Avec « Kamar Al-Koweït. Les Dessous d’un Naufrage », paru le 21 juin dernier aux Éditions 4 Étoiles, Dr Mohamed Ahmed Bacar Rezida explore le genre du thriller à travers une enquête sur les causes d’un naufrage survenu le 6 avril 1987.
Par Nezif-Hadj IBRAHIM
Mohamed Ahmed Bacar Rezida, docteur en médecine, issu de la faculté de médecine d’Antananarivo et titulaire d’un Master II en Économie et Gestion de la Santé obtenu à l’Université Paris Dauphine, a déjà publié deux ouvrages aux Éditions Cœlacanthe, à savoir « Trois Contes des Comores » (2017) et « La Rédemption des Iguanes » (2018).
Le roman part d’un événement historique qui a endeuillé le pays, pour faire un diagnostic sur les maux qui rongent la réalité des Comores.
Une œuvre sur la réalité sociopolitique des Comores
À travers la lecture de « Kamar Al-Koweït », l’on ressent la volonté de l’auteur de faire de la société comorienne un personnage sous-jacent du roman, alors que les protagonistes sont entraînés dans les affres qui laissent pérégriner la population comorienne d’un événement dramatique à un autre. Telle une machine bien huilée par les élites, le système sociopolitique aux Comores broie et les espoirs et l’intégrité des hommes.
« Ce que j’ai fait avec ces individus n’est que la loupe grossissante d’un fléau sociétal tentaculaire. C’est la conséquence d’une population abandonnée par ses élites, poussée à l’agonie, sans aucune perspective, vouée à trouver elle-même ses propres moyens de survie », rappelle le personnage principal, Dr Boudra. Il poursuit avec plein de résignation, « face à la misère, à la précarité immuable, le salut de tout un chacun ne peut venir ni de l’empathie ni de l’ordre. Il tirera toujours ses racines du néant. Pour nous en sortir, nous sommes forcés d’enfreindre les lois, de sacrifier autrui, de bafouer l’éthique qui faisait de toi et de moi de fervents défenseurs de l’équité et de la justice. Pardonne-moi ».
La réalité sociopolitique fait donc office d’un certain antagonisme dans le roman de Dr Mohamed Ahmed Bacar Rezida. Les différents personnages sont, pour la plupart, malmenés, bousculés par des courants hostiles face auxquels le Comorien a développé une certaine résilience qui se revèle être plutôt un fatalisme, rendant donc celui-ci complice avéré surtout au regard du jusqu’au-boutisme du personnage principal. Malgré les risques et les dangers sur sa vie, il a pu mettre à bas le mal tout en déliant les mystères qui entouraient le naufrage du Kamar Al-Koweït.
L’approche sociopolitique du vivant sous l’œil expert du Docteur
Diplômé deux fois dans le domaine de la santé et exerçant en France, Dr Mohamed Ahmed Bacar Rezida a développé une expertise par rapport aux questions sanitaires tant dans la prise en charge des malades que dans le management des institutions se rapportant à la santé. Et cela se voit dans le roman. L’auteur dresse un regard critique sur les problèmes qui frappent de plein fouet le système sanitaire des Comores, qui met souvent en danger les patients pour des raisons souvent vénales.
« Parce qu’ici, la notion de sécurité et de prévention des risques, qu’ils soient maritimes, alimentaires, environnementaux ou médico-sanitaires, n’a aucune réalité. Ce ne sont que des choses abstraites, des choses auxquelles il ne sert à rien de s’atteler », fait savoir l’auteur.
La vie devenant une marchandise même au sein des établissements hospitaliers publics, l’auteur décrit un contexte triste, notamment par rapport à la maternité. « En réalité, aucun Comorien ne venait plus au monde par voie naturelle, relève-t-il. Il fallait aller le chercher pour le déloger des entrailles de sa mère. Et ce n’était certainement pas le coût exorbitant de l’intervention, laissé en totalité à la charge des parturientes, qui n’avaient aucune couverture sociale ni couverture maladie et qui ne disposaient que de revenus très maigres et insignifiants, qui allait freiner l’usage de la méthode, car elle renflouait les caisses des hôpitaux. Par les temps qui couraient, certaines choses marchaient, diraient certains. »
Il pousse son analyse sur le lien entre la culture comorienne et les causes des problèmes que rencontrent les femmes en situation maternelle : « Certes, les patientes servaient de vaches à lait aux gestionnaires hospitaliers du pays, mais au-delà de cela, l’adoption récente de la sédentarité, l’absence d’activité physique de la plus grande frange de la population féminine, les croyances, le mode et les conditions de vie précaires, ajoutés aux habitudes alimentaires, étaient autant de causes qui obligeaient les praticiens à y recourir pour préserver les vies… ».
La corruption administrative, un thème privilégié par l’auteur
La corruption est endémique aux Comores, elle ferait même partie des habitudes. Cette réalité, l’auteur en parle dans son livre à plusieurs endroits :« Quelques années plus tôt, il avait fait le choix, à ses dépens, de ne pas faire partie de ces fonctionnaires ayant opté pour un départ volontaire de la fonction publique via ce fameux Programme d’Ajustement structural (PAS) décidé par l’élite gouvernante. Son but affiché était, sans rire, d’assainir les dépenses publiques. En réalité, il n’en était rien. Le larcin, classique, avait pour objectif inavoué de grossir davantage encore la manne d’argent public que les dépositaires de l’État allaient se mettre dans la poche ». Et encore il souligne alors la force de corruption que représente les « relations » avec les agents des administrations : « depuis lors, sans revenus ni retraite, sa survie, il ne la devait qu’à sa reconversion en vendeur de brochettes dans la médina mutsamudienne. (…) Ce fut d’ailleurs l’un de ses collègues qui lui permit d’accéder aux registres des immatriculations de véhicules sans lui soutirer, comme il était coutume de le faire dans de telles circonstances, un petit bahashish qui, pour le coup, aurait été mérité ».
Un drame national, mais aussi personnel pour l’auteur.
Lors d’une interview qu’il a accordée à la chaîne nationale de l’État, dans son antenne régionale d’Anjouan, l’auteur admet que son roman a repris des évènements historiques ayant marqué le pays en général et sa vie en particulier. Comme il l’a révélé aux micros de l’Ortc, il a perdu sa sœur ce jour-là et les images sont encore dans sa mémoire. Malheureusement comme dans la majorité des cas, les naufrages, les crashs aux Comores sont mis au compte de la bonne volonté d’Allah et les enquêtes sur les causes de tels drames sont rares, sinon elles jouent tout simplement le rôle d’un coup de communication d’un gouvernement qui voudrait se faire passer comme attentif et attentionné. Face à cette absence d’investigation pour connaître les origines du Naufrage du Kamar Al-Koweït, Dr Mohamed Ahmed Bacar Rezida s’est lancé dans une enquête policière à travers laquelle il interroge en réalité les origines du naufrage des Comores.