un jeu pervers. Celui qui ne sait pas faire n’est pas considéré comme un « bonhomme ». Si jamais la fille ne répond pas à ce genre d’interpellation, des insultes s’en suivent.
L’auteure évoque également le harcèlement présent dans les réseaux sociaux. C’est encore grave. Quand un homme écrit à une femme pour la première fois et que cette dernière ne lui répond pas, c’est une guerre qui commence.
Au terme de la lecture de ce recueil, le constat est alarmant. Nous remarquons que toute la société se tait face aux violences faites aux femmes et aux enfants, filles et garçons. Des parents aux enseignants. Des professeurs aux encadreurs. Des beaux-frères aux sœurs qui préfèrent garder le silence. Pendant qu’un être humain souffre le martyre. Des dizaines de filles sont victimes d’agressions sexuelles tous les mois, l’État reste muet face à cela. Mais, où va-t-on ? Jusqu’à quand les prédateurs seront protégés.