Masiwa – Votre album frappe, comme vos précédents d’ailleurs, par ce souci constant d’aborder des thèmes sensibles comme l’amour, la mort, la société comorienne… N’avez-vous pas la crainte que les auditeurs se laissent trop emporter par le rythme des mélodies et oublient d’écouter des textes qui ont pourtant un sens indéniable ?
Awax – Je n’ai pas de souci constant d’aborder des sujets particuliers. Les thèmes qu’on peut dire récurrents dans mes textes comme ceux que tu viens de citer font partie de la vie. Ils sont inévitables quand on fait du rap. Pour moi, un rappeur est une personne qui arrive devant un public et qui lui dit : « J’ai un truc à vous dire sur moi ». On raconte ce qu’on voit, ce qu’on entend et des fois ce qu’on a fait ou qu’on nous a fait… ce qu’on vit en gros.
Pour ce qui est des mélodies, je ne trouve pas qu’elles soient en déphasage avec les textes. Mais, peu importe. Cela ne me gêne pas que quelqu’un aime ma musique sans comprendre tout ce que je raconte. Quand je cherche mes rimes, je veux qu’elles soient musicales. Je n’irai pas jusqu’à dire que le sens m’importe peu, mais quand j’écris, je m’arrange pour que les mots que je place en fin de compte comportent le plus de sons en commun. C’est ce qui rend mon texte chantant même quand on le fait à capella. Les mots ont leur propre musique.
Masiwa – Cet album signe votre première collaboration avec Sayrus Blacka. Comment s’est faite la rencontre?
Awax – Blacka, qui est présent sur mon album, est, comme moi, étudiant au Maroc. C’est un rappeur plus jeune que je suis depuis un moment. L’idée de notre collaboration a surgi naturellement. On s’est retrouvé ensemble chez Djeloune, un pote beatmaker, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur l’album. Ils bossaient tous les deux sur le premier opus de Blacka, j’étais là et on a écouté une production qui nous a plus à tous les deux et on s’y est mis. Ça s’est passé super rapidement.
Masiwa – Concernant plus particulièrement le processus de l’écriture, comment se déroule-t-il précisément?
Awax – J’écris toujours deux fois. Une première hors studio, ça peut être chez moi, dans un café, dans le train et c’est souvent des bouts de refrain. Pour ce qui est des couplets, je les écris toujours en studio peu avant d’enregistrer ma voix. Il se passe un truc quand on enregistre un texte qu’on ne maitrise pas encore totalement, comme une hésitation dans la voix que je trouve réelle.
Masiwa – Pourriez-vous nous dire quel a été le morceau le plus difficile à écrire et à mettre en musique, et pour quelles raisons?
Awax – Gambusi, ulanga na juwa, kabla hwenzangu, Roho ya diha, silisi…. sont des morceaux qu’on écrit avec le cœur et la tête. On parlait, en début d’interview, de l’égocentrisme dans le rap qui est factuel. Mais, je pense qu’avec des morceaux comme silisi et ulanga na juwa par exemple, le rappeur se met devant un public et lui dit cette fois : « J’ai un truc à vous dire sur vous. » Le rap, malgré ce qu’on peut en dire, c’est aujourd’hui le genre musical aux Comores qui aborde le plus des sujets de société.
Masiwa – L’album complet doit-être une grande fierté pour toi, mais dans quel morceau t’identifies-tu le plus et pourquoi ?
Awax – J’aime beaucoup Gambusi. Le dernier morceau enregistré de l’album.
Masiwa – Y a-t-il une phrase dans les paroles d’une chanson qui te tient particulièrement à cœur ?
Awax – Je cite deux mesures du morceau numéro 5 de l’album. Ye shahawa sha mdru shitsike adjali mwe shewo sha mdru / ye sha harisha mdru shitsi latsize mdru ye sha yeshewa mdru. Le son « sh » revient 10 fois, et les 10 répétitions se répartissent égalitairement dans les deux mesures. Je suis content quand je trouve de belles rimes complexes.
Masiwa – Quelles sont vos principales influences lorsque vous composez vos morceaux ?
Awax – Je m’inspire de ma vie. C’est la source de tout ça. Et pour ce qui est du son, j’essaie de faire la musique que j’aimais écouter depuis que je suis gamin. Le rap en particulier, mais pas que. Comme j’aime le dire « mi mbihanyiho wa Ali Ndjizi na Jay Z ». Lol ! J’écoute beaucoup ce qui se fait aux États-Unis, en particulier à Atlanta. Ce sont clairement les artistes de cette scène qui m’inspirent dans mes choix artistiques.
Masiwa – Vers quels groupes/artistes rêverais-tu de tourner ou bien composer un album en commun ?
Awax – Je n’ai pas de rêve de projet commun, j’ai un projet en commun en chantier avec un rappeur comorien qui devrait sortir en 2023. Par contre, aux Comores, il y a bien sûr des artistes avec qui ce serait un honneur de faire des morceaux. Je pense que ça va venir.
Masiwa – Comment convaincre quelqu’un d’écouter ta musique de la manière la plus rapide possible, à l’image des 140 signes de Twitter ?
Awax – Je ne connais pas les 140 signes twitter. Et je ne cherche pas à convaincre autrement que par la musique qui, je pense, mérite d’être écoutée et c’est ce qui va se passer si on continue de faire ce qu’on fait.
Masiwa – On voit que la pochette de votre album renvoie aux souvenirs de votre enfance, quel lien entretient-elle avec ton album ?
Awax – La photo de cette pochette a été prise au Niger en 2004. Je suis avec ma mère dans un centre culturel où on nous photographie avec une troupe de chants et de danse traditionnels. Mon album a une forte dimension autobiographique et je me suis dit qu’une photo de moi enfant serait plus significative. Et puis c’est une tradition dans le rap, les photos de rappeur enfant.
Masiwa – Que doit-on s’attendre de tes nouveaux projets musicaux ?
Awax – Franchement, je l’ignore encore.
Propos recueillis par Houdheïf Mdziani
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