L’admission des Comores à l’ONU le 12 novembre 1975 est un des actes fondamentaux de la naissance des Comores comme État moderne. C’est en quelque sorte une deuxième proclamation d’indépendance faite cette fois par la communauté internationale. Or, on oublie souvent que le vote de l’Assemblée générale a été précédé par celui du Conseil de Sécurité, qui, le premier, a fixé les frontières internationales des Comores par une résolution le 17 octobre 1975.
Par Mahmoud Ibrahime
Le 12 novembre est une des dates matricielles de l’histoire des Comores, et surtout de sa décolonisation, à l’instar du 6 juillet ou du 3 août 1975. Une continuité dans la marche vers l’indépendance des Comores qui débute avec la Déclaration commune de juin 1973, entre l’État colonial et les autorités locales, en vue d’une indépendance des quatre îles de l’archipel avant 1978. Après la déclaration unilatérale d’indépendance le 6 juillet 1975, le 12 novembre apparait comme la seconde proclamation d’indépendance, sauf que cette fois, elle ne se fait pas dans le repli de la petite chambre des Députés à Moroni, mais au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, devant et par toutes les nations représentées.
Pourtant, le contexte n’est pas simple, puisque c’est à un moment où le Front national uni vient de renverser Ahmed Abdallah par un putsch le 3 août 1975, avec l’assentiment du Prince Saïd Ibrahim, du parti majoritaire à Mayotte, le Mouvement populaire mahorais (MPM) et du gouvernement français. Ce dernier n’avait pas apprécié l’impatience d’Ahmed Abdallah et de la classe politique comorienne qui avait abouti à la Déclaration unilatérale d’indépendance du 6 juillet. Ce processus d’indépendance n’avait alors été utilisé que par les colons d’Amérique contre l’Angleterre, deux siècles auparavant, le 4 juillet 1776. La Déclaration unilatérale avait provoqué la colère du Président Giscard d’Estaing qui quelques mois auparavant disait dans une conférence de presse télévisée que la France ne pouvait pas « briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores » (24 octobre 1974). Dès le 9 juillet, le gouvernement français accepte l’indépendance de trois des îles, mais pas de Mayotte.
Ambiguïtés françaises
Après le putsch, les négociations sont ouvertes, mais achoppent sur le cas de Mayotte. En septembre/octobre 1975, le gouvernement révolutionnaire envoie une délégation à Paris pour trouver une solution avec l’ancienne puissance colonisatrice. Les deux parties n’arrivent pas à trouver un consensus.
Dès le 29 septembre, les Comores avaient envoyé à l’ONU une « Déclaration d’acceptation des obligations contenues dans la Charte des Nations unies », qui est en fait une demande d’admission du pays au sein de l’Organisation. Elle est transmise au Secrétaire général de l’ONU le 8 octobre. Le gouvernement comorien, n’ayant pu s’entendre avec la France sur Mayotte, se passe du parrainage de l’ancien État colonisateur. Cette situation, plutôt insolite, déboussole la diplomatie française, et particulièrement le représentant de la France à l’ONU qui envoie des messages alarmants à son ministère. D’autant plus que, comme il sera rappelé dans le débat au sein du Conseil de Sécurité, le ministre des Affaires étrangères français et le représentant de la France ont fait des déclarations à l’ONU assurant que la France mènerait les Comores à l’indépendance, en tant qu’entité composée de quatre îles.
Mais, contrairement à ce qu’elle affirme à l’ONU, la France donne l’impression de vouloir faire aboutir les revendications des Maorais. Ainsi, le 16 octobre, le Secrétaire d’État aux DOM-TOM dépose devant la Commission des Lois de l’Assemblée nationale un projet de loi et annonce que les Maorais seront consultés sur le statut qu’ils entendent donner à leur île.
À l’ONU la France laisse faire
Avant le vote de l’Assemblée générale, un texte d’admission des Comores composées des quatre îles (Grande-Comore, Anjouan, Mayotte et Mohéli) est présenté au Conseil de Sécurité de l’ONU. Après l’étude et la remise d’un rapport d’une commission, le texte de résolution sur l’entrée des Comores au sein de l’ONU est discuté au Conseil de Sécurité le 17 octobre 1975, à partir de 15 heures.
La France est une des cinq grandes puissances présentes d’une manière permanente au sein de ce Conseil de Sécurité (dix autres sont élus pour deux ans). Elle possède un droit de véto. Si elle s’oppose à un texte, il ne passe pas au vote. Or l’admission des Comores (en tant que quatre îles) doit d’abord être adoptée au Conseil de Sécurité avant de pouvoir aller devant l’Assemblée générale. La France pouvait donc bloquer le processus par un véto au Conseil de Sécurité, d’autant plus que dans le texte proposé, Mayotte était indiquée comme faisant partie du nouvel État comorien. Mais, coup de théâtre, le représentant de la France annonce, dès le début des discussions, qu’il ne participera pas au vote. Et il explique que par la Déclaration unilatérale d’indépendance les Comores ont rompu avec l’ordre constitutionnel français et que cela pose un problème institutionnel que la France espère résoudre bientôt.
Les deux intervenants qui suivent, Ahmed Salim pour la Tanzanie et Oyono pour le Cameroun, rappellent les nombreux engagements des autorités françaises sur la décolonisation des Comores en tant qu’ensemble de quatre îles.
Au moment du vote, et conformément aux instructions reçues de Paris, le représentant de la France se met à la porte du Conseil de Sécurité. Ce dernier adopte donc l’unanimité des 14 votants une recommandation demandant à l’Assemblée générale d’admettre les Comores (quatre îles) au sein de l’ONU.
Prince Saïd Mohamed Jaffar à la tribune de l’ONU
Presque deux semaines après ce vote, le 29 octobre, le Conseil des ministres français approuve le projet de loi sur la reconnaissance de l’indépendance des trois îles comoriennes et un nouveau référendum à Mayotte. Et le 3 novembre, à neuf jours du vote de l’Assemblée générale, le Premier ministre, Jacques Chirac demande au Président de l’Assemblée nationale l’examen d’urgence du projet de loi sur l’indépendance des Comores et le référendum à Mayotte.
Le vote de l’Assemblée générale se fait donc le 12 novembre 1975. Il est suivi du discours mémorable du chef de l’État comorien, le prince Saïd Mohamed Jaffar. À la suite de la recommandation du Conseil de Sécurité, l’Assemblée générale de l’ONU a non seulement admis les Comores en son sein, mais a également fixé les frontières de ce nouvel État : Grande-Comore, Anjouan, Mayotte et Mohéli.
Encore une fois, la France a choisi de ne pas voter et son représentant quitte l’Assemblée générale pendant le scrutin. Les Comores sont admises à l’ONU comme un État formé de quatre îles : Grande-Comore, Anjouan, Mayotte et Mohéli.
Dans un discours du 15 novembre 1975, Ali Soilihi salue la victoire des Comores reconnues dans leur intégrité comme membre de l’ONU et fustige la France pour sa volonté d’organiser un référendum à Mayotte.